Un film d'époque (Chili 1976), un thriller efficace (De grandes espérances) et un drame plein de douceur (Le Bleu du caftan) sont à retrouver dans les salles obscures ce mercredi.
Chili 1976
Rien n’est plus difficile au cinéma que de distiller (subtilement) un sentiment de menace alors qu’aucun élément, à l’image, n’atteste d’un danger manifeste. C’est pourtant ce que parvient à faire Manuela Martelli, jeune cinéaste chilienne qui, dès son premier long-métrage, témoigne d’une maîtrise formidable du hors champ et de l’informulé.
Le sujet de Chili 1976 s’y prête : comme son titre l’indique, il s’agit d’un film d’époque, qui nous projette dans l’atmosphère taiseuse, apeurée, tragique du Chili de Pinochet, trois ans après son coup d’État. Au cœur de ce récit sous tension, qui démarre lentement mais ne cesse de prendre de l’ampleur, une femme retient d’emblée notre atten- tion. Carmen est une jeune grand-mère très chic, assez désœuvrée, qui vit dans l’ombre d’un mari médecin. Partie superviser la rénovation de leur maison familiale en bord de mer, elle y retrouve un prêtre ami qui lui demande de s’occuper – en toute discrétion – d’un jeune révolutionnaire blessé. Un acte « charitable » qui, peu à peu, va lui permettre d’ouvrir les yeux… De s’éveiller, en somme.
Atmosphère lourde et secrète oblige, rien de ce qui advient par la suite n’est toutefois prévisible. De fait, tout concourt à ce que l’on reste aux aguets, que ce soit les couleurs désaturées de l’image, l’utilisation inquiétante de la musique, le minimalisme étudié de la mise en scène ou la sobriété de jeu exemplaire des comédiens (dont l’impeccable Aline Küppenheim dans le rôle de Carmen). De toute évidence, la surprenante Manuela Martelli cherche à nous mettre dans le même état de trouble que ses protagonistes. Un pari subtil, audacieux et parfaitement réussi.
Chili 1976, de Manuela Martelli.
De grande espérances
Une étudiante brillante, idéaliste, d’origine modeste et cependant promise à un bel avenir dans les hautes sphères politiques (excellente Rebecca Marder, à l’affiche d’un film presque chaque mois !). Des fiançailles dissonantes avec un dandy nerveux issu de la grande bourgeoisie d’affaires (Benjamin Lavernhe, toujours très bien). Une mort accidentelle à la suite d’une altercation avec un chauffard sur une route de vacances. Et une ascension qui semble, aussitôt, compromise. Ou pas…
Voilà pour les ingrédients de ce thriller efficace, plutôt bien écrit, qui interroge le pouvoir, ses mensonges et ses trahisons, mais aussi l’ambition. Peut-on poursuivre ses rêves quand on a les mains sales ? Telle est la question qui hante notre étudiante en mode survie. On la suit volontiers dans ses chaos comme dans ses combats.
De grandes espérances, de Sylvain Desclous.
Le Bleu du caftan
C’est probablement le film le plus délicat du mois. Entendez plein de tact, mais aussi d’audace. Le nouveau long-métrage de Maryam Touzani nous plonge dans l’intimité de Halim et de Mina, un couple aimant qui tient un magasin de caftans, ces longues tuniques traditionnelles, dans la médina de Salé, au Maroc. Un couple différent aussi, car vivant avec l’homosexualité de Halim, qu’il a appris à taire. Bientôt, la maladie de Mina (qui se sait condamnée) et l’arrivée d’un jeune apprenti vont bouleverser ce fragile équilibre… Porté par un duo d’acteurs passionnants (Saleh Bakri et Lubna Azabal), Le Bleu du caftan captive par sa douceur, sa pudeur et sa minutie. Maryam Touzani procède par petites touches, brodant un huis clos élégant sur le courage d’aimer.
Le Bleu du caftan, de Maryam Touzani.