Sur des sites spécialisés ou sur des blogs, des amateur·rices jouent les écrivain·es érotiques. Un prolongement de leur vie sexuelle. Mais pas uniquement.
![Blogs d'écriture : érotographes du dimanche 1 grappe2 A](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2021/08/grappe2-A-684x1024.jpg)
Près de deux mille histoires publiées. Une par jour, ou presque, depuis le 9 octobre 2014. Avec une régularité de métronome, Christ – c’est un pseudo ! – apporte quotidiennement son obole littéraire au site Histoires-de-sexe.net, HDS pour les initié·es. Il s’est lancé dans l’écriture de récits coquins à l’aube de la soixantaine, un peu par hasard, un peu par désœuvrement.
« J’écris d’un trait, je déteste me relire », raconte-t-il. Les idées germent dans son esprit, au détour d’une balade ou d’un film regardé sur Netflix. « Une situation, un début, une fin : tout me vient comme un coup de poing. » Écrire des histoires érotiques constitue aujourd’hui son principal loisir. Au grand déplaisir de son entourage, son épouse en tête. « Je suis désormais considéré comme un dépravé », s’amuse-t-il.
Offrir des frissons longue portée
Souvent, l’intrusion dans la littérature érotique amatrice se fait pourtant en plein accord avec le ou la partenaire. Cédric, Pierre-Alain, Clarissa : chacun·e a commencé pour un public très restreint, son (ou ses) amoureux·se(s) du moment. « Pendant une séparation géographique d’un an avec mon ami, je lui écrivais pour l’émoustiller à distance », raconte Clarissa Rivière. Elle a ensuite passé le cap de la publicisation et a lancé, il y a bientôt dix ans, un blog proposant des « récits coquins et sensuels », Les Goûters de Clarissa.
Patrick, lui, a découvert le site Revebebe, l’un des principaux recueils numériques gratuits d’histoires érotiques écrites par des amateur·rices, et s’est rapidement dit : « Pourquoi pas moi ? » Depuis 2003, il partage ses aventures avec ses lecteur·rices. « Écrire me permet de conserver le souvenir de certains moments. Mes textes sont souvent un mélange entre imagination et réalité, un peu comme avec les yaourts qui ont des vrais morceaux de fruits dedans », explique-t-il, métaphore à l’appui.
Quelle est la part de vécu de ces textes, des mains de milliers d’anonymes qui remplissent les pages de ces sites et blogs ? La plupart s’écrivent à la première personne du singulier. « L’écriture est un lieu d’expérimentation, où l’anonymat permet de jouer, sans risquer son identité sociale. Dans l’imaginaire, on peut s’inventer ou exprimer des fantasmes qu’on ne voudrait pas réaliser en réalité », nuance Béatrice Damian-Gaillard, enseignante-chercheuse en porn studies à l’université Rennes‑I.
« Même avec un “je”, certaines histoires qui nous parviennent sont si farfelues qu’il est évident qu’elles n’ont jamais été expérimentées. C’est une décharge de fantasme par le stylo », explique en souriant Flore Cherry, responsable du pôle numérique d’Union, la revue des libertin·es, qui publie depuis cinquante ans des lettres sexy de lecteur·rices. Elle-même autrice (professionnelle), elle anime par ailleurs des ateliers d’écriture érotique et recommande d’en passer par le « je ». « Les amateurs et amatrices évitent ainsi les problèmes de narration. Le narrateur ou la narratrice est omniscient, cela facilite la construction du récit. »
L’amour du style
Une composition intelligible et cohérente, c’est le préalable à la publication des textes, à Union comme sur les sites moins glamour. Mais faut-il avoir du style ? « Tout est une question d’intention. S’il est sincère, un texte peut être réussi même s’il est mal écrit », estime Flore Cherry. Les érotographes amateur·rices confessent quand même pour la plupart un amour des mots. Pierre-Alain, chef d’une entreprise de logistique et collaborateur régulier d’Union, aime « habiller de sensualité les mots crus ». Cédric, ex-pubard, qui publie ses textes dans des recueils ou des revues telles que Le Bateau, expose sa « volonté d’y mettre toujours une qualité littéraire ».
Au-delà du plaisir d’écrire, les histoires érotiques ont amené Clarissa à la découverte d’un univers, le BDSM. Invitée comme blogueuse dans un événement fétichiste, elle est « passée de l’autre côté du miroir, une révélation ».
Christ, lui, y a trouvé des ami·es. Toute une nouvelle sociabilité, qui le fait échanger avec ses lecteur·rices. « 2 000 au quotidien, 10 millions de vues pour mes histoires », précise-t-il, assez fier de ces statistiques. Parmi elles et eux, des timides du clavier, qui lui adressent désormais leurs histoires pour que l’érotographe les pimente. Comme ce jeune couple qui lui a envoyé 26 pages « très sages » que Christ agrémente de scènes de son imagination. Le couple ne veut rien lire en avant-première et découvre la version hot de son histoire en même temps que les autres habitué·es de HDS.
« Cette pratique sociale, individuelle a priori, est créatrice de relations sociales. L’écriture fait émerger des collectifs, qui partagent des expériences », analyse Béatrice Damian-Gaillard. « Don et contre-don, comme dans le sexe. La sexualité, c’est un partage. Partager des histoires, c’est une façon de vivre sa sexualité », estime la chercheuse.
Taquiner les normes
Plus que l’excitation de son lectorat, Cédric cherche « à pousser les gens hors de leurs sentiers battus ». Ce que permet, selon lui, la littérature érotique. Pierre-Alain, lui, en fait un outil militant : « Je veux démontrer qu’on peut parler de sexe avec beauté et avec style. User du pouvoir des mots pour défendre les sexualités alternatives et les combats sociétaux, comme le féminisme. »
Sa position n’est pas encore majoritaire. « La plupart des lettres que je corrige mettent en scène des fantasmes très normés. Ils ne dévient pas beaucoup des représentations dominantes », rapporte Pauline Verduzier1, journaliste et correctrice du courrier des lecteurs d’Union. Et ajoute : « Je ne porte pas de jugement moral. Ce sont les normes qu’on nous matraque. » Bonne nouvelle, les écrivain·es du dimanche ont donc encore de nouveaux horizons à explorer !