Dans leur documentaire animé intitulé Inside Kaboul et publié le 8 mars sur France.tv, les réalisateur·rices Caroline Gillet et Denis Walgenwitz vous proposent de suivre le quotidien de deux Afghanes après l’arrivée des talibans au pouvoir. Raha est restée à Kaboul, Marwa a décidé de fuir.
Alors que la journée du 8 mars est l’occasion de rappeler la lutte quotidienne pour les droits des femmes dans de nombreux pays, elle est aussi l’occasion de rappeler que certains pays continuent de bafouer ces droits. C'est le cas en Afghanistan où, depuis l'arrivée des talibans au pouvoir le 15 août 2021, les mesures liberticides à l'encontre des femmes ne cessent de voir le jour. De sorte que ce jour-là, les vies de nombreuses Afghanes, dont celles de Marwa et Raha, ont basculé dans l'enfer. Inside Kaboul est un documentaire animé, réalisé par Caroline Gillet et Denis Walgenwitz, disponible dès le 8 mars sur la plateforme de france.tv. Ce documentaire suit les destins parallèles de Raha et Marwa depuis la prise de Kaboul par les talibans. Adapté d’un podcast original de France Inter, il permet de comprendre de l’intérieur ce qui se passe en Afghanistan.
Pendant une trentaine de minutes, des « bandes sonores », enregistrées avec la fonction « vocal » des smartphones, de la vie de Marwa et Raha défilent, accompagnées des illustrations de l'autrice graphique Kubra Khademi. Ce documentaire est né de l'interrogation de la journaliste Caroline Gillet. « Au moment de la chute de Kaboul je me suis demandé comment des jeunes filles d'une vingtaine d'années pouvaient intimement vivre ça », explique-t-elle à Causette lors d'un entretien en visioconférence avec Raha et Marwa. C'est par un ami qu'elle est entrée en contact avec les deux Afghanes. Et très vite, le lien s'est créé entre les trois femmes. Caroline Gillet a proposé à Marwa et Raha qu'elles lui envoient des témoignages et des ambiances pour commencer à raconter leur histoire. C'est ce qu'ont fait les jeunes femmes depuis août 2021. En retour, Caroline Gillet envoyait régulièrement des bandes sonores d'ambiance de la France aux deux Afghanes « pour vraiment avoir la sensation d'être auprès d'elles », précise-t-elle.
A travers les enregistrements de Raha à Kaboul et de Marwa, partie dans un camp de réfugié·es à Abou Dabi (Émirats arabes unis), ce documentaires retrace les choix que les deux jeunes femmes ont dû réaliser du haut de leurs vingt ans depuis la prise de Kaboul par les talibans. Rester à Kaboul auprès de sa famille et de ses proches, mais subir l'oppression dramatique et systémique que le régime taliban impose aux femmes, ou partir, pour aspirer à un futur meilleur, mais quitter sa famille, ses amis, sa maison, pour une petite chambre dans un camp de réfugié·es à l'étranger. Ce format singulier permet d'être propulsé au cœur d'un pays qui vient de faire un retour en arrière dans les années 90. Entre les moments d'espoirs et les atteintes à leur liberté, Raha et Marwa racontent des vies qui ne ressemblent en rien à celles qu'elles avaient imaginées.
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Pour Raha, ce projet était « l'opportunité de raconter la vérité sur ce qu'il se passait à l'intérieur de Kaboul, parce que les médias locaux n'en parlaient pas », indique-t-elle à Causette. Mais ça n'a pas toujours été simple . « Quand j'étais à Kaboul, c'était très difficile pour moi d'enregistrer des vidéos, parfois, je voyais des talibans, même si j'avais beaucoup, beaucoup de choses à partager », précise-t-elle. Dès le premier essai d'enregistrement sonore pour Caroline Gillet, Marwa, elle, s'est sentie « libérée de ce qu'elle avait dans la tête ». Elle raconte à Causette être montée sur toit de son quartier, et avoir commencé à raconter ce qui se passait dans sa vie, elle avait « l'impression de pouvoir parler à une amie, à quelqu'un qui pouvait [l]'écouter ».
Ce documentaire s'arrête en mai 2022. Raha est alors toujours à Kaboul avec sa famille, et « prie Dieu de détruire ce gouvernement de la pire façon qu'il soit ». Marwa a, elle, obtenu des billets pour partir avec son mari du camp de réfugiés d'Abou Dabi pour partir vivre Allemagne. Que sont-elles ensuite devenues ?
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Lors de l'entretien en visioconférence, les deux Afghanes ont accepté de raconter la suite de leur histoire à Causette. Quelque temps après son arrivée en Allemagne, Marwa a obtenu une bourse d'études pour venir étudier à Paris où elle est encore actuellement. Depuis qu'elle a quitté Kaboul, l'Afghane n'a pas revu sa famille. La jeune femme de vingt ans faisait partie d'une famille de onze personnes. Toute sa famille a été évacuée du pays vers les Etats-Unis ou l'Iran, sauf son père, resté à Kaboul et encore bloqué là-bas aujourd'hui. Maintenant que Marwa est occupée à étudier, elle n'est « plus aussi inquiète et triste et déprimée que quand [elle était] dans le camp de réfugiés, parce qu'à l'époque, [elle n'avait] pas grand chose à faire et [elle n'avait] pas d'espoir ». Elle sait que si « elle ne revoit pas sa famille cette année, ce sera l'année prochaine » et « ça la rend heureuse ».
Quant à Raha, beaucoup de choses se sont passées depuis la fin du documentaire. Elle s'est mariée, puis a eu un enfant. Son frère l'a accompagné pour quitter l'Afghanistan, puisqu'il faut un accompagnateur masculin pour sortir du pays, mais son mari est toujours là-bas. Elle habite aujourd'hui à Islamabad (Pakistan) et sa famille essaie toujours de quitter l'Afghanistan.
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Marwa et Raha espèrent qu'un jour, le régime tombera. « J'espère qu'on pourra retourner là-bas plus fortes, plus pleines d'espoir, plus heureuses, avec plus d'expérience et avec une meilleure compréhension des différentes choses pour aider et soutenir ceux qui sont autour de nous. J'ai de l'espoir », déclare Marwa pleine d'émotions. Raha, elle, « a quitté le pays que depuis quelques jours » et explique que « c'est très dur de savoir que son pays souffre et qu'on ne peut rien faire pour aider ». Mais elle a espoir « qu'il y aura [un jour] un nouveau régime censé » et qu'elle pourra « retourner dans [son] pays avec plus de puissance, plus de ressources, plus d'expérience ».
En attendant, les deux Afghanes misent sur le « symbole puissant que représente la sortie de ce documentaire en France pour la journée du 8 mars ». Et espèrent que « ce film, les témoignages qu'on a donnés, les récits qu'on a faits, les histoires qu'on a racontées pourront aider à faire parler du sort des femmes en Afghanistan et apporter leur soutien aux femmes afghanes ».
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