Une jeune cinéaste marocaine veut comprendre pourquoi il n’y avait pas de photo dans la maison de sa grand-mère, deux enfants de déportés comblent les silences de leur histoire familiale à Tel-Aviv, une petite Alice nous projette dans les dédales d’un prodigieux film d’animation tchèque : voici les sorties ciné du 28 février…
La Mère de tous les mensonges
Depuis longtemps, une question hante Asmae El Moudir : pourquoi n’y avait-il aucune photo d’elle dans la maison familiale de Casablanca ? Aucune photo ou presque… Car un jour, bien plus tard, alors qu’elle vient aider ses parents à déménager, elle tombe sur une image enfouie dans de vieilles affaires…
Surprise, elle la reconnaît : on y voit des gamins qui sourient dans la cour d’une école et, presque hors cadre, une petite fille timide assise sur un banc. Cette petite fille, c’est elle, lui avait dit sa mère lorsqu’elle avait 12 ans et ne cessait de l’interroger sur ces images manquantes. Mais Asmae ne l’avait pas crue. Et elle ne la croit toujours pas, sauf que, cette fois-ci, la jeune réalisatrice décide d’enquêter. Lentement, difficilement. Alors, afin de démêler les fils des non-dits soigneusement attachés par sa grand-mère, cheffe de famille autoritaire, elle finit par confronter ses proches à une maquette de leur ancien quartier, là où tous et toutes ont vécu à l’époque. Rempli de maisons miniatures et de figurines naïves, ce décor de poche joliment coloré va ainsi leur permettre de dévoiler, peu à peu, les zones d’ombre non pas seulement de la famille, mais aussi de l’histoire du Maroc sous le règne également autoritaire d’Hassan II…
Pari audacieux que ce documentaire, qui choisit de faire advenir la vérité par la fiction et la mise en scène, mais pari réussi ! D’abord parce qu’il répond avec beaucoup de créativité à la question cruciale, à la fois intime et politique, posée par cette fameuse “image manquante”. Il a d’ailleurs été salué par le prix de la mise en scène dans la section Un certain regard et par L’Œil d’or du meilleur documentaire au Festival de Cannes. Ensuite parce qu’il nous fait sourire en dépit de la gravité de son sujet. La figure tyrannique de la grand-mère, râleuse formidable, y est pour beaucoup (c’est elle, la “mère de tous les mensonges”), de même que le commentaire en voix off d’Asmae El Moudir. Passeuse délicate d’une mémoire brutale, elle n’hésite pas à se moquer tendrement d’elle-même ou de son aïeule, imprégnant son récit d’une chaleur bienvenue. C’est dire si ce premier long-métrage est peu ordinaire !
![“La Mère de tous les mensonges”, “Il n’y a pas d’ombre dans le désert”, “Alice” : les sorties ciné de la semaine 2 LA MERE DE TOUS LES MENSONGES Affiche Def scaled 1](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2024/02/LA-MERE-DE-TOUS-LES-MENSONGES_Affiche-Def-scaled-1-758x1024.jpg)
La Mère de tous les mensonges, d’Asmae El Moudir.
Il n’y a pas d’ombre dans le désert
Coécrit avec la comédienne Valeria Bruni Tedeschi, le nouveau film du cinéaste israélien Yossi Aviram agite les questions décidément récurrentes de la mémoire, de la parole et de la transmission à travers deux enfants de déportés, passablement perturbés par le silence obstiné de leurs parents survivants (très âgés désormais). La curiosité est d’autant plus vive que le scénario d’Il n’y a pas d’ombre dans le désert emprunte les chemins déroutants, assez mythiques pour les cinéphiles, de l’un des longs-métrages les plus célèbres d’Alain Resnais, L’Année dernière à Marienbad (avec l’inoubliable Delphine Seyrig).
Nous voici donc projeté·es au côté d’Anna (incarnée par l’intense et farouche Valeria), une écrivaine française qui se rend à Tel-Aviv pour assister au procès d’un ancien nazi ayant participé à la persécution de son père. C’est alors qu’elle croise Ori, un homme qui lui dit être bouleversé de la revoir vingt ans après qu’ils se sont follement aimé·es. Il lui avoue même qu’il connaît par cœur l’un de ses romans qui évoquerait leur idylle. Le souci, c’est qu’Anna ne le reconnaît pas, elle soutient même qu’ils ne se sont jamais rencontré·es. Frustré, et légèrement obsessionnel, Ori se dit alors que les choses deviendront plus claires au milieu du désert : il décide donc de la kidnapper…
On le voit, ce n’est pas tant le mensonge, ici, qui irrigue la fiction de Yossi Aviram que le silence des parents, qui oblige les enfants à combler comme ils·elles peuvent les trous de leur histoire, l’une en écrivant des romans, l’autre en mêlant sans y prendre garde réel et fantasmes. Des vertus consolatrices de l’imaginaire : tel est l’enjeu poignant de ce film qui dépasse assez vite le seul contexte de la Shoah pour s’adresser à tous les héritier·ères d’une mémoire familiale interrompue ou fragmentée parce qu’indicible. Dommage, cela étant, que cet élan s’étiole en cours de route. Bien que fortes visuellement, les scènes dans le désert ont tendance, en effet, à banaliser ce récit surprenant, le réduisant en une simple histoire d’amour contrarié.
![“La Mère de tous les mensonges”, “Il n’y a pas d’ombre dans le désert”, “Alice” : les sorties ciné de la semaine 3 il n y a pas d ombre dans le desert3](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2024/02/il-n-y-a-pas-d-ombre-dans-le-desert3.jpg)
Il n’y a pas d’ombre dans le désert, de Yossi Aviram
Alice
Vacances scolaires obligent, et si vous vous laissiez tenter par la reprise en salle d’un chef‑d’œuvre du cinéma d’animation ? Datant de 1989, très librement adapté du livre célèbre de Lewis Caroll, Alice, du Tchèque Jan Švankmajer, est même une œuvre “culte”, plébiscitée par ses pairs à l’époque (Grand prix du festival d’Annecy). N’a‑t-elle pas influencé Tim Burton et Terry Gillian, ces deux grands garçons fantasques et rêveurs ? Mélangeant prises de vue réelles et animation en volume, ce film jalonné de trouvailles propose évidemment une balade au pays des rêves (Alice part bel et bien à la poursuite du lapin blanc), mais aussi au pays des terreurs enfantines. Elle est donc parfois teintée de cauchemars, bestiaire monstrueux à l’appui (évitez d’aller le voir avec des enfants de moins de 8 ans !). Mais ce prodigieux récit à tiroirs vous enchantera néanmoins par sa liberté, si chère aux surréalistes, et par la justesse de son message. Alice ou l’art d’apprendre à grandir pour une petite fille… c’est-à-dire à ne compter que sur elle-même pour se sortir de tous les labyrinthes, qu’ils soient beaux, amusants ou effrayants.
![“La Mère de tous les mensonges”, “Il n’y a pas d’ombre dans le désert”, “Alice” : les sorties ciné de la semaine 4 Alice affiche 2](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2024/02/Alice-affiche-2-691x1024.jpg)
Alice, de Jan Švankmajer.