
La photographe Carmen Abd Ali travaille pour des ONG en Afrique de l’Ouest. C’est en Mauritanie qu’elle a découvert la pratique du gavage des femmes, « mbelha » en hassaniya (dialecte arabe). La population maure considère depuis des temps immémoriaux l’obésité comme un critère de beauté absolu pour les femmes. C’est pourquoi, très jeunes, les filles ingurgitent des nourritures à base de bouillies, de lait de chèvre et de poudre de mil, en quantités astronomiques. Aujourd’hui, des médicaments détournés, parfois même vétérinaires, presque toujours dangereux, sont utilisés pour leurs effets secondaires spectaculaires sur les courbes féminines. Avec Le projet Mbelha, Carmen Abd Ali a voulu donner une voix aux Mauritaniennes, qu’elle a photographiées, interviewées et impliquées dans sa démarche artistique. Son travail, confie-t-elle, « questionne l’influence et l’impact des normes de beauté sur les femmes, leur corps et leur image », et l’absurdité de ces normes qui, où que ce soit, desservent les femmes puisqu’en Occident, à l’inverse, c’est l’obsession de la minceur qui domine. Là encore, parfois, au prix de la santé.
Une fille s'apprête à avaler un comprimé pour grossir. Certaines filles dont le poids est considéré trop bas, racontent subir l'indifférence des hommes et les moqueries des personnes qu'elles croisent. Face à ces jugements, certaines décident d'entamer une prise de poids et d'envisager toutes les solutions mises à leur disposition. Si des jeunes filles choisissent de passer des séjours en brousse dans le but de se gaver de nourriture, elles se rendent vite compte de la lenteur du processus de la prise de poids naturelle. Certaines d'entre elles se tournent alors vers la consommation de médicaments, parfois sur les conseils d'amies, pour une prise de masse expresse. Parfois conscientes des risques sur leur santé, elles disent être vigilentes et arrêter les antihistaminiques lorsqu'elles sentent les pulsations de leur coeur. En 15 jours, elles peuvent prendre jusqu'à 20kg. Ainsi, le regard des autres évoluent : elles sont complimentées, deviennent magnifiques et attrayantes. Pour avoir l’air plus grosse, toutes les techniques sont bonnes. Ici, une femme applique de l’huile « grossissante » et des ventouses pour gonfler son bras. Cette technique pour gonfler provisoirement est utilisée par certaines filles avant des événements sociaux imprévus (mariages, anniversaires etc.) dans le but d'être belle pour l'occasion. Les huiles utilisées contiennent généralement du fenugrec, connu pour augmenter la production d'œstrogènes et de progestérone. Une jeune fille régurgite du zrig après avoir été forcée d'en boire en grande quantité. Le zrig est une boisson traditionnelle mauritanienne composée de lait de chamelle ou de chèvre, qui se consomme frais ou caillé aditionnée d'eau et de sucre. Le gavage traditionnel commençait dès l’âge de 4 ans et s’inten- sifiait à l’adolescence en vue du mariage. Il était pratiqué par les autres femmes de la famille : mères, grands-mères, ou tantes. Il existait même et existe encore des camps spécialisés dans le gavage où l'on envoyait les jeunes filles suivre des séances intensives pratiquées par les "lembelhate" (gaveuses professionnelles). Certaines filles qui ont subi le gavage forcé racontent qu'on les obligeait à boire des litres de lait de chamelle, avec du couscous et du riz pendant des journées entières. Quand elles vomissaient, on les faisait ravaler leur vomi. Une jeune fille consomme du Pernabol. Le Pernabol est un sirop antihistaminique utilisé parmi d'autres pour ses effets secondaires. Son utlisation détournée au profit de la prise de poids a contraint les pharmacies mauritaniennes à ne le délivrer plus que sur ordonnance. Un marché noir s’est cependant mis[…]