Ce soir sera décerné le Grand Prix du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême, prestigieuse récompense dans le monde des phylactères, à l’une des trois finalistes suivantes : Pénélope Bagieu, Julie Doucet et Catherine Meurisse. Le lauréat de cette année sera donc forcément une lauréate, et c’est suffisamment rare pour être souligné.
On ne présente plus Pénélope Bagieu, pionnière des blogs de bande dessinée avec Ma vie est tout à fait fascinante, que la série des Culottées a ensuite élevé au rang de superstar, lui valant un prix Eisner en 2019. Apothéose confirmée par le démarrage en flèche des ventes de son dernier album, Les Strates, et sa nomination au Grand Prix du Festival de la Bande Dessinée d'Angoulême, qui récompense l'ensemble de l'oeuvre d'un·e artiste. À ses côtés dans la course, Catherine Meurisse, ancienne de Charlie Hebdo (d'ailleurs présente au moment des attentats, elle narre comment elle est remontée à la surface de la vie dans La Légèreté, sorti en 2016), autrice prolixe maniant avec brio tous les tons et première dessinatrice de BD nommée à l’Académie des beaux-arts.
Les deux Françaises étaient déjà en lice pour le Grand Prix de 2021, mais s’étaient vues ravir le prix par Chris Ware. Cette nomination est par contre une première pour la troisième laronne Julie Doucet, Québécoise au succès plus confidentiel de ce côté-ci de l’Atlantique, pourtant figure marquante de la « ligne crade » et de l'autobiographie crue, synthétisées dans son fanzine auto-édité Dirty Plotte.
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Depuis 1974, date de création du prix, seules deux autrices de bande dessinée ont reçu la statuette du Fauve, la mascotte du festival, pour l’ensemble de leur travail. Si Claire Bretécher est souvent citée, à tort, comme la lauréate de 1982, elle n’a reçu en réalité qu’un Prix du 10e anniversaire. Restent la distinction de Florence Cestac en 2000 et celle de Rumiko Takahashi en 2019. Statistiquement, les autrices et dessinatrices de bande dessinée représentent donc à peine plus de 4% des récompensé·es par le Grand Prix, quand bien même on estime la part de femmes dans la BD aux alentours de 20%.
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Peut mieux faire, mais peut faire pire aussi, comme en a témoigné l’édition de 2016. La liste des nominé·es de cette année-là, composée sur base des votes de la communauté d’auteur·rices, contenait les noms de trente hommes pour aucune femme. Ce que Franck Bondoux, délégué général du festival, expliqua à l’époque comme étant la conséquence d'un « fait historique », celle de l'absence de femmes parmi les grands de la bande-dessinée, ajoutant que « le Festival d’Angoulême aime les femmes mais ne peut pas refaire l’histoire. »
En réaction, le Collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme, aujourd’hui composé de plus de 250 autrices et dessinatrices (n’en déplaise à l’analyse de M. Bondoux, il semblerait donc que les femmes bédéastes existent) appelait au boycott du Grand Prix de 2016. Parmi les signataires, on retrouvait Catherine Meurisse, Julie Doucet et Pénélope Bagieu. Jolie victoire que de les voir aujourd’hui figurer dans le premier trio exclusivement féminin de finalistes.