La jeune fille et le ballon ovale Photo 8 ©Droits reserves 1
© Christophe Vindis

“La jeune fille et le bal­lon ovale” : docu­men­taire sur une joueuse de rug­by à Madagascar

Nous ne lais­se­rons pas au jour­nal Valeurs actuelles la récup facile des valeurs du rug­by à des fins contes­tables. Alors que la Coupe du monde de rug­by bat son plein en France, le Festival Le Grand Bivouac, à Albertville (Savoie), pro­pose de décou­vrir un joli docu­men­taire : La Jeune Fille et le Ballon ovale, sur une équipe de rug­by fémi­nine de la côte Saphir, à Madagascar. L’héroïne de ce film, Marcelia, 16 ans et fille mère, s’émancipe par le sport. Interview avec Christophe Vindis, son réalisateur.

Causette : Racontez-​nous la genèse de ce joli film…

Christophe Vindis : Je viens d’un ter­ri­toire, puisque main­te­nant il faut par­ler de ter­ri­toire et non plus de pro­vince [rires, ndlr], où le rug­by est très impor­tant. Je viens d’Agen, mais je suis le fruit d’une immi­gra­tion : ma mère est ita­lienne et mon père tché­co­slo­vaque. Le rug­by m’a per­mis de prendre racine dans ce ter­ri­toire, d’appartenir à une com­mu­nau­té. Ça peut se faire autre­ment, bien sûr, mais pour moi, c’était le che­min le plus facile. De là où je viens, le rug­by est vrai­ment plus qu’un sport. C’est une manière de réunir les gens, de créer du lien, de faire des choses ensemble. Ça a mar­qué ma jeu­nesse. Quand j’ai com­men­cé à vou­loir faire du docu­men­taire, natu­rel­le­ment, j’ai eu envie de faire des films sur le rug­by qui, à chaque fois, était un pré­texte pour racon­ter des his­toires de per­sonnes, de groupes, de pays. Et puis, il y a quelques années, j’ai ren­con­tré Pierre Gony, ancien rug­by­man, qui venait de mon­ter une asso­cia­tion : Terres en mêlées. Son idée : se ser­vir de ce sport pour trans­mettre des formes édu­ca­tives un peu nou­velles. Il a com­men­cé à le faire dans les cités à Toulouse, puis il est par­ti dans le nord de l’Afrique, au Maroc et l’association a conti­nué de se déve­lop­per. Jusqu’au jour où il est venu me voir en me disant : “Je reviens de Madagascar et je viens de ren­con­trer une com­mu­nau­té de pêcheurs, les Vezo, sur la côte Saphir, pas loin de Tuléar, à l’ouest de l’île.” Dans ces régions, il n’y a plus de profs, plus d’instits, plus d’école. Le rug­by est un sport assez popu­laire à Madagascar. C’est nous, colons fran­çais qui avons lais­sé des stades et quelques bal­lons là-​bas. Il y a pas mal de pro­grammes autour du rug­by dans la capi­tale, Tananarive. Mais lui a déci­dé d’aller le plus loin pos­sible de la capi­tale, jus­te­ment, vers les popu­la­tions qui étaient les plus reje­tées et le plus en dif­fi­cul­té. Il est arri­vé dans ce village-​là, avec son bal­lon et les enfants sont venus tout de suite. Il a remar­qué que les filles n’étaient pas en reste et il en a remar­qué une notam­ment, qui s’appelait Marcelia. Elle avait un enfant dans les bras qu’elle a posé sur la dune pour aller tou­cher du bal­lon. Quand il est reve­nu en France, il m’a dit : “J’ai le sujet de ton pro­chain film, tu ne peux pas pas­ser à côté !”

Causette : C’est comme ça que Marcelia est deve­nue l’héroïne de votre film

C.V. : Dès qu’on croise son regard, quelque chose se passe d’assez incroyable. Elle est assez magné­tique comme fille, c’est indé­niable. J’ai ren­con­tré une pro­duc­trice, Marie Dumoulin, qui était très inté­res­sée par les pro­blé­ma­tiques concer­nant les jeunes filles. J’ai deux filles et ma plus grande avait l’âge de Marcelia quand j’ai com­men­cé à m’intéresser à son cas et, du coup, il y avait sans doute des échos avec ma propre vie. Pour un père, une fille, c’est un peu une terre incon­nue, donc en côtoyant Marcelia et les autres joueuses, même si ce n’est pas la même culture, le même milieu socio-​éducatif, c’était une manière pour moi, de com­prendre les jeunes filles de façon un petit peu plus uni­ver­selle. D’ailleurs, ça a cor­res­pon­du au moment où ma fille m’a dit qu’elle vou­lait faire du rug­by. Ça aus­si j’ai dû che­mi­ner pour me faire à cette idée !

Causette : Comment décririez-​vous la situa­tion des jeunes filles dans ce pays et notam­ment dans cet endroit où vous avez filmé ?

C.V. : À Madagascar, être une fille, c’est déjà un pre­mier han­di­cap. Alors quand on est fille et qu’on est Vezo, c’est encore plus com­pli­qué. Si en plus on est fille mère très tôt, ce qui est fré­quent, alors là, on coche toutes les cases de l’assignation à rési­dence à per­pé­tui­té… Normalement, une fille comme Marcelia est des­ti­née à res­ter chez elle toute sa vie, dans la petite mai­son en bois à s’occuper de son gamin. Les gros­sesses pré­coces, c’est un vrai fléau à Madagascar. Mais ce que Marcelia a com­pris très vite, c’est que ce bal­lon ovale allait lui per­mettre de se bar­rer de chez elle et de bou­ger ! Elle avait en elle une envie de décou­vrir le monde, de connaître autre chose que sa réalité.

Causette : En même temps, les parents, dans le film, et notam­ment les mères, ont pas mal d’ambition pour leur fille. Toutes disent qu’elles vou­draient que leur fille fasse mieux qu’elles. Qu’elles ne tombent pas dans les mêmes pièges.

C.V. : Oui, c’est tout le para­doxe parce qu’en fait dans ces sociétés-​là, ce sont les femmes qui tiennent tout. Donc elles ont tou­jours l’espoir pour leurs filles que ce soit dif­fé­rent. Elles ne veulent sur­tout pas se rési­gner à la fatalité.

Causette : Qu’est-ce que le rug­by apporte à ces filles ?

C.V. : De l’assurance d’abord et de la confiance en soi. Et puis elles se confrontent aux gar­çons parce que, sou­vent, elles jouent avec eux. Les équipes sont mixtes au départ : elles plaquent les gar­çons, elles leur montrent ce dont elles sont capables. Quand je les ren­contre pour le film, elles jouent depuis un an et demi envi­ron, c’est plus pro­fes­sion­nel et elles se pré­parent pour un grand tour­noi à Tananarive, donc à ce stade, il s’agit d’une équipe non mixte. Il y a des tour­nois inter­vil­lages, ce qui per­met de créer des formes de soli­da­ri­té entre vil­lages, de s’ouvrir à la culture des autres. Cela crée des connexions entre jeunes. Ça ouvre leur uni­vers, leurs perspectives.

Causette : Comment se déploie l’association Terres en mêlées à Madagascar ?

C.V. : Le sys­tème de Pierre Gony, c’est que très vite ce sont les gens sur place, les Malgaches en l’occurrence, qui s’approprient tout ça. Il com­mence par recru­ter des édu­ca­teurs poten­tiels avec qui il a tra­vaillé et réflé­chi en amont. Aujourd’hui, je crois qu’ils en sont entre trente et qua­rante édu­ca­teurs. Ils leur donnent une cer­ti­fi­ca­tion comme Angèle, la coach de l’équipe de Marcelia. Ce n’est pas le “gen­til blanc” qui arrive et qui cha­peaute tout en fai­sant de la cha­ri­té. Pierre est très enga­gé de manière huma­niste, mais son truc, c’est de don­ner les outils aux gens et ensuite ça leur appar­tient. Ils ont for­mé trente mille gamins quand même ! Ils ont un par­te­na­riat avec le minis­tère des Sports pour orga­ni­ser des détec­tions, des jour­nées, des tour­nois, etc. Ils ont obte­nu l’agrément de l’État mal­gache, ce qui n’était pas une mince affaire parce que c’est vrai­ment un état très corrompu.

Causette : Il y a cette coach incroyable, Angèle !

C.V. : Angèle connais­sait déjà le rug­by avant de ren­con­trer Pierre Gony. Elle avait déjà une cer­taine expé­rience, elle était prête à être for­mée rapi­de­ment. Elle est jeune, elle aus­si. Elle vient de Tuléar, la grande ville la plus proche. Il y a une espèce de pro­jec­tion pos­sible de la part des filles de l’équipe sur celle qui a “réus­si” à s’en sor­tir. Elles se disent : “Si elle a réus­si, ben nous, on peut aus­si on peut.” 

Causette : Des nou­velles de Marcelia ?

C.V. : C’est elle qui est deve­nue la coach de l’équipe. La Société géné­rale, qui a une filiale à Madagascar, s’est inté­res­sée via sa fon­da­tion – un moyen très pra­tique de se don­ner bonne conscience – à Terres en mêlées. Cette banque est un gros spon­sor du rug­by en France. Ils ont vu le film via la Fédération fran­çaise de rug­by et ils ont déci­dé d’inviter Marcelia et deux de ses coéqui­pières en France pour venir à la fois pré­sen­ter le film et pour don­ner le coup d’envoi d’un match du Tournoi des Six Nations, au Stade de France à Paris, devant 85 000 per­sonnes France. C’était en 2018 ou 2019. Elle a pas­sé quinze jours en France avec ses deux copines, elles ont fait une sorte de tour­née. Un truc assez fou. Au final, la Société géné­rale a trou­vé qu’elle était lumi­neuse et a déci­dé d’en faire une sorte d’égérie pour une cam­pagne de publi­ci­té pour la Coupe du monde à Tokyo. Elle s’est retrou­vée sur les affiches et les spots publi­ci­taires qui pas­saient à la mi-​temps de tous les matchs. Elle a été nom­mée jeune fille de l’année à Madagascar, a été invi­tée dans des col­loques sur l’émancipation fémi­nine par le sport dans de nom­breux pays en Afrique, au Moyen-​Orient. J’ai même eu un petit peu peur qu’elle explose en vol. La Société géné­rale et Terre en mêlées l’ont fait venir à Tuléar pour qu’elle puisse reprendre ses études et obte­nir un cer­ti­fi­cat. Elle est sala­riée comme édu­ca­trice. C’est elle qui devient ins­pi­rante pour les autres filles.

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Le Grand Bivouac, Festival du ciné­ma docu­men­taire et du livre, à Albertville (Savoie), du 16 au 22 octobre.

Lire aus­si I Festival Le Grand Bivouac : on prend ses places !

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