Simple Comme Sylvain 2295 03©FredGervais
© Fred Gervais

Simple comme Sylvain, Goodbye Julia… : les sor­ties de la semaine

Un coup de foudre pas si simple au Québec, une ami­tié fémi­nine qui dérange au Soudan, un van polo­nais en forme de refuge en Ukraine… Voici les sor­ties ciné du 8 novembre.

Simple comme Sylvain

Osons une for­mule cli­chée : le troi­sième opus de Monia Chokri est sans aucun doute son “film de la matu­ri­té”. Entendez le plus réus­si ! On s’autorise d’autant plus faci­le­ment cette phrase toute faite que l’alerte cinéaste qué­bé­coise s’amuse comme jamais, ici, à sur­fer sur les sté­réo­types, et cela sans jamais trébucher.

Empruntant les codes de la comé­die roman­tique pour mieux les démi­ner, Simple comme Sylvain raconte ain­si le coup de foudre pas si simple entre deux êtres que tout oppose… Mais alors vrai­ment tout ! Quand Sophia, char­mante prof de phi­lo à Montréal (Magalie Lépine Blondeau, tout en finesse et fré­mis­se­ments) ren­contre Sylvain, char­pen­tier aux allures de bûche­ron sexy (Pierre-​Yves Cardinal, rustre et fou­gueux à sou­hait), une pas­sion sen­suelle, irré­sis­tible, naît immé­dia­te­ment entre eux. Ponctuée de repas ami­caux ou fami­liaux savou­reu­se­ment inter­lo­qués, gênés et volu­biles, mais aus­si d’extraits de cours de Sophia, qui étu­die l’amour avec sa classe de retrai­tés en s’appuyant sur Platon et Spinoza, l’affaire s’avère à la fois réjouis­sante et pro­fon­dé­ment mélancolique.

Ce va-​et-​vient entre théo­rie et pra­tique raconte on ne peut mieux la valse-​hésitation de notre héroïne entre rai­son et pas­sion, confort et prise de risque (elle vit en couple depuis dix ans avec un Xavier gen­ti­ment pon­ti­fiant). Une oscil­la­tion mali­cieuse qu’emprunte éga­le­ment le récit, tou­jours à la croi­sée de la ten­dresse et de la cruau­té. C’est dire à quel point l’adultère de Sophia per­met à Monia Chokri de cha­hu­ter cli­chés sociaux et conven­tions scé­na­ris­tiques. Pas de roman­tisme niai­seux (c’est même sou­vent très cru). Pas d’étoiles dans les yeux, mais des regards qui se croisent puis se fuient par le biais de reflets et de clairs-​obscurs. Pas de hap­py end à l’horizon. Sans doute parce qu’il n’y a pas de réponse simple à la grande ques­tion qui anime ce film enle­vé : peut-​on aimer l’autre, aus­si dif­fé­rent soit-​il de nous ?

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Simple comme Sylvain, de Monia Chokri.
© Memento Film

Goodbye Julia

Ce pre­mier long-​métrage a fait sen­sa­tion au der­nier fes­ti­val de Cannes : pen­sez donc, un film sou­da­nais en sélec­tion offi­cielle, du jamais vu ! Reste qu’au-delà de son iden­ti­té sin­gu­lière, Goobye Julia se dis­tingue aus­si par ses deux héroïnes, for­mi­da­ble­ment atta­chantes, la beau­té de sa lumière et de ses cadres, et sa lim­pi­di­té irré­sis­tible sur un sujet pour­tant complexe.

Mohamed Kordofani, son réa­li­sa­teur, nous pro­jette à Khartoum, en 2005, alors qu’un chaos géné­ra­li­sé s’est empa­ré de la capi­tale du Soudan. Nul besoin de connaître dans les détails les tenants et abou­tis­sants de ces vio­lences, qui ont mené à la sépa­ra­tion du nord et du sud du plus grand pays d’Afrique en 2011, pour com­prendre. Tout s’éclaire, peu à peu, en sui­vant les vies entre­la­cées de Mona et de Julia et leur ami­tié qui dérange… Car Goodbye Julia n’est pas un film his­to­rique mais un conte intense, qui s’appuie en toute sim­pli­ci­té sur ses per­son­nages et ses comé­diennes (magni­fiques Eiman Yousif et Siran Riak).

Prenez Mona et Julia : la pre­mière, chan­teuse qui a renon­cé à la scène sous l’injonction de son mari, est riche, musul­mane et sans enfants. C’est une Soudanaise du Nord. La seconde, qui vient de perdre son mari, est pauvre, catho­lique et mère d’un petit gar­çon. C’est une Soudanaise du Sud (consi­dé­rée par les gens du Nord comme infé­rieure…). Leur ren­contre se tisse autour d’un secret : indi­rec­te­ment res­pon­sable de la mort du mari de Julia, Mona décide de l’aider en la fai­sant tra­vailler chez elle, puis en l’accueillant avec son fils… tout en lui cachant la trouble ori­gine de son hos­pi­ta­li­té. Et c’est ain­si que le récit se noue, se dénoue et nous cap­tive, à la croi­sée du poli­tique et de l’intime. Et c’est ain­si, aus­si, que les ques­tions des dif­fé­rences sociales, du racisme et de la guerre, tou­jours brû­lantes au Soudan, fra­gi­lisent le des­tin des deux amies. A prio­ri très dif­fé­rentes et pour­tant si sem­blables, car l’une et l’autre sont étouf­fées par les tra­di­tions patriar­cales de leurs com­mu­nau­tés respectives.

Voilà, au fond, ce que raconte ce beau film pudique, qui parie sur la force et l’intelligence des femmes pour qu’advienne enfin, un jour, peut-​être, la récon­ci­lia­tion des Soudanais·es.

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Goodbye Julia, de Mohamed Kordofani.
© Madsolutions

Pierre Feuille Pistolet

Il est par­fois des mini­vans, huit places à tout cas­ser, qui, par la magie d’un homme et du ciné­ma, se trans­forment en fusées. De même qu’il est par­fois des docu­men­taires, sur­gis de nulle part, débor­dant d’humanité, qui ne s’oublient jamais. Pierre Feuille Pistolet est de ceux-​là : il relate une aven­ture d’autant plus bou­le­ver­sante en ces temps obs­curs qu’elle donne à voir un peu de lumière et d’espoir…

Le dis­po­si­tif est tout simple : par le biais d’une camé­ra fixe, fron­tale, située à l’intérieur, nous voi­ci embarqué·es dans un van polo­nais qui sillonne les routes aléa­toires d’Ukraine. À son bord, Maciek Hamela, chauf­feur poly­glotte, orga­ni­sa­teur béné­vole et réa­li­sa­teur atten­tif, éva­cue des habitant·es qui fuient leur pays depuis l’invasion russe. Son véhi­cule devient alors un refuge éphé­mère, mais aus­si un espace de confes­sion, pour des gens qui laissent tout der­rière eux et n’ont plus qu’un seul objec­tif : retrou­ver une pos­si­bi­li­té de vie, en Pologne, pour eux et leurs enfants. La plu­part du temps, les pas­sa­gers ne se connaissent pas et chaque his­toire, sou­vent, est racon­tée pour la pre­mière fois. Pourtant, leurs prises de parole et leurs échanges sont incroyables de natu­rel, de fran­chise, d’évidence… et même de légè­re­té – mais oui ! –, en dépit des moments plus graves de retrou­vailles ou d’adieux qui rythment, à la façon de cha­pitres, ces tra­jets successifs. 

Impossible de ne pas être ému·e face aux réac­tions sans filtre des enfants comme face aux témoi­gnages sobres, fac­tuels, presque sidé­rés de leurs parents, qui semblent prendre conscience de leur nou­veau sta­tut de réfu­giés au fur et à mesure qu’ils s’éloignent de leur pas­sé et se dirigent vers leur futur. Impossible de ne pas être troublé·e par la peur, l’incertitude, mais aus­si l’espoir qui les anime et les relie, toutes et tous, dans cette bulle momen­ta­née. Leurs récits sont d’autant plus forts que Maciek Hamela a choi­si de lais­ser la guerre hors champ, ou presque. Seuls quelques élé­ments de décor défilent à tra­vers les fenêtres du mini­van, là un char, ici une mai­son car­bo­ni­sée, là un mor­ceau de mis­sile, ici un check point sous ten­sion. Un monde effon­dré auquel ce fra­gile mini­van pro­pose la plus belle des ripostes : la solidarité.

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Pierre Feuille Pistolet, de Maciek Hamela.
© Affinity Ciné /​Impakt Film

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