Chaque mois, un auteur, une autrice, que Causette aime, nous confie l’un de ses coups de cœur littéraires.
![La recommandation lecture d'Olivier Bourdeaut : "Petit Déjeuner chez Tiffany" de Truman Capote 1 Olivier Bourdeaut C © Suzanne Victor a](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2021/05/Olivier-Bourdeaut-C-©-Suzanne-Victor-a.jpg)
"Être amoureux d’une femme qui n’existe pas est la version la plus convenable de l’adultère. Je fréquente Holly Golightly deux heures tous les deux ans. Depuis quelques années, je m’autorise même à le faire devant ma femme. Cela ne la dérange pas le moins du monde, car elle aussi est amoureuse d’Holly. Nous partageons les mêmes sentiments mais pas le même support amoureux. J’aime Holly couchée sur du papier. Suzon aime Golightly allongée sur un écran. J’aime Breakfast at Tiffany’s, elle aime Diamants sur canapé. On peut aimer la même personne de deux façons différentes.
Lorsque j’ai rencontré Holly, je vivais dans une chambre de bonne, j’avais 27 ans et je commençais tout juste à nourrir l’idée absurde de devenir écrivain. Comme le narrateur dans la peau duquel je n’ai eu aucun mal à me glisser par le biais d’une phrase, d’une clé, qui m’a permis de lui voler sa place « pour devenir l’écrivain que je rêvais d’être un jour ». C’est la magie de la littérature d’offrir une nouvelle vie en quelques mots.
Holly s’est présentée à moi, nue sous un peignoir, par la fenêtre, en pleine nuit. Un de ses prétendants, ivre et terrifiant, venait de lui mordre l’épaule. Elle s’est permis de critiquer mon logement ; de manger mes pommes, d’en jeter une par la fenêtre ; de boire mon whisky ; de m’affirmer qu’il fallait être vieux pour être écrivain ; que de toute manière elle ne s’intéressait qu’aux hommes de plus de 42 ans ; qu’elle rendait visite tous les jeudis à Sally Tomato, à la prison de Sing Sing pour lui transmettre des bulletins météo du genre « neige à Palerme, ouragan à Cuba » ; de me dire qu’elle cherchait une colocataire soit stupide, soit lesbienne ; de m’attribuer le prénom de son frère ; de pleurer sur mon épaule, de m’engueuler, puis de bondir pour disparaître par la fenêtre.
Le lendemain, sous une carte de visite de « Miss Holiday Golightly, voyageuse », accompagnée d’excuses, de remerciements et de la promesse de ne plus m’embêter, se trouvait un luxueux panier de fruits exotiques. « Si, je vous en prie, embêtez-moi. » Encore et toujours."
Petit Déjeuner chez Tiffany (Breakfast at Tiffany’s), de Truman Capote, traduit de l’anglais (États-Unis) par Henri Robillot. Éd. Folio, 288 pages, 11,50 euros, 1998 (édition originale : 1958).
En librairie : Florida, d'Olivier Bourdeaut
On avait aimé En attendant Bojangles, premier roman d’un Nantais surgi de nulle part, carton du printemps 2016, prix France Télévisions et Grand prix RTL-Lire. Moins le suivant (Pactum salis, 2018). Alors on apprécie de se faire balader dans Florida. Un roman dont l’héroïne et narratrice, Elizabeth Vernn, jeune Américaine née à la fin des années 1980, est une fillette qui avait tout pour elle : la beauté, l’intelligence, une famille aimante. En apparence. Tout va exploser, à cause des apparences justement. Dès ses 7 ans, ses parents l’inscrivent de force à un concours de mini-miss. Elle le gagne, et c’est le début de l’enfer : sa mère est décidée à transformer sa fille en poupée, en bête à podiums, en cobaye à régimes amincissants. Ce roman raconte l’Amérique d’alors, celle des jeunes femmes sexualisées à outrance, de celles et ceux qui fantasment sur elles, ou encore l’enfer de l’envers du décor. Mais si Elizabeth retrace son histoire, c’est qu’elle a échappé à ces années de sacrifice forcé. Par la vengeance, et dans un tourbillon que vous allez lire. Jusqu’au bout. Il y a du Truman Capote dans ce livre, plein d’échos avec notre époque. H.A.
Florida, d’Olivier Bourdeaut. Éd. Finitude, 256 pages, 19 euros.