8 c ITN Productions 2019
Waad al-Kateab et son mari Hamza al-Kateab lors du tournage à Alep. © ITN Productions

« Pour Sama » : le siège d'Alep docu­men­té de l'intérieur

Waad al-​Kateab a fil­mé le siège d’Alep, sa ville, pen­dant la guerre civile en Syrie. Racontant au jour le jour, sous les bombes, sa vie de femme et de mère, mais aus­si d’opposante au régime d’al-Assad. Des images sai­sis­santes qui ont nour­ri Pour Sama, son docu­men­taire pri­mé à Cannes. Explications avec la cinéaste exi­lée à Londres. 

Causette : Vous com­men­cez à fil­mer les mani­fes­ta­tions contre le régime de Bachar al-​Assad, à Alep en 2011, alors que vous êtes une jeune étu­diante. Pourquoi ? 
Waad al-​Kateab : Quand la révo­lu­tion a com­men­cé, j’étudiais l’économie, donc rien à voir avec le jour­na­lisme, ni même avec le ciné­ma ! En revanche, je fai­sais par­tie des mani­fes­tants. J’avais le sen­ti­ment de vivre quelque chose de très impor­tant et je vou­lais en gar­der des traces pour le futur. C’est comme ça que j’ai com­men­cé à faire des images de mes amis, de ce qui se pas­sait dans la rue, etc. Je n’avais aucun pro­jet pré­cis. Aucun plan de car­rière ! Ensuite, quand la situa­tion s’est dété­rio­rée et que l’état de siège a été ins­tau­ré à Alep, j’ai sen­ti que je devais conti­nuer à prendre ma camé­ra. Pour témoi­gner. Bien sûr, j’avais peur, j’étais même ter­ri­fiée. Mais fil­mer me don­nait de la force. Le régime de Bachar al-​Assad était en train de tuer les gens. Avec mes images, j’apportais la preuve de ses crimes.

Votre docu­men­taire est par­fois très fron­tal. Vous n’avez pas peur de mon­trer des images de mort et de des­truc­tion…
W. al‑K. : Quand j’ai pris la déci­sion de mon­ter ces images pour en faire un film, plus tard, avec le réa­li­sa­teur bri­tan­nique Edward Watts, j’ai aus­si déci­dé d’être tota­le­ment hon­nête. Avec moi-​même et avec ce que je res­sen­tais à l’époque. Avec les gens qui ont vécu cette his­toire. Et avec le public qui ne sait rien de la Syrie. Je vou­lais qu’il com­prenne ce que la guerre signi­fie pour des gens ordi­naires comme moi, qui se retrouvent dans un endroit où la mort est par­tout. Et qui ne peuvent ni se pro­té­ger ni pro­té­ger leurs enfants. Cela étant, nous vou­lions que ces images res­tent accep­tables. Précisément pour que les gens ne détournent pas les yeux.

Votre film est d’autant plus fort qu’il épouse la forme d’une lettre adres­sée à votre fille, Sama, née au milieu du conflit… 
W. al‑K. : En fait, la nar­ra­tion s’articule autour de deux enjeux. On voit une femme, moi, qui devient jour­na­liste en essayant de rendre compte de la guerre qui l’entoure. Et l’on voit une mère, tou­jours moi, qui veut vivre une vie nor­male avec sa fille. Il est très dif­fi­cile de sépa­rer ces deux his­toires. C’est la rai­son pour laquelle, je pense, les spec­ta­teurs se sentent aus­si impli­qués. Rien n’est aca­dé­mique dans ce film. 

Pour Sama adopte le point de vue d’une femme sur l’horreur de la guerre et ça, c’est plu­tôt rare ! 
W. al‑K. : C’est mon point de vue, mais c’est aus­si celui de toutes les mères, et même de tous les civils qui se sont retrou­vés pié­gés dans cette guerre à Alep. Ces gens ont une voix, et cette voix, c’est moi. Je suis fière d’avoir pu leur don­ner la parole. Comme je suis fière, aus­si, d’être deve­nue une femme indé­pen­dante et puis­sante. C’était un vrai défi. Même aux États-​Unis ou en Angleterre, il est dif­fi­cile pour une femme de réa­li­ser un film. Alors, ima­gi­nez en Syrie !

Pour Sama, de Waad al-​Kateab et Edward Watts. Sortie le 9 octobre 2019.

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