Un film de genre célèbre les premières règles d’une préado en Malaisie, un film à sketches dénonce par l’absurde le régime totalitaire en Iran, un film rigolo-punk dégomme le passé esclavagiste de la France : voici les sorties ciné du 14 mars.
Tiger Stripes
Un film mutant qui raconte une métamorphose ? L’élan semble pertinent, à défaut d’être complètement nouveau. Un film mordant qui célèbre une féminité triomphante sous couvert d’un cinéma populaire et divertissant ? La démarche est autrement plus percutante !
Signé Amanda Eu Nell, une jeune réalisatrice malaisienne formée à la London Film School et biberonnée au cinéma de genre, Tiger Stripes n’a pas reçu le Grand prix de la Semaine de la critique à Cannes par hasard. Adoptant la forme hybride d’une comédie adolescente mâtinée de body horror et de surnaturel, ce premier long-métrage nous projette dans le quotidien de Zaffan, une préado rigolote, insouciante et téméraire qui vit dans une petite communauté rurale en Malaisie. Toujours partante pour inciter ses copines à faire des bêtises, surtout après les cours où on leur apprend essentiellement à être obéissantes sous leur voile virginal, elle voit sa vie basculer à l’arrivée de ses premières règles. Son corps change (dégageant une odeur animale bizarre, il est peu à peu recouvert de curieuses zébrures rouges), de même que l’attitude de ses amies (qui se détournent d’elle et la montrent du doigt). Bientôt, Zaffan devient le souffre-douleur du village tout entier, où les esprits s’emballent comme happés par des forces mystérieuses. C’est alors qu’elle décide de révéler sa vraie nature, sa fureur, sa force et sa beauté, libérant le tigre qui est en elle…
Une grande fraîcheur se dégage de ce récit joueur, qui s’ouvre sur la danse endiablée de Zaffan sur son compte TikTok, avant de multiplier clins d’œil cinéphiles et références culturelles (la frontière entre le réel et le fantastique y est ténue, comme dans la littérature asiatique). Une énergie que l’on retrouve dans le jeu emballant de ses toutes jeunes comédiennes (Zafreen Zairizal, Deena Ezral et Piqa). Mixant sans complexe légendes d’hier et codes d’aujourd’hui (beau travail sur le son à l’appui), Tiger Stripes réussit son pari effronté, à savoir opter pour un registre pop, divertissant, multiréférencé pour dénoncer la violence des regards sur le corps des adolescentes et les injonctions sociales qui vont avec.
Tiger Stripes, d’Amanda Eu Nell.
![“Tiger Stripes”, “Chroniques de Téhéran”, “Dans la peau de Blanche Houellebecq” : les sorties ciné de la semaine 2 tiger stripes3](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2024/03/tiger-stripes3.jpg)
Chroniques de Téhéran
Morceler un récit, façon puzzle, ne veut pas dire l’atténuer, voire le dissoudre, bien au contraire ! La preuve avec Chroniques de Téhéran, subtil film à sketches qui puise justement une force supplémentaire dans la succession imparable, implacable, de ses différentes intrigues.
Au nombre de neuf, elles se présentent sous la forme de tableaux réalistes, filmés en longues prises donc parfaitement saisissants, où flotte un parfum entêtant d’absurde. Et pour cause ! Que l’on y voit un homme déclarer la naissance de son fils, une mère habiller sa fille pour la rentrée, une élève convoquée par la directrice, une jeune femme contester une contravention, une jeune fille se présenter à un entretien d’embauche, un chômeur répondre à une annonce, un homme venir retirer son permis de conduire, un réalisateur demander une autorisation de tournage ou une dame demander à un policier de chercher son chien disparu, il y est chaque fois question de la relation d’un·e citoyen·ne iranien·ne à l’autorité, et, surtout, de la façon dont un régime totalitaire contrôle les aspects personnels de la vie des individus (tels que le corps, l’identité ou la sexualité).
Plutôt que de délivrer un discours engagé via une fresque ambitieuse, Ali Asgari et Alireza Khatami, les deux réalisateurs, ont fait le choix d’ancrer leur récit éclaté dans le quotidien fourmillant de Téhéran, ville sous tension, pour mieux sonder neuf nuances de désobéissance civile (la graduation oscillant entre le compromis interloqué, l’insolence blasée et l’opposition nette). Une façon très fine, voire très maligne, de rendre compte du soulèvement populaire actuel en Iran, aka le mouvement Femme, Vie, Liberté (les personnages féminins du film y sont particulièrement puissants et ça n’est pas un hasard), toujours à l’œuvre dans la rue même s’il ne cesse d’être réprimé par le pouvoir en place. L’agitation est de mise, plus que jamais : tel est le message envoyé par Chroniques de Téhéran, un film dont l’existence est, en soi, un défi et un acte de courage.
Chroniques de Téhéran, d’Ali Asgari et Alireza Khatami.
![“Tiger Stripes”, “Chroniques de Téhéran”, “Dans la peau de Blanche Houellebecq” : les sorties ciné de la semaine 3 Les Chroniques de](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2024/03/Les-Chroniques-de-Teheran_120x160_SD.jpg)
Dans le peau de Blanche Houellebecq
Rocambolesque ? Le mot est faible pour qualifier le nouvel film de l’éclectique Guillaume Nicloux, qui nous entraîne en Guadeloupe aux côtés de Blanche Gardin et de Michel Houellebecq, la première étant venue y présider un concours de sosies consacré au second ! “Punk” lui siérait davantage, puisque confronter ces deux personnalités controversées, que tout oppose politiquement, relève à la fois de la provocation et du jeu de massacre.
Brouillant constamment la frontière entre réalité et fiction, le film s’ouvre sur une citation de l’écrivaine guadeloupéenne Maryse Condé : “Le rire est le premier pas vers la libération. On commence par rire. On rit donc on se libère. On se libère donc on peut combattre.” Tout un programme ! Et c’est vrai que l’on rit pas mal au cours de ce récit iconoclaste, passablement foutraque, notamment de Houellebecq, présenté ici en écrivain à côté de ses pompes, voire totalement dépassé par les événements. Bien sûr, cet acteur occasionnel est un bon client. Mais cela ne l’exonère en rien de ses dérives et autres dérapages dans la “vraie vie”. Ainsi, tel un gimmick, il est sans arrêt ramené (par l’incisive Gardin, très juste et très à l’aise tout du long) à son entretien calamiteux avec Michel Onfray dans Front populaire, revue réac et populiste. Celui-là même qui fit perdre tout espoir de Nobel à ce vieux Droopy nauséeux des Lettres françaises. Autant dire que Houellebecq ne sort pas grandi de ce film (qui clôt là un triptyque avec lui) et c’est tant mieux.
Autre qualité de cette comédie barrée, finalement sans concessions : son envie d’aborder nombre de problématiques sensibles de l’époque, comme le passé esclavagiste de la France (puisque l’on est en Guadeloupe), l’appropriation culturelle, l’homophobie ou le sexisme, sous un angle – et un langage ! – moins policé que d’habitude (l’absorption d’un champignon hallucinogène par les protagonistes favorisant, pour le coup, ce “relâchement”). En rire jusqu’au malaise, une séquence géniale dans une limousine sans clim à la clé, pour mieux se libérer de toutes les chaîne : telle est l’idée. Punk is not dead, oh yeah !
Dans la peau de Blanche Houellebecq, de Guillaume Nicloux.
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