
À la ligne. Feuillets d'usine, de Joseph Ponthus
« Aujourd’hui, j’ai dépoté trois cent cinquante kilos de chimères. » En bon amoureux de la littérature, Joseph Ponthus ne peut pas s’empêcher de s’émerveiller de cette phrase, qui est pourtant sa réalité concrète, ce jour-là, à l’usine de poissons (la chimère en est un). Joseph (hypokhâgne, khâgne, éducateur spécialisé) est contraint de travailler en usine après avoir cherché autre chose, en vain. Il s’attend à la dureté du travail, au froid, à la lancinante répétition des gestes, mais pas du tout à ce qui bientôt le happe, le besoin d’écrire « non le glauque de l’usine, mais sa paradoxale beauté ». Oui, l’usine va l’aider à se replacer dans la société, à réfléchir, à reconsidérer son corps, ici durement mis à l’épreuve. Son livre, qui vient d’être couronné par le prix Régine Deforges 2019, décrit le quotidien ouvrier, les pauses, la chaîne, les loisirs bouffés par la perspective du retour, avec une écriture superbe, en un poème cadencé : « C’est l’usine qui a donné le rythme : sur une ligne de production, tout s’enchaîne très vite. Il n’y a pas le temps de mettre de jolies subordonnées. Les gestes sont machinaux et les pensées vont à la ligne. » À la ligne, c’est devenu le titre de ce livre puissant, malin, bienveillant, parfois souriant. Essentiel. I. M.
À la ligne. Feuillets d’usine, de Joseph Ponthus. Éd. La table ronde,[…]