![Laia Abril : portrait clinique de la misogynie 1 HS11 laia abril 1](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/02/HS11-laia-abril-1-779x1024.jpg)
Est-ce de l’art ou un travail documentaire ? « Ce que je fais, c’est réagir aux faits avec mes yeux. » En d’autres termes, un peu des deux. Laia Abril a 33 ans, est née en Espagne, à Barcelone, et s’est imposé la méticuleuse tâche de donner à voir par la photographie ce que le patriarcat fait aux femmes. À travers les époques et les pays, en plusieurs expositions et ouvrages, depuis qu’elle a commencé à faire de la photo et jusqu’à nouvel ordre, elle souhaite raconter « une histoire de la misogynie ». C’est méthodique et vertigineux, parce qu’elle cherche des « réponses aux questions qui l’obsèdent », mais aussi à répondre à « ceux qui voudraient que cela appartienne au passé ou à des régions du monde éloignées des nôtres ».
C’est d’ailleurs en Europe, en 2010, que tout a commencé. Après avoir étudié le journalisme, Laia Abril prend la tangente et se met à photographier des jeunes femmes souffrant de désordres alimentaires – auxquelles les diktats de beauté du patriarcat ne sont pas étrangers. En 2014, son livre autoédité The Epilogue, qui nous accompagne dans l’intimité d’une famille britannique endeuillée par la mort de Cammy, 26 ans, des suites de la boulimie, est rapidement épuisé. Viennent ensuite des travaux sur la prostitution, l’avortement illégal, le tabou des règles, les féminicides et, désormais, la culture du viol. Chez elle, l’image est souvent sombre, presque clinique, et l’absence de fioritures renforce le propos. Comme un uppercut, le 31 août, une photographie de Laia Abril faisait la Une du quotidien Le Monde pour illustrer une enquête sur les féminicides à La Réunion : celle d’une pierre tombale couverte de fleurs en mémoire d’une femme tuée par son ex-conjoint.
Gratifiée d’une exposition aux prestigieuses Rencontres d’Arles (Bouches-du-Rhône) en 2016 et auréolée de plusieurs prix, comme le Prix du livre photographique de Paris Photo en 2018 et la Hood Medal de la Royal Photographic Society de Londres en 2019, Laia Abril est, aux yeux des spécialistes, LA photographe de sa génération : emblématique d’un genre à la croisée de l’art, de l’investigation, de l’immersion, et qui plaît autant aux institutions qu’aux structures plus underground. Le nouveau chapitre de son œuvre, On Rape Culture (« sur la culture du viol »), sera exposé dans la galerie parisienne Les Filles du Calvaire à partir du 25 janvier. Et ensuite ? Peut-être que ses pas la porteront auprès des féministes chiliennes, dont « l’énergie, la résilience et la sororité exprimées dans les manifestations actuelles » sont un puits d’espoir pour elle.
On Rape Culture, de Laia Abril, à la galerie Les Filles du Calvaire, à Paris. À partir du 25 janvier.
![Laia Abril : portrait clinique de la misogynie 2 HS11 laia abril 2](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/02/HS11-laia-abril-2-1024x684.jpg)
![Laia Abril : portrait clinique de la misogynie 3 HS11 laia abril 3](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/02/HS11-laia-abril-3-878x1024.jpg)
Mythes sur les menstruations : maladie de la vache folle
Le syndrome prémenstruel est aujourd’hui associé à des centaines de symptômes, dont le stress, l’anxiété, les troubles du sommeil, les maux de tête, les crampes abdominales, la sensibilité des seins, l’acné, les changements d’humeur et de libido. En Finlande, il est surnommé « maladie de la vache folle » et a parfois été considéré comme une forme de folie. En 2013, le trouble dysphorique prémenstruel – une forme grave et invalidante de ce syndrome – a été classé comme trouble mental par l’Association américaine de psychiatrie.
![Laia Abril : portrait clinique de la misogynie 4 HS11 laia abril 4](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/02/HS11-laia-abril-4-1024x683.jpg)
Féminicides
La série Feminicides se veut un monument à toutes les femmes éliminées parce qu’elles étaient des femmes. Environ 66 000 femmes et filles sont victimes de meurtres violents chaque année dans le monde. L’une des formes les plus courantes est le « féminicide intime », c’est-à-dire commis par un mari, un ex-mari, un petit ami ou un ex-petit ami. Il représente 35 % de ces crimes.
![Laia Abril : portrait clinique de la misogynie 5 HS11 laia abril 5](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/02/HS11-laia-abril-5-683x1024.jpg)
Sur le viol : Ala Kachuu (enlèvement d’épouse), Kirghizistan
Alina, 21 ans, Kirghizistan :
« J’ai vu mon mari pour la première fois le jour de mon mariage. Ses amis m’ont conduite à lui. J’ai cru que je n’arriverai pas à le supporter car j’étais furieuse contre lui. J’aimais un autre homme, et je rêvais de devenir sa femme. Au lieu de cela, j’ai été forcée d’épouser l’homme qui m’avait enlevée. Au début, quand je l’ai affronté, il a gardé le silence, puis il s’est excusé. Ma sœur aussi a été enlevée par le passé, mais elle s’est enfuie. La cérémonie religieuse, Nike, a été organisée très rapidement et immédiatement enregistrée officiellement pour que je ne puisse pas y échapper. Avant cela, j’étais une étudiante de 21 ans en quatrième année à l’université Arabaev. Je voulais être styliste. Pendant les vacances, j’avais rendu visite à ma famille car je ne voulais pas rester seule dans la résidence étudiante, craignant de subir le même sort que ma sœur ; j’ai donc voyagé le soir du Nouvel An. Je me souviens avoir cuisiné joyeusement la veille, puis je suis allée voir ma sœur et, sur le chemin du retour, j’ai été enlevée. Quand ma famille est arrivée chez le ravisseur, ma mère voulait me ramener, mais ma grand-mère m’a demandé de ne pas déshonorer ma famille. Ma sœur s’était déjà enfuie et les gens du village en avaient parlé pendant longtemps. J’ai commencé à pleurer, mais ma grand-mère m’a supplié d’y rester. C’est ce que j’ai fait. »
![Laia Abril : portrait clinique de la misogynie 6 HS11 laia abril 6](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/02/HS11-laia-abril-6-683x1024.jpg)
Sur l’avortement :
Procédure de l’aiguille à tricoter
Coupe transversale tridimensionnelle illustrant une tentative d’avortement à l’aiguille.
![Laia Abril : portrait clinique de la misogynie 7 HS11 laia abril 7](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/02/HS11-laia-abril-7-683x1024.jpg)
Kit d’instruments illégaux
Instruments médicaux détournés pour servir à des avortements illégaux.