Waad al-Kateab a filmé le siège d’Alep, sa ville, pendant la guerre civile en Syrie. Racontant au jour le jour, sous les bombes, sa vie de femme et de mère, mais aussi d’opposante au régime d’al-Assad. Des images saisissantes qui ont nourri Pour Sama, son documentaire primé à Cannes. Explications avec la cinéaste exilée à Londres.
Causette : Vous commencez à filmer les manifestations contre le régime de Bachar al-Assad, à Alep en 2011, alors que vous êtes une jeune étudiante. Pourquoi ?
Waad al-Kateab : Quand la révolution a commencé, j’étudiais l’économie, donc rien à voir avec le journalisme, ni même avec le cinéma ! En revanche, je faisais partie des manifestants. J’avais le sentiment de vivre quelque chose de très important et je voulais en garder des traces pour le futur. C’est comme ça que j’ai commencé à faire des images de mes amis, de ce qui se passait dans la rue, etc. Je n’avais aucun projet précis. Aucun plan de carrière ! Ensuite, quand la situation s’est détériorée et que l’état de siège a été instauré à Alep, j’ai senti que je devais continuer à prendre ma caméra. Pour témoigner. Bien sûr, j’avais peur, j’étais même terrifiée. Mais filmer me donnait de la force. Le régime de Bachar al-Assad était en train de tuer les gens. Avec mes images, j’apportais la preuve de ses crimes.
Votre documentaire est parfois très frontal. Vous n’avez pas peur de montrer des images de mort et de destruction…
W. al‑K. : Quand j’ai pris la décision de monter ces images pour en faire un film, plus tard, avec le réalisateur britannique Edward Watts, j’ai aussi décidé d’être totalement honnête. Avec moi-même et avec ce que je ressentais à l’époque. Avec les gens qui ont vécu cette histoire. Et avec le public qui ne sait rien de la Syrie. Je voulais qu’il comprenne ce que la guerre signifie pour des gens ordinaires comme moi, qui se retrouvent dans un endroit où la mort est partout. Et qui ne peuvent ni se protéger ni protéger leurs enfants. Cela étant, nous voulions que ces images restent acceptables. Précisément pour que les gens ne détournent pas les yeux.
Votre film est d’autant plus fort qu’il épouse la forme d’une lettre adressée à votre fille, Sama, née au milieu du conflit…
W. al‑K. : En fait, la narration s’articule autour de deux enjeux. On voit une femme, moi, qui devient journaliste en essayant de rendre compte de la guerre qui l’entoure. Et l’on voit une mère, toujours moi, qui veut vivre une vie normale avec sa fille. Il est très difficile de séparer ces deux histoires. C’est la raison pour laquelle, je pense, les spectateurs se sentent aussi impliqués. Rien n’est académique dans ce film.
Pour Sama adopte le point de vue d’une femme sur l’horreur de la guerre et ça, c’est plutôt rare !
W. al‑K. : C’est mon point de vue, mais c’est aussi celui de toutes les mères, et même de tous les civils qui se sont retrouvés piégés dans cette guerre à Alep. Ces gens ont une voix, et cette voix, c’est moi. Je suis fière d’avoir pu leur donner la parole. Comme je suis fière, aussi, d’être devenue une femme indépendante et puissante. C’était un vrai défi. Même aux États-Unis ou en Angleterre, il est difficile pour une femme de réaliser un film. Alors, imaginez en Syrie !
Pour Sama, de Waad al-Kateab et Edward Watts. Sortie le 9 octobre 2019.