Le conseil de lec­ture d'Alain Mabanckou : « La Danse de Pilar », de Charline Effah

Chaque mois, un·e auteur·e que ­C­ausette aime nous confie l’un
de ses coups de cœur littéraires.

A Mabanckou © JF Paga Grasset
© J-F. Paga / Grasset

En 2015, j’avais découvert un roman d’à peine 140 pages signé par la Gabonaise Charline Effah et intitulé N’être. Parue aux éditions de La Cheminante, l’œuvre passa malheureusement inaperçue du grand public français, mais elle fait partie des textes étudiés dans plusieurs départements d’études francophones des universités américaines. 

En 2018, Charline Effah a publié chez le même éditeur La Danse de Pilar. La parenté avec le roman précédent est évidente : les deux traitent des relations familiales, de leur complexité ou de leur dégénérescence. Dans N’être, l’héroïne, Lucinda, qui a connu une enfance des plus marginalisées, espère une rédemption dans l’amour et tombe dans les bras d’Amos, un homme marié – un peu comme sa propre mère. Et c’est le début d’un calvaire qui ira du rejet d’une grossesse à diverses humiliations. N’être était une sorte de « lettre » adressée à tous ceux qui, de près ou de loin, mésestiment les conséquences de l’enfance « adultérine » et du carcan des conventions. 

La Danse de Pilar élargit la thématique des conflits familiaux avec une interrogation sur le sens qu’on pourrait donner à l’engagement politique. Pilar est une « grande dame », une « animatrice » pour le parti au pouvoir, et le « Grand Camarade » [surnom donné au chef de l’État, ndlr] voit en elle son égérie. Elle danse, fait la propagande du régime. Son époux est contraint de s’écraser devant l’autorité de sa femme. Il finira bientôt par devenir le chef de file du parti de l’opposition. Concurrence, haine, amours et coups fourrés vont être au menu, avec, en toile de fond, des secrets de famille ouvrant la voie, comme dans N’être, à une descendance adultérine. La tragédie n’est de ce fait plus loin, car dans ces années 1980 où l’Afrique noire est dirigée par ces « guides de la révolution », tous les moyens sont bons pour pérenniser le pouvoir ou régler les comptes. 

Si les illustres romanciers africains qui ont précédé Charline Effah – en particulier, Sony Labou Tansi ou Ahmadou Kourouma – ont décrypté avec succès le dérèglement des sociétés africaines postcoloniales oppressées par des monarques, la singularité de l’autrice gabonaise aura été d’avoir dessiné « le visage féminin » de cette période, brisant au passage ce cliché de la femme africaine en pot de fleurs posé sur la commode et dont on remarque à peine l’existence. Pilar était une « femme puissante » à sa manière, et ce puissant roman lui va comme un gant !

La Danse de Pilar, de Charline Effah. Éd. La Cheminante, 2018.


En librairie · Huit leçons sur l’Afrique

9782246812180 001 X

« Et si vous vous étiez trompé de personne ? » C’est ainsi qu’Alain Mabanckou, premier écrivain élu à la Chaire de création artistique du Collège de France, amorce en 2016 sa leçon inaugurale. Une façon toute à son image – facétieuse et enjouée – de faire un pas de côté face à cette prestigieuse assemblée, alors qu’il s’apprête à mener ses Huit Leçons sur l’Afrique, réunies aujourd’hui chez Grasset. Une « cruelle responsabilité […] au regard de l’histoire de la littérature du continent noir ». Maniant à merveille la fable et l’anecdote, il nous raconte une « autre histoire de l’Afrique », celle d’écrivain·es comme Senghor, Césaire, Bernard Dadié ou Aoua Keïta, qui, comme lui, ont choisi le français en gardant leur accent, même en écrivant. Un héritage littéraire qui accueille la parole des femmes, tente de s’émanciper des clichés, des canons coloniaux, des dictatures. Épris de liberté, ce Montesquieu moderne nous guide avec grâce et intelligence dans le monde tel qu’il le voit et nous offre un « enchantement intemporel », une œuvre qui parvient à nous « dépayser ». Lauren Malka

Huit Leçons sur l’Afrique, d’Alain Mabanckou. Éd. Grasset.

Partager
Articles liés

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.