Capture decran 2024 01 15 a 12.04.26 PM
© The Walt Disney Company France

“Pauvres créa­tures”, “La Tête froide”, “Animal”… : les sor­ties ciné de la semaine

Une créa­ture qui échappe à son créa­teur et aux conven­tions, une femme dure qui s’adoucit dans le froid gla­cé, une ani­ma­trice de club de vacances rat­tra­pée par la mélan­co­lie, une hackeuse fas­ci­née par un tueur en série… voi­ci les sor­ties ciné­ma du 17 janvier.

Pauvres Créatures

Mordante, ludique, jubi­la­toire, insen­sée : les adjec­tifs s’entrechoquent pour qua­li­fier la nou­velle fable (géniale) du cinéaste grec Yorgos Lanthimos. Sans doute parce qu’elle se laisse dif­fi­ci­le­ment cir­cons­crire, comme toute grande œuvre auda­cieuse, oscil­lant géné­reu­se­ment entre le récit d’émancipation, le conte gothique vic­to­rien, la farce fan­tas­tique et la comé­die noire. Un sacré tour­nis ? Mieux que ça : une expé­rience unique, sur le fond comme sur la forme, dûment saluée par un Lion d’or, récom­pense suprême de la Mostra de Venise.

Le point de départ dépayse de toute façon : Pauvres Créatures nous pro­jette dans l’enclos d’un manoir bour­geois, là même où Bella, une jeune femme sui­ci­dée, a été rame­née à la vie par l’étrange Dr Baxter, grâce à une greffe peu ortho­doxe du cer­veau. Reste que la bru­nette aux yeux clairs doit tout réap­prendre, notam­ment à par­ler, telle une grande petite fille naïve avide de tout décou­vrir. Tant et si bien que la créa­ture finit par échap­per à son créa­teur ultra pro­tec­teur ! La voi­là qui s’enfuit avec une cra­pule d’avocat, grâce auquel elle va par­cou­rir le monde et décou­vrir les plai­sirs de la chair, avant de pour­suivre sans lui, ici et ailleurs, son odys­sée pla­cée sous le triple signe de la sen­sua­li­té, de la liber­té et de l’égalité.

Difficile, bien sûr, de ne pas rele­ver la réfé­rence au Frankenstein de Mary Shelley (quand bien même Pauvres Créatures est l’adaptation d’un roman de l’écrivain écos­sais Alasdair Gray, publié en 1992). Difficile, aus­si, de ne pas savou­rer la relec­ture poli­tique que Yorgos Lanthimos en fait. Certes, son film pica­resque, jalon­né de gags visuels, de scènes bur­lesques (ain­si la danse désar­ti­cu­lée, impu­dique et joyeuse de Bella et son amant dans une salle de bal guin­dée) et de clins d’œil facé­tieux (les ani­maux mutants, mi-​canards, mi-​chèvres, qui entourent ce savant fou de Baxter), est hila­rant. Certes, il est brillam­ment mis en scène : on passe en toute flui­di­té du noir et blanc aux cou­leurs satu­rées, et de l’hommage à l’expressionnisme alle­mand au grand angle sur­réa­liste et défor­mé. Mais il s’affirme aus­si comme un véri­table pam­phlet contre le patriar­cat et la miso­gy­nie. De fait, la très dés­in­hi­bée Bella (Emma Stone, fol­le­ment, irré­sis­ti­ble­ment clow­nesque) n’est pas seule­ment une femme qui échappe aux conven­tions ; elle est aus­si, sur­tout, une femme qui échappe aux hommes/​pygmalions/​figures pater­nelles qui n’ont de cesse de vou­loir la façon­ner et la bri­der. Une femme libre, joyeuse, intel­li­gente et accom­plie, par­fai­te­ment rac­cord, en somme, avec le film qui la célèbre.

Capture decran 2024 01 15 a 12.00.22 PM

Pauvres Créatures, de Yorgos Lanthimos.
© The Walt Disney Company France

La Tête froide

Bien sûr, la thé­ma­tique des migrant·es a été maintes fois explo­rée au ciné­ma, actua­li­té oblige depuis une dizaine d’années. Mais quelque chose dis­tingue le film de Stéphane Marchetti des autres. Quelque chose et quelqu’un… 

Construit comme un thril­ler, La Tête froide déroule son sus­pense dans les Alpes ennei­gées, en plein hiver, autour de Marie, 45 ans. Femme dure, dans la sur­vie, elle loge dans une cara­vane et tra­fique des car­touches de ciga­rettes entre l’Italie et la France avec l’aide de son amant, un poli­cier aux fron­tières. Et puis, un jour, Marie croise Souleymane au détour d’un virage gla­cé, un jeune réfu­gié prêt à tout pour rejoindre sa petite sœur. Elle s’embarque alors, avec lui, dans un tra­fic – et un engre­nage – autre­ment plus dangereux…

Premier atout de ce récit natu­ra­liste (Stéphane Marchetti connaît bien sa matière, il est le coau­teur du docu­men­taire Calais, les enfants de la jungle) : sa façon fine, méta­pho­rique, très ciné­ma­to­gra­phique, de son­der à tra­vers son cadre (spec­ta­cu­laire, voire extrême) et son héroïne (impul­sive et com­plexe) son sujet, à savoir la zone fron­tière qui sépare l’opportunisme de l’altruisme véri­table. En l’occurrence, Marie ne pense qu’à elle au départ, et à s’extraire de sa pré­ca­ri­té… Nul hasard, d’ailleurs, si ce pre­mier long-​métrage fait du froid un élé­ment impor­tant de son intrigue, qui se réchauffe pour­tant et se colore peu à peu, par la magie d’une ren­contre. Filmant ses per­son­nages au plus près, Stéphane Marchetti capte ain­si d’autant mieux leurs ten­sions, leurs pertes de repère, mais encore leur rap­pro­che­ment et leur évolution.

Second atout, et non des moindres : Florence Loiret-​Caille, actrice trop rare au ciné­ma, incarne idéa­le­ment cette Marie revêche et badass, éga­le­ment fra­gile, fis­su­rée, à fleur de peau. Plus encore que la mon­tagne, la neige et la nuit, pour­tant puis­santes visuel­le­ment, elle fas­cine de bout en bout et nous fait fondre… comme neige au soleil.

Capture decran 2024 01 15 a 12.07.12 PM

La Tête froide, de Stéphane Marchetti. 
© UFO Distribution

Animal

Vous vous sou­ve­nez de Désenchantée, la chan­son de Mylène Farmer ? Eh bien son titre pour­rait illus­trer à lui seul l’humeur du très atta­chant deuxième long-​métrage de Sofia Exarchou ! Reste que la jeune cinéaste grecque lui a pré­fé­ré un vieux tube dis­co – Yes Sir, I Can Boogie – pour scan­der son récit. Apparemment plus gla­mour… Et pour cause ! Animal nous pro­jette dans un club de vacances sur une île grecque, où Kalia, 35 ans, est char­gée d’animer la sai­son esti­vale, un job pré­caire qui requiert une éner­gie à plein temps, que ce soit à la pis­cine, au bar, à la plage ou sur la piste de danse. 

Bienvenue dans les cou­lisses du tou­risme de masse ! Tel est l’enjeu de ce film à la fois rude et tendre, qui dénonce les condi­tions de tra­vail dans ces grandes machines tou­ris­tiques, mais montre aus­si beau­coup de bien­veillance pour cette petite com­mu­nau­té d’animateurs·rices surexploité·es, sou­vent échoué·es là faute de mieux (Kalia est la seule res­sor­tis­sante grecque de l’équipe, les autres étant issu·es, pour la plu­part, d’Europe de l’Est).

Surtout, et c’est l’une de ses grandes qua­li­tés, Animal cap­ture avec tact, par petites touches (un regard, un silence, un geste), la soli­tude de ses pro­ta­go­nistes au milieu de cette effer­ves­cence sur­jouée. Celle de Kalia en par­ti­cu­lier, qui peine de plus en plus à cacher ses flot­te­ments, ses doutes et ses regrets der­rière ses moments de joie fac­tice, de transe ou même d’ivresse. La camé­ra, qui aime sai­sir les corps avec vigueur (Kalia, tout en éner­gie, est une très bonne dan­seuse, le film est donc très phy­sique, à son image), n’oublie pas de cap­ter les varia­tions plus sub­tiles de la lumière pour mieux suivre celles de ses états d’âme. La jeune femme prend jus­te­ment conscience, cet été-​là, de la drôle de pri­son qu’elle s’est bâtie depuis quinze ans sur ces plages-mirages… 

Nul pathos pour autant. D’abord parce que le film adopte une approche qua­si docu­men­taire pour rendre compte du désen­chan­te­ment de son héroïne. Ensuite parce que Kalia (épa­tante Dimitra Vlagkopoulou) est une bat­tante. Comme le dit la chan­son, qu’elle inter­prète de façon bou­le­ver­sante sur la piste scin­tillante : “Ohhh ! Yes sir, I can boo­gie, boo­gie woo­gie, all night long…”. Toute la nuit, et bien après…

ANIMAL AFF HD scaled 1

Animal, de Sofia Exarchou.
© Shellac Films

Les Chambres rouges

Voilà un film de fic­tion pas­sa­ble­ment déran­geant (il est inter­dit aux moins de 12 ans), qui ne lasse pas d’intriguer néan­moins, autant par la gra­vi­té de son sujet que par la pré­ci­sion métho­dique de sa mise en scène et son tra­vail sur le non-​dit. Flippant ? Oui, mais intelligemment.

Les Chambres rouges, deuxième long-​métrage du talen­tueux Pascal Plante, nous parle d’abord d’une fas­ci­na­tion mor­bide, celle de Kelly-​Anne et de Clémentine, deux jeunes femmes obsé­dées par le pro­cès hyper média­ti­sé, à Montréal, d’un tueur en série ayant fil­mé le meurtre de ses vic­times, de blondes ado­les­centes aux yeux clairs, et mis en ligne les vidéos des­dits fémi­ni­cides sur le dark Web. Mais ce que le jeune réa­li­sa­teur qué­bé­cois pointe et inter­roge à tra­vers ces deux grou­pies malai­santes, c’est bien évi­dem­ment, aus­si, notre appé­tit pour les true crimes, ces docu­men­taires cri­mi­nels qui car­tonnent sur les plateformes.

Reste qu’aucun dis­cours socio-​didactique ni inter­pré­ta­tion psy­cha­na­ly­tique d’ailleurs ne viennent para­si­ter son récit. Les Chambres rouges est un pur film de genre, option thril­ler psy­cho­lo­gique, qui pré­fère tis­ser sa toile autour du per­son­nage énig­ma­tique de Kelly-​Anne, hackeuse d’une rare froi­deur (impres­sion­nante Juliette Gariépy, tout en contrôle), pour mieux nous inter­pel­ler. Est-​elle elle-​même une socio­pathe ? Ou est-​elle une ven­ge­resse spec­trale ? Il convient, bien sûr, de ne rien divul­gâ­cher. Juste pré­ci­ser, quand même, que si le film épouse son trouble point de vue, Pascal Plante a à cœur de ne jamais esthé­ti­ser la vio­lence, lais­sant (en toute logique) les images expli­cites hors champ. Une démarche inha­bi­tuelle, sur­tout dans ce registre, qui ren­force d’autant plus notre atten­tion… et nos frissons.

Capture decran 2024 01 15 a 12.16.51 PM

Les Chambres rouges, de Pascal Plante.
© ESC Films

Partager
Articles liés

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.