Un coup de foudre pas si simple au Québec, une amitié féminine qui dérange au Soudan, un van polonais en forme de refuge en Ukraine… Voici les sorties ciné du 8 novembre.
Simple comme Sylvain
Osons une formule clichée : le troisième opus de Monia Chokri est sans aucun doute son “film de la maturité”. Entendez le plus réussi ! On s’autorise d’autant plus facilement cette phrase toute faite que l’alerte cinéaste québécoise s’amuse comme jamais, ici, à surfer sur les stéréotypes, et cela sans jamais trébucher.
Empruntant les codes de la comédie romantique pour mieux les déminer, Simple comme Sylvain raconte ainsi le coup de foudre pas si simple entre deux êtres que tout oppose… Mais alors vraiment tout ! Quand Sophia, charmante prof de philo à Montréal (Magalie Lépine Blondeau, tout en finesse et frémissements) rencontre Sylvain, charpentier aux allures de bûcheron sexy (Pierre-Yves Cardinal, rustre et fougueux à souhait), une passion sensuelle, irrésistible, naît immédiatement entre eux. Ponctuée de repas amicaux ou familiaux savoureusement interloqués, gênés et volubiles, mais aussi d’extraits de cours de Sophia, qui étudie l’amour avec sa classe de retraités en s’appuyant sur Platon et Spinoza, l’affaire s’avère à la fois réjouissante et profondément mélancolique.
Ce va-et-vient entre théorie et pratique raconte on ne peut mieux la valse-hésitation de notre héroïne entre raison et passion, confort et prise de risque (elle vit en couple depuis dix ans avec un Xavier gentiment pontifiant). Une oscillation malicieuse qu’emprunte également le récit, toujours à la croisée de la tendresse et de la cruauté. C’est dire à quel point l’adultère de Sophia permet à Monia Chokri de chahuter clichés sociaux et conventions scénaristiques. Pas de romantisme niaiseux (c’est même souvent très cru). Pas d’étoiles dans les yeux, mais des regards qui se croisent puis se fuient par le biais de reflets et de clairs-obscurs. Pas de happy end à l’horizon. Sans doute parce qu’il n’y a pas de réponse simple à la grande question qui anime ce film enlevé : peut-on aimer l’autre, aussi différent soit-il de nous ?
Simple comme Sylvain, de Monia Chokri.
© Memento Film
Goodbye Julia
Ce premier long-métrage a fait sensation au dernier festival de Cannes : pensez donc, un film soudanais en sélection officielle, du jamais vu ! Reste qu’au-delà de son identité singulière, Goobye Julia se distingue aussi par ses deux héroïnes, formidablement attachantes, la beauté de sa lumière et de ses cadres, et sa limpidité irrésistible sur un sujet pourtant complexe.
Mohamed Kordofani, son réalisateur, nous projette à Khartoum, en 2005, alors qu’un chaos généralisé s’est emparé de la capitale du Soudan. Nul besoin de connaître dans les détails les tenants et aboutissants de ces violences, qui ont mené à la séparation du nord et du sud du plus grand pays d’Afrique en 2011, pour comprendre. Tout s’éclaire, peu à peu, en suivant les vies entrelacées de Mona et de Julia et leur amitié qui dérange… Car Goodbye Julia n’est pas un film historique mais un conte intense, qui s’appuie en toute simplicité sur ses personnages et ses comédiennes (magnifiques Eiman Yousif et Siran Riak).
Prenez Mona et Julia : la première, chanteuse qui a renoncé à la scène sous l’injonction de son mari, est riche, musulmane et sans enfants. C’est une Soudanaise du Nord. La seconde, qui vient de perdre son mari, est pauvre, catholique et mère d’un petit garçon. C’est une Soudanaise du Sud (considérée par les gens du Nord comme inférieure…). Leur rencontre se tisse autour d’un secret : indirectement responsable de la mort du mari de Julia, Mona décide de l’aider en la faisant travailler chez elle, puis en l’accueillant avec son fils… tout en lui cachant la trouble origine de son hospitalité. Et c’est ainsi que le récit se noue, se dénoue et nous captive, à la croisée du politique et de l’intime. Et c’est ainsi, aussi, que les questions des différences sociales, du racisme et de la guerre, toujours brûlantes au Soudan, fragilisent le destin des deux amies. A priori très différentes et pourtant si semblables, car l’une et l’autre sont étouffées par les traditions patriarcales de leurs communautés respectives.
Voilà, au fond, ce que raconte ce beau film pudique, qui parie sur la force et l’intelligence des femmes pour qu’advienne enfin, un jour, peut-être, la réconciliation des Soudanais·es.
Goodbye Julia, de Mohamed Kordofani.
© Madsolutions
Pierre Feuille Pistolet
Il est parfois des minivans, huit places à tout casser, qui, par la magie d’un homme et du cinéma, se transforment en fusées. De même qu’il est parfois des documentaires, surgis de nulle part, débordant d’humanité, qui ne s’oublient jamais. Pierre Feuille Pistolet est de ceux-là : il relate une aventure d’autant plus bouleversante en ces temps obscurs qu’elle donne à voir un peu de lumière et d’espoir…
Le dispositif est tout simple : par le biais d’une caméra fixe, frontale, située à l’intérieur, nous voici embarqué·es dans un van polonais qui sillonne les routes aléatoires d’Ukraine. À son bord, Maciek Hamela, chauffeur polyglotte, organisateur bénévole et réalisateur attentif, évacue des habitant·es qui fuient leur pays depuis l’invasion russe. Son véhicule devient alors un refuge éphémère, mais aussi un espace de confession, pour des gens qui laissent tout derrière eux et n’ont plus qu’un seul objectif : retrouver une possibilité de vie, en Pologne, pour eux et leurs enfants. La plupart du temps, les passagers ne se connaissent pas et chaque histoire, souvent, est racontée pour la première fois. Pourtant, leurs prises de parole et leurs échanges sont incroyables de naturel, de franchise, d’évidence… et même de légèreté – mais oui ! –, en dépit des moments plus graves de retrouvailles ou d’adieux qui rythment, à la façon de chapitres, ces trajets successifs.
Impossible de ne pas être ému·e face aux réactions sans filtre des enfants comme face aux témoignages sobres, factuels, presque sidérés de leurs parents, qui semblent prendre conscience de leur nouveau statut de réfugiés au fur et à mesure qu’ils s’éloignent de leur passé et se dirigent vers leur futur. Impossible de ne pas être troublé·e par la peur, l’incertitude, mais aussi l’espoir qui les anime et les relie, toutes et tous, dans cette bulle momentanée. Leurs récits sont d’autant plus forts que Maciek Hamela a choisi de laisser la guerre hors champ, ou presque. Seuls quelques éléments de décor défilent à travers les fenêtres du minivan, là un char, ici une maison carbonisée, là un morceau de missile, ici un check point sous tension. Un monde effondré auquel ce fragile minivan propose la plus belle des ripostes : la solidarité.
Pierre Feuille Pistolet, de Maciek Hamela.
© Affinity Ciné /Impakt Film