Blogs d'écriture : éro­to­graphes du dimanche

Sur des sites spé­cia­li­sés ou sur des blogs, des amateur·rices jouent les écrivain·es éro­tiques. Un pro­lon­ge­ment de leur vie sexuelle. Mais pas uniquement.

grappe2 A
© Emmanuelle Descraques pour Causette

Près de deux mille his­toires publiées. Une par jour, ou presque, depuis le 9 octobre 2014. Avec une régu­la­ri­té de métro­nome, Christ – c’est un pseu­do ! – apporte quo­ti­dien­ne­ment son obole lit­té­raire au site Histoires-de-sexe.net, HDS pour les initié·es. Il s’est lan­cé dans l’écriture de récits coquins à l’aube de la soixan­taine, un peu par hasard, un peu par désœuvrement.

« J’écris d’un trait, je déteste me relire », raconte-​t-​il. Les idées germent dans son esprit, au détour d’une balade ou d’un film regar­dé sur Netflix. « Une situa­tion, un début, une fin : tout me vient comme un coup de poing. » Écrire des his­toires éro­tiques consti­tue aujourd’hui son prin­ci­pal loi­sir. Au grand déplai­sir de son entou­rage, son épouse en tête. « Je suis désor­mais consi­dé­ré comme un dépra­vé », s’amuse-t-il.

Offrir des fris­sons longue portée

Souvent, l’intrusion dans la lit­té­ra­ture éro­tique ama­trice se fait pour­tant en plein accord avec le ou la par­te­naire. Cédric, Pierre-​Alain, Clarissa : chacun·e a com­men­cé pour un public très res­treint, son (ou ses) amoureux·se(s) du moment. « Pendant une sépa­ra­tion géo­gra­phique d’un an avec mon ami, je lui écri­vais pour l’émoustiller à dis­tance », raconte Clarissa Rivière. Elle a ensuite pas­sé le cap de la publi­ci­sa­tion et a lan­cé, il y a bien­tôt dix ans, un blog pro­po­sant des « récits coquins et sen­suels », Les Goûters de Clarissa.

Patrick, lui, a décou­vert le site Revebebe, l’un des prin­ci­paux recueils numé­riques gra­tuits d’histoires éro­tiques écrites par des amateur·rices, et s’est rapi­de­ment dit : « Pourquoi pas moi ? » Depuis 2003, il par­tage ses aven­tures avec ses lecteur·rices. « Écrire me per­met de conser­ver le sou­ve­nir de cer­tains moments. Mes textes sont sou­vent un mélange entre ima­gi­na­tion et réa­li­té, un peu comme avec les yaourts qui ont des vrais mor­ceaux de fruits dedans », explique-​t-​il, méta­phore à l’appui.

Quelle est la part de vécu de ces textes, des mains de mil­liers d’anonymes qui rem­plissent les pages de ces sites et blogs ? La plu­part s’écrivent à la pre­mière per­sonne du sin­gu­lier. « L’écriture est un lieu d’expérimentation, où l’anonymat per­met de jouer, sans ris­quer son iden­ti­té sociale. Dans l’imaginaire, on peut s’inventer ou expri­mer des fan­tasmes qu’on ne vou­drait pas réa­li­ser en réa­li­té », nuance Béatrice Damian-​Gaillard, enseignante-​chercheuse en porn stu­dies à l’université Rennes‑I.

« Même avec un “je”, cer­taines his­toires qui nous par­viennent sont si far­fe­lues qu’il est évident qu’elles n’ont jamais été expé­ri­men­tées. C’est une décharge de fan­tasme par le sty­lo », explique en sou­riant Flore Cherry, res­pon­sable du pôle numé­rique d’Union, la revue des libertin·es, qui publie depuis cin­quante ans des lettres sexy de lecteur·rices. Elle-​même autrice (pro­fes­sion­nelle), elle anime par ailleurs des ate­liers d’écriture éro­tique et recom­mande d’en pas­ser par le « je ». « Les ama­teurs et ama­trices évitent ain­si les pro­blèmes de nar­ra­tion. Le nar­ra­teur ou la nar­ra­trice est omni­scient, cela faci­lite la construc­tion du récit. »

L’amour du style

Une com­po­si­tion intel­li­gible et cohé­rente, c’est le préa­lable à la publi­ca­tion des textes, à Union comme sur les sites moins gla­mour. Mais faut-​il avoir du style ? « Tout est une ques­tion d’intention. S’il est sin­cère, un texte peut être réus­si même s’il est mal écrit », estime Flore Cherry. Les éro­to­graphes amateur·rices confessent quand même pour la plu­part un amour des mots. Pierre-​Alain, chef d’une entre­prise de logis­tique et col­la­bo­ra­teur régu­lier d’Union, aime « habiller de sen­sua­li­té les mots crus ». Cédric, ­ex-​pubard, qui publie ses textes dans des recueils ou des revues telles que Le Bateau, expose sa « volon­té d’y mettre tou­jours une qua­li­té lit­té­raire »

Au-​delà du plai­sir d’écrire, les his­toires éro­tiques ont ame­né Clarissa à la décou­verte d’un uni­vers, le BDSM. Invitée comme blo­gueuse dans un évé­ne­ment féti­chiste, elle est « pas­sée de l’autre côté du miroir, une révé­la­tion ».

Christ, lui, y a trou­vé des ami·es. Toute une nou­velle socia­bi­li­té, qui le fait échan­ger avec ses lecteur·rices. « 2 000 au quo­ti­dien, 10 mil­lions de vues pour mes his­toires », précise-​t-​il, assez fier de ces sta­tis­tiques. Parmi elles et eux, des timides du cla­vier, qui lui adressent désor­mais leurs his­toires pour que l’érotographe les pimente. Comme ce jeune couple qui lui a envoyé 26 pages « très sages » que Christ agré­mente de scènes de son ima­gi­na­tion. Le couple ne veut rien lire en avant-​première et découvre la ver­sion hot de son his­toire en même temps que les autres habitué·es de HDS.

« Cette pra­tique sociale, indi­vi­duelle a prio­ri, est créa­trice de rela­tions sociales. L’écriture fait émer­ger des col­lec­tifs, qui par­tagent des expé­riences », ana­lyse Béatrice Damian-​Gaillard. « Don et contre-​don, comme dans le sexe. La sexua­li­té, c’est un par­tage. Partager des his­toires, c’est une façon de vivre sa sexua­li­té », estime la chercheuse.

Taquiner les normes

Plus que l’excitation de son lec­to­rat, Cédric cherche « à pous­ser les gens hors de leurs sen­tiers bat­tus ». Ce que per­met, selon lui, la lit­té­ra­ture éro­tique. Pierre-​Alain, lui, en fait un outil mili­tant : « Je veux démon­trer qu’on peut par­ler de sexe avec beau­té et avec style. User du pou­voir des mots pour défendre les sexua­li­tés alter­na­tives et les com­bats socié­taux, comme le féminisme. »

Sa posi­tion n’est pas encore majo­ri­taire. « La plu­part des lettres que je cor­rige mettent en scène des fan­tasmes très nor­més. Ils ne dévient pas beau­coup des repré­sen­ta­tions domi­nantes », rap­porte Pauline Verduzier1, jour­na­liste et cor­rec­trice du cour­rier des lec­teurs d’Union. Et ajoute : « Je ne porte pas de juge­ment moral. Ce sont les normes qu’on nous matraque. » Bonne nou­velle, les écrivain·es du dimanche ont donc encore de nou­veaux hori­zons à explorer ! 

  1. Pauline Verduzier est une col­la­bo­ra­trice de Causette. Elle est l’autrice d’un pod­cast dif­fu­sé par l’émission Les Pieds sur terre sur France Culture.[]
Partager
Articles liés

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.