"La Nuit" et "Tous les che­vaux du roi", de Michèle Bernstein, pépites lit­té­raire de Nicolas Mathieu

Chaque mois, un auteur, une autrice, que Causette aime, nous confie l’un de ses coups de cœur littéraires. 

Mathieu Nicolas c Bertrand Jamot
Nicolas Mathieu © Bertrand Jamot
Par Nicolas Mathieu

"En 1953, Guy Debord écri­vit sur un mur de la rue de Seine cette injonc­tion appe­lée à deve­nir his­to­rique : « Ne tra­vaillez jamais. » Programme qu’il s’appliqua scru­pu­leu­se­ment à lui-​même à défaut de pou­voir le faire adop­ter à notre civi­li­sa­tion dans son ensemble. Ainsi, le pen­seur de la socié­té du spec­tacle ne consentit-​il jamais au sala­riat et vécut toute sa vie aux cro­chets de quelques mécènes, au pre­mier rang des­quels sa pre­mière épouse : Michèle Bernstein. 

De leur vie de pata­chon, cette der­nière a tiré deux livres minces et brillants dans les­quels elle relate au fond une seule et même his­toire, mais dans des tona­li­tés oppo­sées. À chaque fois, il est ques­tion d’un trio amou­reux, for­mé d’un couple et d’une jeune femme, une manière de Liaisons dan­ge­reuses trans­po­sées au temps de l’Internationale situa­tion­niste, le liber­ti­nage pre­nant place ici dans des cafés et des appar­te­ments où l’on boit consi­dé­ra­ble­ment dans l’attente du ren­ver­se­ment de l’ordre éta­bli. Mais ce qui fait toute la saveur de ces deux ouvrages, et la qua­li­té de Bernstein, c’est évi­dem­ment le style. Ou, en ­l’occurrence, LES styles. 

Car si dans Tous les che­vaux du roi, l’autrice pas­tiche brillam­ment le genre Sagan, dans La Nuit, elle choi­sit de paro­dier avec la même faci­li­té les manières du Nouveau Roman. Petits tours de force pleins de malice qui réjouissent et ­épatent encore le lecteur. 

J’ignore à quel point Tous les che­vaux du roi est un livre oublié de nos jours. Pour ma part, je l’ai décou­vert en 2013, alors que la BNF consa­crait une vaste expo­si­tion à Debord. On y voyait ras­sem­blés ses fiches, les fameux ouvrages de l’Internationale situa­tion­niste, des pho­tos où ces acti­vistes avaient des airs potaches qui ne lais­saient guère devi­ner leur volon­té d’en finir avec le règne de la mar­chan­dise. Et puis, dans un recoin, il y avait un petit écran où pas­sait en boucle un entre­tien de Michèle Bernstein. Elle y appa­rais­sait jeune, sub­tile, les che­veux courts, Jean Seberg sur les bords, sou­riante et nar­quoise. Et si peu dupe. Si évi­dem­ment sédui­sante. Je tom­bai sous le charme de l’écrivaine avant de suc­com­ber à celui de son livre, où l’on trouve ce genre de phrases cris­tal­lines : « C’est un plai­sir, une fois fati­guée et un peu ivre, que de trou­ver un grand lit blanc et d’y dor­mir avec le gar­çon qu’on aime. »

Depuis la paru­tion de cette cen­taine de pages, les années ont pas­sé, le règne de la mar­chan­dise se porte bien et l’on n’a rete­nu de Debord que son ouvrage le moins lisible. Mais Michèle Bernstein, elle, vit tou­jours et son roman au second degré, si bref et ravis­sant, mérite tou­jours une heure de notre temps."

La Nuit et Tous les che­vaux du roi, de Michèle Bernstein. Éd. Allia, 160 et 128 pages, 9,20 et 6,20 euros, 2013–2014.


En librai­rie : Papa

La joie de vivre mélan­co­lique de Nicolas Mathieu nous sai­sit à chaque fois. Après un polar, deux (très) grands romans (dont le prix Goncourt en 2018 pour Leurs enfants après eux), cet écri­vain révol­té publie son troi­sième album illus­tré pour enfants. Dans Papa, Nicolas Mathieu et le des­si­na­teur Stéphane Kiehl nous font entrer dans le monde poé­tique, presque hors verbe, qui se déploie entre un père et son fils. La nature y est vaste, le temps semble infi­ni. On peut cou­rir, voler, jouer sous la pluie, cueillir des cham­pi­gnons à volon­té, puis se mettre devant la télé « en slip-​chaussettes sur le canap ». Jusqu’à oublier le réchauf­fe­ment cli­ma­tique et la guerre qui fait rage ? Certainement pas. Nicolas Mathieu n’est pas du genre à élu­der ces ques­tions, y com­pris en pré­sence des enfants. Mais il pro­pose de ruser pour les sup­por­ter, en créant des petites œuvres (un des­sin par exemple), comme des refuges éter­nels où aller cher­cher la joie et la beau­té dans des ins­tants dif­fi­ciles. Une façon de plan­quer des bouts de vie – comme des magots – « dans le dos du temps », pour les retrou­ver intacts à tout moment. Lauren Malka

Papa, de Nicolas Mathieu, illus­tré par Stéphane Kiehl. Éd. Actes Sud, 32 pages, 14,90 euros.

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