"Géantes" : fable d'une grande dame

À tra­vers son roman Géantes, Murielle Magellan ques­tionne avec jus­tesse la place des femmes dans la société. 

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Il était une fois Laura, jeune femme réser­vée et appa­rem­ment banale, épouse d’un peintre en bâti­ment, dont la seule ori­gi­na­li­té est une pas­sion dévo­rante pour la lit­té­ra­ture japo­naise. Lorsque Takumi Kondo, l’un de ses auteurs favo­ris est reçu dans la média­thèque de sa ville, elle est, bien sûr, au rendez-​vous. Or le spé­cia­liste qui doit ani­mer la soi­rée fait faux bond. L’organisatrice de l’événement, qui connaît Laura et sait qu’elle a lu tous les livres de l’écrivain, lui demande de le rem­pla­cer. Le trac et l’allégresse déferlent à la fois dans les veines de la jeune femme, qui accepte. Connaissant son sujet et savou­rant le plai­sir de cette ren­contre, elle s’en tire à mer­veille. A tel point que le len­de­main un article lui rend hom­mage dans le grand quo­ti­dien local La Dépêche.

Puis, lors d’une inter­view sur une des radios les plus écou­tées, Takumi Kondo lui-​même parle d’elle. Elle est du coup sol­li­ci­tée pour un job, qui fait appel à sa connais­sance de la lit­té­ra­ture nip­pone. Laura est incré­dule, émer­veillée, gri­sée. Elle se déploie, relève la tête, se sent gran­die. Et sou­dain le fan­tas­tique s’engouffre dans son quo­ti­dien. Ça com­mence par ses chaus­sons, au saut du lit, qui s’avèrent trop petits. Ses vête­ments aus­si. Rapidement elle doit affron­ter la véri­té : Laura gran­dit, réel­le­ment. Et bien­tôt, elle va le consta­ter, inexorablement. 

Métaphore

Cette femme qui s’épanouit et prend toute sa place, quelles réac­tions va-​t-​elle sus­ci­ter autour d’elle ? Emerveillement ou inquié­tude ? Rejet ou fas­ci­na­tion ? Murielle Magellan, l’autrice de ce roman, joue avec sub­ti­li­té de toutes ces réac­tions. Inspirée dit-​elle par Le por­trait de Dorian Gray d’Oscar Wilde et par Marcel Aimé ‑notam­ment pour son Passe-​muraille – elle a sou­hai­té « par­tir du fami­lier et y faire inter­ve­nir l’extraordinaire, la fable. C’est à la fois mer­veilleux ce qui arrive à Laura, et effrayant. J’ai vou­lu voir ce que ce mélange pou­vait créer ».

La méta­phore est claire, qui creuse la ques­tion de la place qu’occupent les femmes, et de celle que la socié­té est prête à leur accor­der, ou pas. Mais la fable est aus­si un vrai roman, peu­plé de per­son­nages, hommes et femmes, atta­chants et com­plexes. Leurs che­mi­ne­ments, leurs pen­sées, leurs réac­tions sont inat­ten­dus et pour­tant sonnent juste.

Journal de bord 

D’autant que le livre n’est pas com­po­sé uni­que­ment de cette longue fable. Chacun de ses cha­pitres alterne avec les pages d’un jour­nal de bord, que tient Murielle Magellan. Le point de départ de ce jour­nal, c’est le com­pli­ment ambi­gu que lui adresse le roman­cier Andreï Makine dans les cou­lisses d’une émis­sion de télé : « Vous êtes très belle, mais vous allez vieillir ». La vio­lence de cette réflexion, remarque typique de vieux mal blanc, plonge la roman­cière dans une médi­ta­tion sur la vieillesse des femmes, leur corps, leur libération.

La fable et le jour­nal vont ain­si fina­le­ment se rejoindre, car Murielle Magellan s’y attache à par­ler « de la crois­sance des femmes, crois­sance intime et col­lec­tive, (…) de cette façon de s’autoriser à gran­dir dans un très beau mou­ve­ment [le mou­ve­ment fémi­niste, ndlr] fait aus­si de ten­sions. Un mou­ve­ment roma­nesque en fait ! »

Géantes, de Murielle Magellan. Editions Mialet et Barrault, 288 pages, 19 euros. 

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