La recom­man­da­tion lec­ture d'Olivier Bourdeaut : "Petit Déjeuner chez Tiffany" de Truman Capote

Chaque mois, un auteur, une autrice, que Causette aime, nous confie l’un de ses coups de cœur littéraires. 

Olivier Bourdeaut C © Suzanne Victor a
© Suzanne Victor

"Être amou­reux d’une femme qui n’existe pas est la ver­sion la plus conve­nable de l’adultère. Je fré­quente Holly Golightly deux heures tous les deux ans. Depuis quelques années, je m’autorise même à le faire devant ma femme. Cela ne la dérange pas le moins du monde, car elle aus­si est amou­reuse d’Holly. Nous par­ta­geons les mêmes sen­ti­ments mais pas le même sup­port amou­reux. J’aime Holly cou­chée sur du papier. Suzon aime Golightly allon­gée sur un écran. J’aime Breakfast at Tiffany’s, elle aime Diamants sur cana­pé. On peut aimer la même per­sonne de deux façons différentes.

Lorsque j’ai ren­con­tré Holly, je vivais dans une chambre de bonne, j’avais 27 ans et je com­men­çais tout juste à nour­rir l’idée absurde de deve­nir écri­vain. Comme le nar­ra­teur dans la peau duquel je n’ai eu aucun mal à me glis­ser par le biais d’une phrase, d’une clé, qui m’a per­mis de lui voler sa place « pour deve­nir l’écrivain que je rêvais d’être un jour ». C’est la magie de la lit­té­ra­ture d’offrir une nou­velle vie en quelques mots.

Holly s’est pré­sen­tée à moi, nue sous un pei­gnoir, par la fenêtre, en pleine nuit. Un de ses pré­ten­dants, ivre et ter­ri­fiant, venait de lui mordre l’épaule. Elle s’est per­mis de cri­ti­quer mon loge­ment ; de man­ger mes pommes, d’en jeter une par la fenêtre ; de boire mon whis­ky ; de m’affirmer qu’il fal­lait être vieux pour être écri­vain ; que de toute manière elle ne s’intéressait qu’aux hommes de plus de 42 ans ; qu’elle ren­dait visite tous les jeu­dis à Sally Tomato, à la pri­son de Sing Sing pour lui trans­mettre des bul­le­tins météo du genre « neige à Palerme, oura­gan à Cuba » ; de me dire qu’elle cher­chait une colo­ca­taire soit stu­pide, soit les­bienne ; de m’attribuer le pré­nom de son frère ; de pleu­rer sur mon épaule, de m’engueuler, puis de bon­dir pour dis­pa­raître par la fenêtre.

Le len­de­main, sous une carte de visite de « Miss Holiday Golightly, voya­geuse », accom­pa­gnée d’excuses, de remer­cie­ments et de la pro­messe de ne plus m’embêter, se trou­vait un luxueux panier de fruits exo­tiques. « Si, je vous en prie, embêtez-​moi. » Encore et toujours." 

Petit Déjeuner chez Tiffany (Breakfast at Tiffany’s), de Truman Capote, tra­duit de l’anglais (États-​Unis) par Henri Robillot. Éd. Folio, 288 pages, 11,50 euros, 1998 (édi­tion ori­gi­nale : 1958).


En librai­rie : Florida, d'Olivier Bourdeaut

On avait aimé En atten­dant Bojangles, pre­mier roman d’un Nantais sur­gi de nulle part, car­ton du prin­temps 2016, prix France Télévisions et Grand prix RTL-Lire. Moins le sui­vant (Pactum salis, 2018). Alors on appré­cie de se faire bala­der dans Florida. Un roman dont l’héroïne et nar­ra­trice, Elizabeth Vernn, jeune Américaine née à la fin des années 1980, est une fillette qui avait tout pour elle : la beau­té, l’intelligence, une famille aimante. En appa­rence. Tout va explo­ser, à cause des appa­rences jus­te­ment. Dès ses 7 ans, ses parents l’inscrivent de force à un concours de mini-​miss. Elle le gagne, et c’est le début de l’enfer : sa mère est déci­dée à trans­for­mer sa fille en pou­pée, en bête à podiums, en cobaye à régimes amin­cis­sants. Ce roman raconte l’Amérique d’alors, celle des jeunes femmes sexua­li­sées à outrance, de celles et ceux qui fan­tasment sur elles, ou encore l’enfer de l’envers du décor. Mais si Elizabeth retrace son his­toire, c’est qu’elle a échap­pé à ces années de sacri­fice for­cé. Par la ven­geance, et dans un tour­billon que vous allez lire. Jusqu’au bout. Il y a du Truman Capote dans ce livre, plein d’échos avec notre époque. H.A.

Florida, d’Olivier Bourdeaut. Éd. Finitude, 256 pages, 19 euros.

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