La programmation du dessinateur et auteur Bastien Vivès au Festival international de la bande dessinée d’Angoulême (FIBD) suscite l’indignation. Il est accusé « d’apologie de l’inceste et de la pédocriminalité » pour sa bande dessinée Petit Paul sortie en 2018.
Bastien Vivès est de nouveau sous le feu d’une polémique. En cause, l'exposition « Dans les yeux de Bastien Vivès », programmée par le Festival international de la bande dessinée d’Angoulême (FIBD) fin janvier. Pour sa cinquantième édition, le festival a en effet donné carte blanche au bédéaste de 38 ans, deux fois primé au FIBD, pour une grande rétrospective de son œuvre, qui doit se tenir au Musée du Papier.
Depuis l'annonce de la programmation il y a quelques semaines, la contestation enfle sur les réseaux sociaux car certaines bandes dessinées de l’auteur sont jugées pédopornographiques. Notamment Les Melons de la colère (éditions Les Requins marteaux) et Petit Paul (éditions Glénat), deux bandes dessinées érotiques qui contiennent de nombreuses scènes de sexe entre un enfant et des adultes. Deux pétitions ont même été lancées début décembre. L’une par le collectif « Étudiant·e·s en lutte » de l’école d’art d'Angoulême. Signée par plus de 1 700 personnes, elle demande l'annulation de l’exposition de Bastien Vivès, dont le travail « véhicule des propos problématiques et une image dégradante des femmes », écrivent les pétitionnaires.
L'autre pétition, lancée par Arnaud Gallais, cofondateur du collectif Prévenir et Protéger, qui lutte depuis 2019 contre les violences faites aux femmes et aux enfants, exige aussi la déprogrammation de l’exposition de Bastien Vivès. Elle a été signée par plus de 37 000 personnes à ce jour. Dans le texte de la pétition, Arnaud Gallais dénonce « la banalisation et l’apologie de l’inceste et de la pédocriminalité organisée par le dessinateur de BD Bastien Vivès à travers ses ouvrages et ses propos dangereux », rappelant que « la protection de l’enfance devrait être une priorité ».
Propos problématiques
La polémique ne tourne d’ailleurs pas qu’autour des albums de l’auteur, mais concerne aussi des propos problématiques qu’il aurait tenus dans le passé au cours de différentes interviews. L’auteur de la pétition cite par exemple ce propos de Vivès - sans en préciser la source : « Moi déjà, l'inceste ça m'excite à mort. Pas celui de la vraie vie, mais celui raconté, je trouve ça génial. Tous ces trucs-là font des histoires incroyables. Quand tu transgresses, quand tu fais quelque chose que t'as pas le droit de faire, c'est agréable à lire. »
Contacté par Libération, Bastien Vivès a assuré qu’il n’est aucunement question de ses propres fantasmes dans ses dessins. « Je les représente de manière burlesque, mais j’ai zéro fantasmes incestueux ou pédophiles », a-t-il déclaré déplorant que « là, des gens isolent des morceaux de bandes dessinées ou des extraits d’interviews pour prouver que je suis pédophile, et ça fait gonfler leur communauté sur les réseaux sociaux ». Face à ces accusations, l’auteur a également annoncé avoir déposé une main courante et n’exclut pas de porter plainte pour diffamation.
Polémique en 2018
Bastien Vivès n’a jamais été accusé de violences sexuelles, mais son travail est régulièrement dénoncé comme faisant l’apologie de l’inceste ou de la pédocriminalité. L’auteur est à la fois connu pour des romans graphiques grand public tels que la série des Lastman ou Polina, mais aussi pour des bandes dessinées « pornographiques » comme les Melons de la colère ou Petit Paul, donc.
Cette dernière publiée chez Porn’Pop, collection pornographique lancée par Glénat, avait d'ailleurs déjà fait l’objet d’une pétition dès sa sortie en 2018 pour exiger son retrait des rayons des librairies. « Présenté par son auteur comme un livre humoristique, mais se voulant excitant car basé sur ses fantasmes, Petit Paul montre les péripéties d’un enfant de 10 ans avec un énorme pénis que vont utiliser bon gré mal gré les femmes de son entourage », indiquait à l’époque le texte de la pétition, rappelant que l’article 227-23 du code pénal interdit les représentations à caractère pornographique de mineur·es. Les éditions Glénat avaient fermement réfuté l’accusation de pédopornographie par communiqué, indiquant qu’« il s’agit d’une caricature dont le dessin, volontairement grotesque et outrancier dans ses proportions, ne laisse planer aucun doute quant à la nature totalement irréaliste du personnage et de son environnement ». Petit Paul avait fini par être retiré des ventes par les magasins Cultura et Gibert Joseph.
Déprogrammation ?
Quatre ans plus tard, Bastien Vivès sera-t-il déprogrammé du célèbre Festival d’Angoulême ? La question suscite de vifs débats dans le milieu de la bande dessinée. « Dans le contexte de #MeToo, alors que le monde de la BD a déjà du mal à faire sa propre remise en question, quel message cette expo donne-t-elle de notre milieu ? », s’est ainsi interrogé l’auteur de bande dessinée Jérôme Dubois sur Instagram, précisant toutefois ne pas appeler au boycott ou à la censure. Tandis que le dessinateur Gilles Roussel, dit Boulet, également invité à l’événement aux côtés de Bastien Vivès, a déclaré auprès de Libé : « J’ai dit à l’orga’ que j’étais dégoûté qu’il soit là ce soir et que ça me faisait chier d’être associé à lui. […] J’ai dit à ses potes d’atelier de conseiller [à Bastien Vivès, ndlr] d’annuler sa venue. »
Du côté du co-directeur du FIBD, Fausto Fasulo, interrogé par Libération, une déprogrammation de Vivès est « évidemment exclue ». « Ce serait une défaite philosophique énorme », a-t-il ajouté auprès du quotidien. Pour lui, si chacun·e est libre de trouver les ouvrages de l'auteur « malaisants et de mauvais goût », leur caractère « grotesque » empêche absolument de les confondre « avec une quelconque forme de banalisation de crimes sexuels ou d’incitation », a-t-il poursuivi.
"Est-il désormais impossible de représenter les tabous ?"
Face à l’ampleur de la polémique, Bastien Vivès, s’est dit « dégoûté, mais aussi effrayé que certains dessinateurs entretiennent publiquement l’ambiguïté entre [ses] dessins et [ses] actes réels ». « A quel endroit fait-il une quelconque apologie ? Est-il désormais impossible de représenter les tabous ? », a interrogé de son côté son éditeur Benoît Mouchart, du catalogue des bandes dessinées Casterman. « Il y a quand même une confusion navrante entre ce que pense un personnage, un narrateur et un auteur », a-t-il ajouté auprès de Libé.
La venue de Bastien Vivès au Festival international de la bande dessinée d’Angoulême est donc pour l’heure maintenue. L’auteur s’est d’ailleurs dit « complètement partant pour des débats » lors de l'évènement. Selon Libération, le directeur adjoint, Fausto Fasulo, n’y serait pas opposé.