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Sylvie Hofmann, l'infirmière star du nou­veau docu­men­taire de Sébastien Lifshitz : “L’hôpital public va de mal en pis”

Madame Hofmann, le nou­veau docu­men­taire de Sébastien Lifshitz (Les Invisibles, Bambi, Petite Fille), dresse le por­trait for­mi­dable d’énergie et d’engagement d’une infir­mière cadre de l’hôpital Nord de Marseille, pen­dant l’épidémie du Covid. Rencontre sans langue de bois avec cette désor­mais jeune retraitée…

Causette : Comment avez-​vous ren­con­tré Sébastien Lifshitz, cinéaste sen­sible et accom­pli, à mille lieues de votre uni­vers a prio­ri ?
Sylvie Hofmann : C’était au tout début de l’épidémie du Covid, en mars 2020. J’ai été contac­tée par Sandrine, sa direc­trice de cas­ting. Comme j’étais cadre infir­mière depuis qua­rante ans à l’hôpital Nord, à Marseille, ils se sont dit que je pour­rais leur don­ner les contacts d’infirmières ou d’aides-soignantes inté­res­sées par leur pro­jet. Sébastien cher­chait à faire le por­trait d’une femme en lutte dans le monde de l’hôpital, mais il ne pen­sait pas du tout à moi à l’époque. Je devais juste leur ser­vir d’intermédiaire. De toute façon, je n’avais le temps de rien à ce moment-​là. C’était le coup de feu per­ma­nent à l’hôpital. Tellement d’ailleurs, que lorsque Sébastien a sou­hai­té me voir, pour me poser des ques­tions sur le fonc­tion­ne­ment du CHU [centre hos­pi­ta­lier uni­ver­si­taire, ndlr], je lui ai don­né rendez-​vous devant la bou­lan­ge­rie, juste à côté. Le rendez-​vous a duré quelques minutes, je suis repar­tie tra­vailler et je l’ai oublié ! Jusqu’à ce que Sandrine me rap­pelle et me dise : “Dis donc, ça a mat­ché avec Sébastien, il veut venir te voir dans ton ser­vice !” Il est donc venu, avec un masque FFP2 bien sûr, c’était obli­ga­toire à l’époque, et c’est là qu’il m’a dit : “Mon actrice, c’est toi !”

Qu’est-ce qui vous a déci­dé, vous, la femme de l’ombre, à deve­nir l’héroïne d’un film ?
S.H. : Ma pre­mière réac­tion a été de lui dire que j’avais une vie quel­conque et qu’en plus, au vu des cir­cons­tances, je ne pour­rai pas m’occuper de lui ! Et puis je ne connais­sais pas son tra­vail. J’ai donc regar­dé cer­tains de ses films, notam­ment Petite Fille, que j’ai trou­vé for­mi­dable, et c’est là que j’ai décou­vert la per­son­na­li­té hyper­sen­sible de Sébastien. Mais j’avoue qu’au début du tour­nage, je n’ai pas eu le temps de réflé­chir, tel­le­ment j’avais la tête sous l’eau ! En plus, Sébastien a fil­mé mon quo­ti­dien pen­dant un an… Donc au bout d’un moment, on ne se ren­dait même plus compte qu’il était là, mon équipe et moi. Il fai­sait par­tie de notre vie. Il est tel­le­ment gen­til, tel­le­ment bien­veillant, c’était un peu comme un frère pour moi !

Ces mois de pan­dé­mie, avec l’afflux de malades, la fatigue, la pres­sion et le manque de moyens à l’hôpital, n’ont-ils pas pesé, aus­si, dans votre déci­sion ?
S.H. : Oui, vous avez rai­son. Vous vous rap­pe­lez, au début du Covid, les gens nous applau­dis­saient le soir. Mais à pré­sent que le Covid est pas­sé, tout le monde s’en fout de nous. Eh bien moi, le Covid, je l’ai eu trois fois, même avec les vac­cins. On était en contact per­ma­nent avec des malades, c’était obli­gé de l’attraper ! Donc voi­là, c’était bien beau d’applaudir, mais les gens ne savaient pas ce que l’on vivait au cœur de l’action, sur­tout pen­dant la pre­mière vague. À ce moment-​là, on a eu des décès en veux-​tu en voi­là et, pour­tant, on arri­vait tou­jours à faire rire les patients. Rire, c’est beau, même quand il vous reste peu de temps à vivre… Je trouve que Sébastien a bien fait res­sor­tir tous les côtés de la situa­tion. À la fois le côté pesant de l’épidémie et le côté joyeux de l’équipe. C’est fort.

Diriez-​vous qu’à tra­vers votre por­trait, Sébastien Lifshitz donne à voir, aus­si, un film poli­tique sur l’état de la san­té publique en France ?
S.H. : Je ne l’ai pas sen­ti au début. Puis, un jour, je lui ai expli­qué que je devais aus­si m’occuper de ma maman, elle a 87 ans et en est à son cin­quième can­cer. Ma maman qui, elle-​même, a été aide-​soignante qua­rante ans de sa vie. Aussitôt il m’a dit : “Je viens avec toi !” Et c’est là que j’ai com­pris qu’à tra­vers nos deux géné­ra­tions, le film allait par­ler, aus­si, de l’évolution de la san­té publique. Une évo­lu­tion qui me déses­père, car je pense réel­le­ment que l’hôpital public va de mal en pis. Au tout début de ma car­rière, je n’entendais jamais qu’on allait fer­mer les lits. Cette phrase est arri­vée il y a une dizaine d’années : Allez, on ferme les lits, ce n’est pas grave !” Mais mes patients, ils sont tou­jours là, j’en fais quoi ? C’est fou : on a le maté­riel, on a les lits, mais on n’a pas le personnel.

Vous l’expliquez com­ment ?
S.H. : Vous savez, à l’hôpital, on tra­vaille les jours fériés, les week-​ends, tout ça pour un salaire vrai­ment pas extra­or­di­naire. Pas très moti­vant pour la nou­velle géné­ra­tion d’infirmières et d’aides-soignantes ! Mais qu’est-ce que vous vou­lez que moi, en tant que cadre, je leur réponde ? Bien sûr, il y a ce truc de dire : je le fais par pas­sion. C’est magni­fique de sau­ver des vies, je suis la pre­mière à le pen­ser ! Mais les jeunes, aujourd’hui, ils font atten­tion à leur qua­li­té de vie et à leur vie pri­vée. Franchement, à mon âge, avec le recul, je me demande s’ils n’ont pas raison.

L’argent devient en effet un pro­blème récur­rent à l’hôpital, et à tous les niveaux non ?
S.H. : Aux États-​Unis, quand vous arri­vez à l’hôpital, la pre­mière chose qu’on vous dit c’est : “Blue Card please !” (Carte bleue, s’il vous plaît). Alors qu’en France, on vous demande encore : “Vous avez mal où ?” C’est magni­fique ce sys­tème, ça per­met à tout le monde d’avoir accès aux soins. Mais je ne sais pas si ça va pou­voir conti­nuer, et c’est triste. Petit à petit, je le vois bien, le patient est obli­gé de payer, sauf s’il a une mutuelle un peu cos­taud. Oui, petit à petit, on se dirige vers le sys­tème amé­ri­cain. Pour moi qui ai fait toute ma car­rière dans l’hôpital public, c’est inacceptable. 

Par-​delà cette dimen­sion poli­tique, le film brasse plu­sieurs sujets, dont celui de la mort, qui, for­cé­ment, rebon­dit sur celui de la fin de vie puisque vous tra­vailliez dans un ser­vice d’oncologie et de soins pal­lia­tifs… Un sujet très actuel !
S.H. : La mort, je ne veux pas la plan­quer. Je l’appelle “la fau­cheuse” : c’est ma meilleure amie, elle me suit depuis de longues années. À l’hôpital, dans le ser­vice de soins pal­lia­tifs où je tra­vaillais alors, les gens savent que le temps est limi­té. Mais quand vous n’avez pas mal et que vous n’êtes pas anxieux grâce aux pro­to­coles mis en place, vous pou­vez pro­fi­ter de tous les ins­tants, jusqu’au der­nier. C’est impor­tant : avec mon équipe, il nous est arri­vé par exemple de résoudre des pro­blèmes fami­liaux, comme un papa fâché avec ses enfants… L’idée étant de lais­ser par­tir la per­sonne de façon pai­sible. Après, bien sûr, quand on est dans la souf­france, je peux com­prendre que l’on songe au sui­cide assisté.

La retraite, autre grand sujet, est éga­le­ment au cœur du récit, puisque le film docu­mente votre der­nière année à l’hôpital. Est-​ce aus­si la rai­son pour laquelle ce film était impor­tant pour vous ?
S.H. : Mais ça n’était pas pré­vu que je parte à la retraite ! Pas si tôt en tout cas, je n’avais que 58 ans. Le Covid a tout fait bas­cu­ler : j’ai per­du en par­tie mon audi­tion. Le film s’ouvre sur cette séquence d’ailleurs : je viens de faire des tests et l’otorhino me demande si je suis stres­sée. Le mot est faible ! On était tel­le­ment en sous-​effectif à ce moment-​là que j’avais l’impression de jouer à Tetris, chaque jour, quand je fai­sais – et défai­sais – les emplois du temps du ser­vice. Bref, à l’issue de ces exa­mens, ma maman m’a dit : pars à la retraite, tu ne vas quand même pas mou­rir à l’hôpital ! Et je l’ai écou­tée. Mais quand je l’ai dit à Sébastien, il n’en reve­nait pas ! C’est comme ça que mon départ à la retraite est deve­nu l’un des sujets du film, et même son fil rouge…

Votre sou­rire, votre humour, votre éner­gie illu­minent le film, même si l’on vous sent épui­sée, et pas fâchée que cela se ter­mine. Comment allez-​vous, aujourd’hui ?
S.H. : J’ai l’impression de vivre enfin ! Une vie de vacances, de voyages, d’amis. Je pro­fite aus­si de ma fille, mon fils, mon petit-​fils. Avant, ce n’était que le tra­vail, le tra­vail, le tra­vail. Attention, je ne regrette rien, c’est beau de s’occuper des autres ! Quelqu’un qui vous dit mer­ci, ça vous rem­plit. Et puis j’ai ren­con­tré des per­sonnes for­mi­dables. Même si je ne remets plus les pieds à l’hôpital Nord, je déjeune par­fois à l’extérieur avec des infir­mières de mon ser­vice. C’est beau de voir ces jeunes femmes, elles ne comptent pas leurs heures, c’est vrai­ment un métier de pas­sion. D’ailleurs, avec ce film, j’espère don­ner envie aux jeunes géné­ra­tions de tra­vailler, comme moi, comme elles, dans un CHU. C’est tel­le­ment enri­chis­sant. Mais main­te­nant, hon­nê­te­ment, je vis le bonheur…

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Madame Hofmann, de Sébastien Lifshitz. Sortie le 10 avril.

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