Un film social anglais coloré comme jamais, un satire française drôlissime sur un tournage qui tourne au cauchemar, une comédie romantique américaine qui sort des sentiers battus, un thriller belge dépassé par son sujet… : voici les sorties ciné du 10 janvier.
Scrapper
Il n’y a pas que les garçons qui font les 400 coups, les filles aussi ! Forte de ce postulat stimulant, Charlotte Regan, jeune réalisatrice anglaise de 29 ans, a concocté le film social le plus lumineux de ce début d’année, d’ailleurs couronné du Grand prix du festival de Sundance… Confirmant après Charlotte Wells et son merveilleux Aftersun, puis Molly Manning Walker et son subversif How to Have Sex, que la nouvelle vague britannique d’aujourd’hui se décline plus que jamais au féminin. Go Girls !
De fait, Scrapper (“bagarreuse”, en français) s’est choisi une môme sacrément pétulante pour héroïne ! Âgée de 12 ans, Georgie vit seule, depuis la mort de sa mère, dans une petite maison de la banlieue ouvrière de Londres. Éloignant tout ce qui peut s’apparenter de près ou de loin à un·e assistant·e social·e et assurant sa survie grâce au trafic de vélos qu’elle bidouille avec son ami Ali, cette collégienne fluette semble donc irradier de débrouillardise, de tchatche et d’aplomb… Jusqu’à l’arrivée impromptue de Jason, un jeune gars peroxydé d’à peine 30 ans qu’elle ne connait pas, qui se présente comme son père et qui, forcément, va bousculer l’équilibre précaire de son quotidien.
Houlà, vous dites-vous peut-être… Une gamine endeuillée qui renoue avec son père parti à la naissance, mais on l’a vu mille fois, notamment dans le registre “film social anglais déprimant” ! Erreur. Non seulement Charlotte Regan évite soigneusement d’emprunter la piste mélo misérabiliste, mais elle en prend l’exact contrepied. Mieux encore, Scrapper regorge d’énergie, de couleurs vives et d’humour. Adoptant le point de vue de Georgie, préado aussi futée qu’imaginative, ce premier film déroule même son récit de façon joueuse, multipliant les effets stylistiques et les genres cinématographiques (on n’est pas loin du cartoon parfois). Une façon audacieuse, très visuelle, de rappeler que ladite Georgie reste avant tout une petite fille rêveuse, naïve et vulnérable, en dépit de son apparente maturité.
Ultime atout de cette dramédie subtile : sa distribution ! On n’est pas près d’oublier la bouille de Lola Campbell, électrisante dans le rôle de Georgie, pas plus que la tignasse blonde et l’accent délicieusement cockney de Harris Dickinson, d’un charisme rare dans le rôle de son (trop jeune) père.
Scrapper, de Charlotte Regan.
© Star Invest Films France
Making Of
Les premières images, tournées dans une usine à l’arrêt, sous une pluie battante, déroutent : Jonathan Cohen en leader ouvrier, vociférant sous l’œil manifestement hostile des forces de police ? Vraiment ? Oui… et non. Il suffit de quelques minutes pour comprendre que l’inénarrable Marco du Flambeau ne joue pas seulement un gréviste en colère, ici, mais un (piètre) acteur vedette qui s’offre le frisson d’une incursion dans un film d’auteur engagé et fauché…
Un film dans le film : telle serait donc la proposition de Making Of, nouveau long-métrage signé Cédric Kahn (seulement quatre mois après la sortie du captivant Procès Goldman !). Sauf que l’exercice est bien plus troublant, plus virevoltant et plus féroce que ça. Car ce que nous donne à voir ce cinéaste aguerri, c’est un film sur un tournage qui vire au cauchemar et, à travers lui, les travers, bassesses et injustices du monde merveilleux du cinéma (qu’il connaît tellement bien) ! En clair, Making Of est une satire enlevée (on rit beaucoup), très documentée, saisissante d’acuité… sur la comédie humaine.
Comment ne pas rire et s’offusquer tout à la fois des trahisons qui jalonnent son récit ? Aussi bien du côté des financiers du film dans le film (qui se retirent à la dernière minute, lors d’un meeting hallucinant de violence sourde), que de ses distributeurs (qui veulent imposer une fin plus optimiste) ou du réalisateur (qui, se prenant pour Ken Loach, veut dénoncer les patrons voyous mais finit par ne plus payer ses techniciens pour sauver son long-métrage…). On se laisse d’autant plus prendre au jeu qu’il est mené tambour battant, porté par une distribution épatante. Denis Podalydès, notamment, est irrésistible en cinéaste au bord du burn-out. Quant à Jonathan Cohen, il a le talent de rendre très crédible son personnage de mauvais comédien, et ça n’est pas rien ! Ultime précision : plusieurs technicien·nes de Making Of (son chef déco, sa directrice de production, sa régisseuse générale) sont passé·es de l’autre côté de la caméra, devenant acteur·rices pour la première (et peut-être la dernière) fois de leur vie. Troublant, vous avez dit troublant ?
Making Of, de Cédric Kahn.
© Ad Vitam
La Vie rêvée de Miss Fran
Les mauvaises langues qui prétendent que la veine de la comédie romantique s’est asséchée ces dernières années, pour cause de formatage éhonté, se trompent. Il existe encore çà et là des cinéastes capables d’y injecter un peu d’audace et de singularité. La preuve avec La Vie rêvée de Miss Fran, film d’auteur américain (très) indépendant signé Rachel Lambert : brodant sur le thème pourtant classique de la rencontre, il parvient doucement mais sûrement à nous surprendre, puis nous saisir et enfin nous toucher.
L’étonnante personnalité de son héroïne participe pour beaucoup de sa force attractive. Fran, employée de bureau modèle à Portland, Oregon, mène en effet une existence millimétrée, dénuée de toute fantaisie. D’une timidité maladive, cette jeune femme taiseuse semble attendre que le temps passe, comme isolée à l’intérieur d’elle-même. Seuls accrocs à sa routine : elle rêve parfois à des choses bizarres, par exemple, elle se voit morte, allongée dans la verte clairière d’une forêt impénétrable (d’où le titre anglais originel du film, Sometimes I Think About Dying, “Parfois je pense à mourir”, en français)… Jusqu’au jour où un drôle de prince charmant fait irruption dans sa vie. C’est un nouveau collègue, il s’appelle Robert, est aussi fantasque que sympathique et va bel et bien la déstabiliser, sinon l’amener à s’ouvrir…
En dépit des premières séquences, qui racontent un monde fade, apathique, laiteux, raccord avec le regard que Fran porte sur lui, le film de Rachel Lambert intrigue et fascine très vite. Parce qu’il explore avec finesse le monde du travail, où l’on peut se sentir très seul·e bien qu’étant en contact permanent avec les autres. Parce qu’il sonde avec beaucoup de tact et d’empathie l’isolement social et la dépression de sa farouche héroïne. Et parce que Daisy Ridley, qui l’incarne, lui donne un charme et une complexité remarquables (Dave Merheje, son partenaire de jeu, est tout aussi attachant dans un registre plus blagueur et plus rond).
Bref ! Ne vous laissez pas décourager par la mélancolie de cette étrange comédie. Jamais pesante, jalonnée de pointes d’humour (noir), elle vous donnera surtout envie… de ne pas passer à côté de votre vie !
La Vie rêvée de Miss Fran, de Rachel Lambert.
© Condor Films
Un silence
On aurait bien aimé aimer ce film, mais ça n’est pas le cas. Enfin, “aimer” n’est peut-être pas le mot adéquat, au vu de la gravité douloureuse des thématiques qui le nourrissent et l’animent : la pédocriminalité, le poids des secrets qui hantent et détruisent les familles, la honte. Disons plutôt… “apprécier” (mais ça n’est toujours pas le cas !).
Certes, Joachim Lafosse n’a eu de cesse de sonder des sujets inconfortables tout au long de sa carrière, parfois pour le meilleur (À perdre la raison, L’Économie du couple, Les Intranquilles). On n’est donc pas surprise de retrouver le cinéaste belge à cet endroit. Et certes, la sobre puissance de jeu de Daniel Auteuil (qui campe un avocat réputé, médiatisé, bien plus trouble et glauque qu’il n’y paraît), comme la subtile fragilité d’Emmanuelle Devos (dans le rôle de son épouse taiseuse) auguraient d’une complexité de bon aloi.
S’inspirant d’une affaire qui a défrayé la chronique en Belgique (l’affaire Victor Hissel, du nom de l’ex-conseil des parties civiles dans l’affaire Dutroux, condamné en 2010 à 10 mois de prison ferme pour détention d’images pédopornographiques), Joachim Lafosse nous propose un récit très sombre en forme de long flash-back. Un récit malheureusement plus confus que probant… C’est ainsi qu’il adopte, au départ, le point de vue de l’épouse, grande bourgeoise qui a toujours gardé le silence à propos des agissements criminels de son mari – un parti-pris original, rarement montré au cinéma –, avant de la laisser tomber d’un coup d’un seul pour basculer du côté de leur fils adoptif, un adolescent visiblement perturbé (histoire, sans doute, de mettre en avant les dommages collatéraux induits par ce silence). La mise en scène jusqu’alors tendue mais discrète, devient soudainement plus fiévreuse, plus lyrique. Jusqu’à l’épilogue, façon tragédie grecque (carrément).
Première réserve : pas sûre qu’adopter une forme chaotique soit la meilleure façon de raconter une famille qui tangue (et se noie). Seconde réticence : pas sûr, non plus, que ce dispositif en forme de huis clos à suspense, qui place le père passablement en retrait, nous permette de bien saisir l’emprise que ce dernier exerce sur sa famille dévastée. Tel quel, le personnage est lointain et malaisant, OK, mais effrayant, jamais…
Un silence, de Joachim Lafosse.
© Les Films du Losange