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© Pathe

"Les 3 Mousquetaires : Milady", "Le Balai libé­ré", "Past Lives"… : les sor­ties ciné de la semaine

Une femme bles­sée qui se venge dans la France du XVIIe siècle, des ouvrières qui s’unissent dans la Belgique de 1970, deux ami.es qui se perdent et se retrouvent entre Corée et États-​Unis, une vierge de 50 ans qui découvre l’amour en Géorgie, une femme noire qui s’échappe d’une cage en fer au milieu du désert : voi­ci les sor­ties ciné du 13 décembre.

Les Trois Mousquetaires : Milady

Si vous avez raté l’épisode pré­cé­dent… Les Trois Mousquetaires : Milady est la seconde par­tie de la méga-​production (bud­get colos­sal, cas­ting 5 étoiles, et tout plein d’épées, de che­vau­chées fou­gueuses et de bagarres dans la terre crot­tée) pro­po­sée par Martin Bourboulon (et Pathé). On pré­fère pré­ci­ser parce que tout le monde n’a pas lu, enfant, Alexandre Dumas… et parce que la réa­li­sa­tion, éner­gique mais imper­son­nelle, de ce « fren­chy block­bus­ter » fait furieu­se­ment pen­ser aux adap­ta­tions en cos­tumes dif­fu­sées d’ordinaire sur Netflix. Divertissantes, ok, mais dispensables.

Alors, pour­quoi s’échiner à en par­ler ? Eh bien parce que cette « Part II » étant dédiée à Milady de Winter, fas­ci­nante héroïne, si rare en ces contrées viriles, on s’attend à la voir mener cette nou­velle aven­ture de bout en bout. Eh quoi ? Cette femme bles­sée, ingé­nieuse et ven­ge­resse, en a l’envergure ! Archétype de la femme fatale (bien avant que le ciné­ma et ses mâles réa­li­sa­teurs s’en emparent, puisque le roman de Dumas date de 1844), elle sus­cite d’autant plus l’intérêt qu’elle est incar­née, ici, par Eva Green, inquié­tante et superbe. Las ! Passées quelques scènes mar­quantes, voire émou­vantes, qui inter­rogent de façon inédite son rap­port à la mater­ni­té, la sombre Milady se tient sur­tout dans l’ombre… d’Athos, son ex-​mari for­mi­da­ble­ment incar­né, il est vrai, par un Vincent Cassel des plus cabossés.

En dépit des bonnes inten­tions ini­tiales d’Alexandre de la Patellière et de Mathieu Delaporte, scé­na­ristes éprou­vés, Les Trois Mousquetaires : Milady reste donc une his­toire de gar­çons, un brin essouf­flés puisque cou­rant après la moder­ni­té sans jamais la rattraper.

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Les Trois Mousquetaires : Milady, de Martin Bourboulon.

Le Balai libéré

Mais quel bon­heur que ce « petit » docu­men­taire belge, remar­quable à tout point de vue ! Et d’abord parce qu’en ces temps d’individualisme et de libé­ra­lisme for­ce­nés, il donne à voir et à entendre une ode au tra­vail ouvrier, au col­lec­tif et à l'autogestion. Complètement à contre-​courant, donc…

Glissant sa camé­ra au sein de l’Université Catholique de Louvain, Coline Grando, sa réa­li­sa­trice, s’en est d’abord allée à la recherche des traces d’une his­toire excep­tion­nelle, celle de femmes de ménage pion­nières qui, dans les années 70, ont licen­cié leur patron et tra­vaillé en auto­ges­tion pen­dant 14 ans au sein de leur propre boîte : « Le Balai libé­ré ». L’époque favo­ri­sait ce genre d’audace, bien sûr, mais on ne se lasse pas d’entendre le récit de cette lutte réus­sie, sou­te­nue par l’UCLouvain qui plus est ! Impossible de ne pas sou­rire ni d’être touché·es en écou­tant ces ex-​jeunes filles, désor­mais vieilles dames aux che­veux blancs. Entre fier­té et humi­li­té, leurs sou­ve­nirs irra­dient de vaillance, d’humour et d’intelligence.

Autant de qua­li­tés que l’on retrouve chez celles et ceux qui leur ont suc­cé­dé, 50 ans après. Fine mouche, Coline Grando a eu la bonne idée, en effet, de dou­bler cette quête mémo­rielle d’une ren­contre avec les agent.es de net­toyage qui, aujourd’hui, s’activent dans l’espace laby­rin­thique de cette immense facul­té, mul­ti­pliant horaires et cadences compliqué·es sous la férule de sous-​traitants peu amènes. « Travailler sans patron, est-​ce encore une option ? », s’interrogent-ils de concert…

La réa­li­sa­tion posée, atten­tive, patiente, contri­bue pour beau­coup à la qua­li­té de leur témoi­gnage. D’autant plus bou­le­ver­sants qu’ils racontent au plus près, avec davan­tage de fatigue que de colère, l’évolution dra­ma­tique du monde ouvrier, broyé par un sys­tème capi­ta­liste tou­jours plus violent et déshumanisé. 

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Le Balai libé­ré, de Coline Grando.

Past lives – Nos vies d’avant

Toujours se méfier des appa­rences ! Bien sûr, si l’on se contente d’y jeter un œil bla­sé, ce pre­mier long métrage amé­ri­cain s’apparente à une comé­die roman­tique clas­sique. Son argu­ment de départ semble même nous embar­quer sur un ter­rain fami­lier, archi codé : deux ami·es d’enfance, Nora et Hae Sung, secrè­te­ment amou­reux, se perdent de vue à 12 ans, se retrouvent à 20, puis s’éloignent à nou­veau, avant de se recon­nec­ter une troi­sième fois à 30 (le moment où on les découvre, un soir dans un bar), et se confron­ter alors à ce qu’ils auraient pu être et ce qu’ils pour­raient devenir…

Aucune honte à avoir, rassurez-​vous, si vous vous délec­tez au pre­mier degré de ces tours, détours et retrou­vailles dif­fé­rées ! Sauf que Past Lives – Nos vies d’avant ne cherche pas vrai­ment à racon­ter une liai­son empê­chée, jalon­née de rebon­dis­se­ments roma­nesques. Certes, lorsque Nora retrouve Hae, la troi­sième fois, elle est accom­pa­gnée de son mari… Mais cette piste pseudo-​adultérine fait long feu : il n’y aura pas de guerre entre les deux gar­çons, ce qui se joue étant à la fois plus mys­té­rieux, plus héroïque et plus déchirant…

Par-​delà les conven­tions du genre, Celine Song, la réa­li­sa­trice, nous convie de fait à une médi­ta­tion sub­tile sur l’amour (le véri­table, celui qui per­met d’accepter de ne pas tout connaitre de l’autre) ; mais encore sur l’exil (Nora, d’origine coréenne, est deve­nue amé­ri­caine, mariée à un Américain, tan­dis que Hae Sung est res­té en Corée). Scintillant de dou­ceur, de déli­ca­tesse, et de plans ultra-​stylés, Past Lives – Nos vies d’avant n’est déci­dé­ment pas un film banal… puisqu’il inter­roge à la fois le mélange des cultures, la perte des repères et la confu­sion des sentiments.

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Past Lives – Nos vies d’avant, de Celine Song.

Blackbird, Blackberry

Ô le beau ver­tige ! Il lui aura suf­fi de croi­ser un merle, au détour d’une cueillette de mûres au bord d’une falaise friable, pour qu’Ethéro, Géorgienne soli­taire et taci­turne, décide de s’ouvrir au monde, au plai­sir, à la vie. C’est ain­si qu’à 48 ans, cette femme plan­tu­reuse découvre tar­di­ve­ment l’amour et la sexua­li­té, au grand dam des com­mères de son vil­lage et… des fan­tômes de son pas­sé. Mais Ethéro n’en a que faire : après s’être cen­su­rée pen­dant de longues années, vic­time d’un envi­ron­ne­ment toxique sinon patriar­cal, elle ne veut plus écou­ter que l’appel de son désir…

Présenté à la Quinzaine des cinéastes, à Cannes en mai der­nier, Blackbird, Blackberry (Le Merle et la mûre, en fran­çais) est la (très) bonne sur­prise de la semaine ! Tout converge, en effet, pour que cette fable fémi­niste étonne, étreigne et même épate. Bien sûr, sa science du cadre, le cha­toie­ment de ses cou­leurs et son humour laco­nique évoquent l’univers irré­sis­ti­ble­ment déca­lé, donc poé­tique, d’Aki Kaurismäki. Reste que son héroïne (et sa comé­dienne, Eka Chavleishvili) résiste à toute com­pa­rai­son. Absolument sin­gu­lière, et dans son corps et dans sa manière d’être, Ethéro fas­cine autant pour son auto­ri­té tai­seuse que pour sa sen­sua­li­té un peu brusque.

Un per­son­nage qu’Elene Naveriani, la réa­li­sa­trice, filme en alliée, consciente de son étran­ge­té, mais aus­si de la por­tée uni­ver­selle de son par­cours d’émancipation. Elle a bien rai­son : Blackbird, Blackberry ravit, tel le chant flû­té du merle dans la séquence d’ouverture…

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Blackbird, Blackberry, d’Elene Naveriani.

The Survival of Kindness

Cela fai­sait bien dix ans que le cinéaste aus­tra­lien Rolf de Heer, voix impor­tante dans son pays, n’avait pas réa­li­sé de long métrage. Le voi­ci de retour… et l’on peut dire sans ambages qu’on n’est pas près de l’oublier ! D’une force visuelle inouïe, aux confins du conte méta­phy­sique et de la SF post-​apocalyptique, The Survival of Kindness sidère par sa puis­sance, sa gra­vi­té et sa (fausse) simplicité.

Nous voi­ci projeté.es au milieu d’un désert aride, sous un soleil de plomb, là-​même où une femme noire a été aban­don­née dans une cage en fer par ses bour­reaux ano­nymes. Déterminée à vivre, elle par­vient, contre toute attente, à s’en échap­per. Elle entame alors une odys­sée sin­gu­lière, éprou­vante, qui la mène­ra jusqu’aux fron­tières de l’humanité…

L’histoire de la vio­lence n’est certes pas un sujet nou­veau au ciné­ma. Il est rare, tou­te­fois, qu’elle soit trai­tée d’une façon aus­si épu­rée, radi­cale et juste, au fond. Tout concorde, de fait, pour que l’étrange ran­don­née de cette femme sans nom résonne de façon bru­tale. Des décors sau­vages, immenses, hos­tiles, du bush aus­tra­lien, au silence alen­tour, à peine entre­cou­pé d’onomatopées (le film est qua­si­ment muet), en pas­sant par ces colo­nies d’insectes fil­mées en très gros plans, une ten­sion per­ma­nente élec­trise ce récit pour­tant peu sou­cieux de rebondissements.

L’allégorie est de mise, bien sûr, confron­tant cette héroïne, éton­nante de dou­ceur et d’allant, aux racisme et sexisme sys­té­miques d’un monde en ruines. Nul besoin de dis­cours, ni de sous-​titres, pour com­prendre : la force des images et le cha­risme de Mwajemi Hussein, sa comé­dienne, nous portent et nous parlent tout le long… Jusqu’à l’épilogue, éga­le­ment radi­cal (préparez-​vous…).

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The Survival Of Kindness, de Rolf de Heer.

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