Capture decran 2023 12 18 a 4.04.18 PM
© Star Invest Films France

“Scrapper”, “Making Of”, “La Vie rêvée de Miss Fran”… : les sor­ties ciné de la semaine

Un film social anglais colo­ré comme jamais, un satire fran­çaise drô­lis­sime sur un tour­nage qui tourne au cau­che­mar, une comé­die roman­tique amé­ri­caine qui sort des sen­tiers bat­tus, un thril­ler belge dépas­sé par son sujet… : voi­ci les sor­ties ciné du 10 janvier. 

Scrapper

Il n’y a pas que les gar­çons qui font les 400 coups, les filles aus­si ! Forte de ce pos­tu­lat sti­mu­lant, Charlotte Regan, jeune réa­li­sa­trice anglaise de 29 ans, a concoc­té le film social le plus lumi­neux de ce début d’année, d’ailleurs cou­ron­né du Grand prix du fes­ti­val de Sundance… Confirmant après Charlotte Wells et son mer­veilleux Aftersun, puis Molly Manning Walker et son sub­ver­sif How to Have Sex, que la nou­velle vague bri­tan­nique d’aujourd’hui se décline plus que jamais au fémi­nin. Go Girls !

De fait, Scrapper (“bagar­reuse”, en fran­çais) s’est choi­si une môme sacré­ment pétu­lante pour héroïne ! Âgée de 12 ans, Georgie vit seule, depuis la mort de sa mère, dans une petite mai­son de la ban­lieue ouvrière de Londres. Éloignant tout ce qui peut s’apparenter de près ou de loin à un·e assistant·e social·e et assu­rant sa sur­vie grâce au tra­fic de vélos qu’elle bidouille avec son ami Ali, cette col­lé­gienne fluette semble donc irra­dier de débrouillar­dise, de tchatche et d’aplomb… Jusqu’à l’arrivée impromp­tue de Jason, un jeune gars per­oxy­dé d’à peine 30 ans qu’elle ne connait pas, qui se pré­sente comme son père et qui, for­cé­ment, va bous­cu­ler l’équilibre pré­caire de son quotidien.

Houlà, vous dites-​vous peut-​être… Une gamine endeuillée qui renoue avec son père par­ti à la nais­sance, mais on l’a vu mille fois, notam­ment dans le registre “film social anglais dépri­mant” ! Erreur. Non seule­ment Charlotte Regan évite soi­gneu­se­ment d’emprunter la piste mélo misé­ra­bi­liste, mais elle en prend l’exact contre­pied. Mieux encore, Scrapper regorge d’énergie, de cou­leurs vives et d’humour. Adoptant le point de vue de Georgie, pré­ado aus­si futée qu’imaginative, ce pre­mier film déroule même son récit de façon joueuse, mul­ti­pliant les effets sty­lis­tiques et les genres ciné­ma­to­gra­phiques (on n’est pas loin du car­toon par­fois). Une façon auda­cieuse, très visuelle, de rap­pe­ler que ladite Georgie reste avant tout une petite fille rêveuse, naïve et vul­né­rable, en dépit de son appa­rente maturité. 

Ultime atout de cette dra­mé­die sub­tile : sa dis­tri­bu­tion ! On n’est pas près d’oublier la bouille de Lola Campbell, élec­tri­sante dans le rôle de Georgie, pas plus que la tignasse blonde et l’accent déli­cieu­se­ment cock­ney de Harris Dickinson, d’un cha­risme rare dans le rôle de son (trop jeune) père. 

Capture decran 2023 12 18 a 4.03.34 PM

Scrapper, de Charlotte Regan. 
© Star Invest Films France

Making Of

Les pre­mières images, tour­nées dans une usine à l’arrêt, sous une pluie bat­tante, déroutent : Jonathan Cohen en lea­der ouvrier, voci­fé­rant sous l’œil mani­fes­te­ment hos­tile des forces de police ? Vraiment ? Oui… et non. Il suf­fit de quelques minutes pour com­prendre que l’inénarrable Marco du Flambeau ne joue pas seule­ment un gré­viste en colère, ici, mais un (piètre) acteur vedette qui s’offre le fris­son d’une incur­sion dans un film d’auteur enga­gé et fauché… 

Un film dans le film : telle serait donc la pro­po­si­tion de Making Of, nou­veau long-​métrage signé Cédric Kahn (seule­ment quatre mois après la sor­tie du cap­ti­vant Procès Goldman !). Sauf que l’exercice est bien plus trou­blant, plus vire­vol­tant et plus féroce que ça. Car ce que nous donne à voir ce cinéaste aguer­ri, c’est un film sur un tour­nage qui vire au cau­che­mar et, à tra­vers lui, les tra­vers, bas­sesses et injus­tices du monde mer­veilleux du ciné­ma (qu’il connaît tel­le­ment bien) ! En clair, Making Of est une satire enle­vée (on rit beau­coup), très docu­men­tée, sai­sis­sante d’acuité… sur la comé­die humaine. 

Comment ne pas rire et s’offusquer tout à la fois des tra­hi­sons qui jalonnent son récit ? Aussi bien du côté des finan­ciers du film dans le film (qui se retirent à la der­nière minute, lors d’un mee­ting hal­lu­ci­nant de vio­lence sourde), que de ses dis­tri­bu­teurs (qui veulent impo­ser une fin plus opti­miste) ou du réa­li­sa­teur (qui, se pre­nant pour Ken Loach, veut dénon­cer les patrons voyous mais finit par ne plus payer ses tech­ni­ciens pour sau­ver son long-​métrage…). On se laisse d’autant plus prendre au jeu qu’il est mené tam­bour bat­tant, por­té par une dis­tri­bu­tion épa­tante. Denis Podalydès, notam­ment, est irré­sis­tible en cinéaste au bord du burn-​out. Quant à Jonathan Cohen, il a le talent de rendre très cré­dible son per­son­nage de mau­vais comé­dien, et ça n’est pas rien ! Ultime pré­ci­sion : plu­sieurs technicien·nes de Making Of (son chef déco, sa direc­trice de pro­duc­tion, sa régis­seuse géné­rale) sont passé·es de l’autre côté de la camé­ra, deve­nant acteur·rices pour la pre­mière (et peut-​être la der­nière) fois de leur vie. Troublant, vous avez dit troublant ?

120x160 MAKINGOF HD

Making Of, de Cédric Kahn. 
© Ad Vitam

La Vie rêvée de Miss Fran

Les mau­vaises langues qui pré­tendent que la veine de la comé­die roman­tique s’est assé­chée ces der­nières années, pour cause de for­ma­tage éhon­té, se trompent. Il existe encore çà et là des cinéastes capables d’y injec­ter un peu d’audace et de sin­gu­la­ri­té. La preuve avec La Vie rêvée de Miss Fran, film d’auteur amé­ri­cain (très) indé­pen­dant signé Rachel Lambert : bro­dant sur le thème pour­tant clas­sique de la ren­contre, il par­vient dou­ce­ment mais sûre­ment à nous sur­prendre, puis nous sai­sir et enfin nous toucher. 

L’étonnante per­son­na­li­té de son héroïne par­ti­cipe pour beau­coup de sa force attrac­tive. Fran, employée de bureau modèle à Portland, Oregon, mène en effet une exis­tence mil­li­mé­trée, dénuée de toute fan­tai­sie. D’une timi­di­té mala­dive, cette jeune femme tai­seuse semble attendre que le temps passe, comme iso­lée à l’intérieur d’elle-même. Seuls accrocs à sa rou­tine : elle rêve par­fois à des choses bizarres, par exemple, elle se voit morte, allon­gée dans la verte clai­rière d’une forêt impé­né­trable (d’où le titre anglais ori­gi­nel du film, Sometimes I Think About Dying, “Parfois je pense à mou­rir”, en fran­çais)… Jusqu’au jour où un drôle de prince char­mant fait irrup­tion dans sa vie. C’est un nou­veau col­lègue, il s’appelle Robert, est aus­si fan­tasque que sym­pa­thique et va bel et bien la désta­bi­li­ser, sinon l’amener à s’ouvrir…

En dépit des pre­mières séquences, qui racontent un monde fade, apa­thique, lai­teux, rac­cord avec le regard que Fran porte sur lui, le film de Rachel Lambert intrigue et fas­cine très vite. Parce qu’il explore avec finesse le monde du tra­vail, où l’on peut se sen­tir très seul·e bien qu’étant en contact per­ma­nent avec les autres. Parce qu’il sonde avec beau­coup de tact et d’empathie l’isolement social et la dépres­sion de sa farouche héroïne. Et parce que Daisy Ridley, qui l’incarne, lui donne un charme et une com­plexi­té remar­quables (Dave Merheje, son par­te­naire de jeu, est tout aus­si atta­chant dans un registre plus bla­gueur et plus rond). 

Bref ! Ne vous lais­sez pas décou­ra­ger par la mélan­co­lie de cette étrange comé­die. Jamais pesante, jalon­née de pointes d’humour (noir), elle vous don­ne­ra sur­tout envie… de ne pas pas­ser à côté de votre vie !

Capture decran 2024 01 08 a 5.30.50 PM

La Vie rêvée de Miss Fran, de Rachel Lambert. 
© Condor Films

Un silence

On aurait bien aimé aimer ce film, mais ça n’est pas le cas. Enfin, “aimer” n’est peut-​être pas le mot adé­quat, au vu de la gra­vi­té dou­lou­reuse des thé­ma­tiques qui le nour­rissent et l’animent : la pédo­cri­mi­na­li­té, le poids des secrets qui hantent et détruisent les familles, la honte. Disons plu­tôt… “appré­cier” (mais ça n’est tou­jours pas le cas !). 

Certes, Joachim Lafosse n’a eu de cesse de son­der des sujets incon­for­tables tout au long de sa car­rière, par­fois pour le meilleur (À perdre la rai­son, L’Économie du couple, Les Intranquilles). On n’est donc pas sur­prise de retrou­ver le cinéaste belge à cet endroit. Et certes, la sobre puis­sance de jeu de Daniel Auteuil (qui campe un avo­cat répu­té, média­ti­sé, bien plus trouble et glauque qu’il n’y paraît), comme la sub­tile fra­gi­li­té d’Emmanuelle Devos (dans le rôle de son épouse tai­seuse) augu­raient d’une com­plexi­té de bon aloi. 

S’inspirant d’une affaire qui a défrayé la chro­nique en Belgique (l’affaire Victor Hissel, du nom de l’ex-conseil des par­ties civiles dans l’affaire Dutroux, condam­né en 2010 à 10 mois de pri­son ferme pour déten­tion d’images pédo­por­no­gra­phiques), Joachim Lafosse nous pro­pose un récit très sombre en forme de long flash-​back. Un récit mal­heu­reu­se­ment plus confus que pro­bant… C’est ain­si qu’il adopte, au départ, le point de vue de l’épouse, grande bour­geoise qui a tou­jours gar­dé le silence à pro­pos des agis­se­ments cri­mi­nels de son mari – un parti-​pris ori­gi­nal, rare­ment mon­tré au ciné­ma –, avant de la lais­ser tom­ber d’un coup d’un seul pour bas­cu­ler du côté de leur fils adop­tif, un ado­les­cent visi­ble­ment per­tur­bé (his­toire, sans doute, de mettre en avant les dom­mages col­la­té­raux induits par ce silence). La mise en scène jusqu’alors ten­due mais dis­crète, devient sou­dai­ne­ment plus fié­vreuse, plus lyrique. Jusqu’à l’épilogue, façon tra­gé­die grecque (car­ré­ment).

Première réserve : pas sûre qu’adopter une forme chao­tique soit la meilleure façon de racon­ter une famille qui tangue (et se noie). Seconde réti­cence : pas sûr, non plus, que ce dis­po­si­tif en forme de huis clos à sus­pense, qui place le père pas­sa­ble­ment en retrait, nous per­mette de bien sai­sir l’emprise que ce der­nier exerce sur sa famille dévas­tée. Tel quel, le per­son­nage est loin­tain et malai­sant, OK, mais effrayant, jamais…

Capture decran 2024 01 08 a 5.31.41 PM

Un silence, de Joachim Lafosse. 
© Les Films du Losange

Partager
Articles liés
Yasmine Benkiran Photo 1

"Mon film raconte l’histoire de deux femmes et une petite fille qui fuient le patriar­cat" : Yasmine Benkiran, nou­velle figure fémi­niste du ciné­ma marocain

Reines, de Yasmine Benkiran, n’est pas un pre­mier film comme les autres. Teinté d’humour et de fan­tas­tique, ce road-​movie maro­cain nous embarque à bord d’un camion, sur les routes de l’Atlas, aux côtés de deux femmes en cavale et d’une petite...

red padded theater chairs

Nos reco ciné du 29 septembre

Cinq belles sorties cette semaine : "Les Intranquilles", de Joachim Lafosse, "Le Ciel est à vous", de Jean Grémillon, "I Am Greta", de Nathan Grossman, "La Traversée", de Florence Miailhe et "After Love", d’Aleem Khan.

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.