Grosse livraison dans les salles ce mercredi : Les Passagers de la nuit de Mikhaël Hers, Limbo, de Ben Sharrock, Miss Marx, de Susanna Nicchiarelli et L’été l’éternité, d’Émilie Aussel.
La voix humaine
Plus secrets que d’autres, certains films ravissent par leur seul frémissement, leur délicatesse, leur grâce impalpable. Les Passagers de la nuit est de ceux-là. Nul hasard s’il offre à Charlotte Gainsbourg l’un de ses plus beaux rôles : le flow de son récit épouse idéalement le souffle de sa voix.
Précisément, le quatrième long-métrage de Mikhaël Hers accompagne la trajectoire d’Élisabeth, une héroïne vulnérable et déterminée. Peu de temps après avoir été quittée par son mari, cette grande timide (et insomniaque) trouve un emploi dans une émission de radio la nuit, moyen inédit pour elle d’assurer son quotidien et celui de ses enfants, mais aussi d’entamer une nouvelle existence. Il lui suffit juste, pour cela, de traverser la Seine ! Les personnages ne cessent de circuler dans ce fluide « roman » d’apprentissage. Sans doute parce qu’ils·elles sont tous et toutes en transit, quels que soient leur âge, leurs envies ou leurs blessures (Élisabeth recueille ainsi Talulah, une jeune fille SDF).
Reste que s’ils·elles se croisent, s’attachent, se détachent, c’est pour mieux se réinventer ensemble. Cette dynamique est l’une des grandes qualités de ce film « d’époque », qui déploie ses élans sur sept années, entre 1981 et 1988, histoire d’exhaler une forme d’espoir, sinon d’innocence. Mais sans nostalgie ! Jalonné de mains tendues et de tubes (ceux qui passaient alors à la radio) ; rythmé par la voix fragile de Pascale Ogier (égérie des années 1980 que Talulah découvre dans Les Nuits de la pleine lune) ou apaisante d’Emmanuelle Béart (épatante dans un second rôle), Les Passagers de la nuit se met simplement au diapason de ses protagonistes : doux et généreux.
Les Passagers de la nuit, de Mikhaël Hers. Sortie le 4 mai.
Rire pour ne pas pleurer
Bienvenue dans le royaume de l’absurde ! Limbo nous entraîne sur une petite île de pêcheurs en Écosse, aussi ventée qu’isolée, là même où un groupe de demandeurs d’asile – uniquement de jeunes hommes – attendent désespérément de connaître leur sort. Parmi eux, Omar, un musicien syrien au bras plâtré qui transporte son instrument où qu’il aille, et Farhad, qui a dû fuir l’Afghanistan pour échapper aux persécutions homophobes. Primé au Festival du film britannique de Dinard, Limbo enchante pour son humeur tragi-comique et ses gags laconiques, à la lisière du non-sens, mais encore pour ses paysages sublimes et ses personnages merveilleusement attachants, car naïfs et courageux à la fois. Mention spéciale à Sidse Babett Knudsen (Borgen), hilarante en formatrice déphasée (et inutile) !
Limbo, de Ben Sharrock. Sortie le 4 mai.
Rebelle et soumise
Réévaluer une figure du passé n’est pas chose aisée, surtout quand il s’agit d’une femme blessée. Susanna Nicchiarelli est coutumière du fait. Après avoir dépeint (fort bien) les dernières années de la chanteuse Nico (Nico, 1988), voilà qu’elle braque sa caméra sur le destin contrarié d’Eleanor Marx, fille cadette du célèbre philosophe allemand. Une jeune femme brillante et combative, parmi les premières à lier féminisme et socialisme, mais qui ne parvint jamais à se libérer d’une histoire d’amour toxique avec un homme volage et dépensier. Pour exprimer ce paradoxe – et restituer la rage cachée de miss Marx –, la cinéaste italienne pare son film d’époque d’une BO punk. Un anachronisme bienvenu, même s’il n’est pas… révolutionnaire (Sofia Coppola l’a fait avant elle) ! Il donne du souffle à son récit un brin confus et raide, parfois.
Miss Marx, de Susanna Nicchiarelli. Sortie le 4 mai.
La jeune fille et la mort
Il y a quelque chose de l’ordre de la fable dans ce premier long-métrage français. Une fable radieuse d’abord, qui surprend un groupe d’adolescent·es. L’été juste après leur bac, sur les plages marseillaises. La vie est belle alors, et éternelle, ce que capte formidablement la caméra sensible d’Émilie Aussel à travers ces moments d’amitié, d’insouciance et de fête. Une fable plus sombre ensuite, juste après qu’un événement douloureux n’explose le groupe. Comment faire face, si jeune, à la perte ? Comment accepter que rien ne dure ? Comment renaître ? Le récit devient alors plus introspectif. Plus théâtral aussi. Rien de grave : ce film, même fragile, même bancal, regorge de belles promesses. Aussi bien du côté de la réalisatrice (à suivre), que de ses jeunes interprètes (en particulier Nina Villanova).
L’été l’éternité, d’Émilie Aussel. Sortie le 4 mai.