« Apologie de l'inceste » : deux péti­tions demandent la dépro­gram­ma­tion du bédéaste Bastien Vivès du Festival d’Angoulême

La pro­gram­ma­tion du des­si­na­teur et auteur Bastien Vivès au Festival inter­na­tio­nal de la bande des­si­née d’Angoulême (FIBD) sus­cite l’indignation. Il est accu­sé « d’apologie de l’inceste et de la pédo­cri­mi­na­li­té » pour sa bande des­si­née Petit Paul sor­tie en 2018. 

Bastien Vives BD Angouleme 2013 1
Bastien Vivès au 40e Festival inter­na­tio­nal
de la bande des­si­née
d'Angoulême (FIBD) en 2013.
©Myrabella /​Wikimedia Commons

Bastien Vivès est de nou­veau sous le feu d’une polé­mique. En cause, l'exposition « Dans les yeux de Bastien Vivès », pro­gram­mée par le Festival inter­na­tio­nal de la bande des­si­née d’Angoulême (FIBD) fin jan­vier. Pour sa cin­quan­tième édi­tion, le fes­ti­val a en effet don­né carte blanche au bédéaste de 38 ans, deux fois pri­mé au FIBD, pour une grande rétros­pec­tive de son œuvre, qui doit se tenir au Musée du Papier.

Depuis l'annonce de la pro­gram­ma­tion il y a quelques semaines, la contes­ta­tion enfle sur les réseaux sociaux car cer­taines bandes des­si­nées de l’auteur sont jugées pédo­por­no­gra­phiques. Notamment Les Melons de la colère (édi­tions Les Requins mar­teaux) et Petit Paul (édi­tions Glénat), deux bandes des­si­nées éro­tiques qui contiennent de nom­breuses scènes de sexe entre un enfant et des adultes. Deux péti­tions ont même été lan­cées début décembre. L’une par le col­lec­tif « Étudiant·e·s en lutte » de l’école d’art d'Angoulême. Signée par plus de 1 700 per­sonnes, elle demande l'annulation de l’exposition de Bastien Vivès, dont le tra­vail « véhi­cule des pro­pos pro­blé­ma­tiques et une image dégra­dante des femmes », écrivent les pétitionnaires.

L'autre péti­tion, lan­cée par Arnaud Gallais, cofon­da­teur du col­lec­tif Prévenir et Protéger, qui lutte depuis 2019 contre les vio­lences faites aux femmes et aux enfants, exige aus­si la dépro­gram­ma­tion de l’exposition de Bastien Vivès. Elle a été signée par plus de 37 000 per­sonnes à ce jour. Dans le texte de la péti­tion, Arnaud Gallais dénonce « la bana­li­sa­tion et l’apologie de l’inceste et de la pédo­cri­mi­na­li­té orga­ni­sée par le des­si­na­teur de BD Bastien Vivès à tra­vers ses ouvrages et ses pro­pos dan­ge­reux », rap­pe­lant que « la pro­tec­tion de l’enfance devrait être une priorité ».

Propos pro­blé­ma­tiques 

La polé­mique ne tourne d’ailleurs pas qu’autour des albums de l’auteur, mais concerne aus­si des pro­pos pro­blé­ma­tiques qu’il aurait tenus dans le pas­sé au cours de dif­fé­rentes inter­views. L’auteur de la péti­tion cite par exemple ce pro­pos de Vivès – sans en pré­ci­ser la source : « Moi déjà, l'inceste ça m'excite à mort. Pas celui de la vraie vie, mais celui racon­té, je trouve ça génial. Tous ces trucs-​là font des his­toires incroyables. Quand tu trans­gresses, quand tu fais quelque chose que t'as pas le droit de faire, c'est agréable à lire. »

Contacté par Libération, Bastien Vivès a assu­ré qu’il n’est aucu­ne­ment ques­tion de ses propres fan­tasmes dans ses des­sins. « Je les repré­sente de manière bur­lesque, mais j’ai zéro fan­tasmes inces­tueux ou pédo­philes », a‑t-​il décla­ré déplo­rant que « là, des gens isolent des mor­ceaux de bandes des­si­nées ou des extraits d’interviews pour prou­ver que je suis pédo­phile, et ça fait gon­fler leur com­mu­nau­té sur les réseaux sociaux ». Face à ces accu­sa­tions, l’auteur a éga­le­ment annon­cé avoir dépo­sé une main cou­rante et n’exclut pas de por­ter plainte pour diffamation.

Polémique en 2018 

Bastien Vivès n’a jamais été accu­sé de vio­lences sexuelles, mais son tra­vail est régu­liè­re­ment dénon­cé comme fai­sant l’apologie de l’inceste ou de la pédo­cri­mi­na­li­té. L’auteur est à la fois connu pour des romans gra­phiques grand public tels que la série des Lastman ou Polina, mais aus­si pour des bandes des­si­nées « por­no­gra­phiques » comme les Melons de la colère ou Petit Paul, donc.

Cette der­nière publiée chez Porn’Pop, col­lec­tion por­no­gra­phique lan­cée par Glénat, avait d'ailleurs déjà fait l’objet d’une péti­tion dès sa sor­tie en 2018 pour exi­ger son retrait des rayons des librai­ries. « Présenté par son auteur comme un livre humo­ris­tique, mais se vou­lant exci­tant car basé sur ses fan­tasmes, Petit Paul montre les péri­pé­ties d’un enfant de 10 ans avec un énorme pénis que vont uti­li­ser bon gré mal gré les femmes de son entou­rage », indi­quait à l’époque le texte de la péti­tion, rap­pe­lant que l’article 227–23 du code pénal inter­dit les repré­sen­ta­tions à carac­tère por­no­gra­phique de mineur·es. Les édi­tions Glénat avaient fer­me­ment réfu­té l’accusation de pédo­por­no­gra­phie par com­mu­ni­qué, indi­quant qu’« il s’agit d’une cari­ca­ture dont le des­sin, volon­tai­re­ment gro­tesque et outran­cier dans ses pro­por­tions, ne laisse pla­ner aucun doute quant à la nature tota­le­ment irréa­liste du per­son­nage et de son envi­ron­ne­ment »Petit Paul avait fini par être reti­ré des ventes par les maga­sins Cultura et Gibert Joseph.

Déprogrammation ? 

Quatre ans plus tard, Bastien Vivès sera-​t-​il dépro­gram­mé du célèbre Festival d’Angoulême ? La ques­tion sus­cite de vifs débats dans le milieu de la bande des­si­née. « Dans le contexte de #MeToo, alors que le monde de la BD a déjà du mal à faire sa propre remise en ques­tion, quel mes­sage cette expo donne-​t-​elle de notre milieu ? », s’est ain­si inter­ro­gé l’auteur de bande des­si­née Jérôme Dubois sur Instagram, pré­ci­sant tou­te­fois ne pas appe­ler au boy­cott ou à la cen­sure. Tandis que le des­si­na­teur Gilles Roussel, dit Boulet, éga­le­ment invi­té à l’événement aux côtés de Bastien Vivès, a décla­ré auprès de Libé : « J’ai dit à l’orga’ que j’étais dégoû­té qu’il soit là ce soir et que ça me fai­sait chier d’être asso­cié à lui. […] J’ai dit à ses potes d’atelier de conseiller [à Bastien Vivès, ndlr] d’annuler sa venue. »

Du côté du co-​directeur du FIBD, Fausto Fasulo, inter­ro­gé par Libération, une dépro­gram­ma­tion de Vivès est « évi­dem­ment exclue ». « Ce serait une défaite phi­lo­so­phique énorme », a‑t-​il ajou­té auprès du quo­ti­dien. Pour lui, si chacun·e est libre de trou­ver les ouvrages de l'auteur « malai­sants et de mau­vais goût », leur carac­tère « gro­tesque » empêche abso­lu­ment de les confondre « avec une quel­conque forme de bana­li­sa­tion de crimes sexuels ou d’incitation », a‑t-​il poursuivi. 

"Est-​il désor­mais impos­sible de repré­sen­ter les tabous ?"

Face à l’ampleur de la polé­mique, Bastien Vivès, s’est dit « dégoû­té, mais aus­si effrayé que cer­tains des­si­na­teurs entre­tiennent publi­que­ment l’ambiguïté entre [ses] des­sins et [ses] actes réels ». « A quel endroit fait-​il une quel­conque apo­lo­gie ? Est-​il désor­mais impos­sible de repré­sen­ter les tabous ? », a inter­ro­gé de son côté son édi­teur Benoît Mouchart, du cata­logue des bandes des­si­nées Casterman. « Il y a quand même une confu­sion navrante entre ce que pense un per­son­nage, un nar­ra­teur et un auteur », a‑t-​il ajou­té auprès de Libé. 

La venue de Bastien Vivès au Festival inter­na­tio­nal de la bande des­si­née d’Angoulême est donc pour l’heure main­te­nue. L’auteur s’est d’ailleurs dit « com­plè­te­ment par­tant pour des débats » lors de l'évènement. Selon Libération, le direc­teur adjoint, Fausto Fasulo, n’y serait pas opposé.

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