Capture d’écran 2022 06 07 à 18.02.10
©DR

Interview d'Iryna Tsilyk réa­li­sa­trice ukrai­nienne du docu­men­taire "The Earth is Blue as an Orange"

En sui­vant une famille du Donbass – en guerre depuis 2014 –, qui sur­vit grâce à sa pas­sion pour l’art et pour le ciné­ma, Iryna Tsilyk, réa­li­sa­trice ukrai­nienne du docu­men­taire The Earth is Blue as an Orange, qui sort ce 8 juin, nous donne à voir une véri­table ode à la vie. 

Causette : Comment avez-​vous ren­con­tré Anna et ses enfants ?
Et pour­quoi avoir choi­si de fil­mer cette famille plu­tôt qu’une autre ? Iryna Tsilyk :
 Vous savez, il existe une ini­tia­tive incroyable en Ukraine : des cinéastes pro­fes­sion­nels orga­nisent, sur une base volon­taire, des ate­liers de ciné­ma pour les enfants de la zone de guerre. Un peu comme des camps d’ados, sauf qu’ils apprennent à faire des films. J’étais par­tie pour les fil­mer [le docu­men­taire a été tour­né avant l’invasion par la Russie de l’ensemble du pays, ndlr], mais je ne savais pas par quel bout prendre ce sujet. C’est alors que Myroslava et Anastasia Trofymchuk, deux sœurs qui y par­ti­ci­paient, nous ont invi­tées chez elles, à Krasnohorivka, dans la région de Donetsk, mon équipe et moi. C’est là que nous avons ren­con­tré leur mère, Anna, qui les élève seule avec leurs frère et sœur. Immédiatement, nous avons res­sen­ti une atmo­sphère très spé­ciale dans leur mai­son pleine de chats, de musique et de dis­cus­sions sur l’art. J’ai com­pris qu’ici nous pour­rions réa­li­ser un por­trait plus intime. Et nous avons eu de la chance : ils se sont mon­trés très ouverts aux « règles du jeu » d’un tournage !

Pourquoi avoir choi­si de lais­ser la guerre hors-​champ et de n’en par­ler qu’à tra­vers cette famille de civils, notam­ment Anna, Mère Courage ?
I. T. :
 Il existe beau­coup de films ukrai­niens sur la guerre russo-​ukrainienne. J’ai moi-​même réa­li­sé un court-​métrage sur un ambu­lan­cier du front (il est actuel­le­ment pri­son­nier des occu­pants russes) et un autre sur une femme sol­dat membre d’un groupe d’assaut. Mais là, j’ai vou­lu faire autre chose, car je me posais pas mal de ques­tions. Qu’est-ce que cela signi­fie d’être civil dans une zone de guerre ? Mais encore : quel est le pou­voir des artistes en temps de guerre ? En obser­vant le quo­ti­dien d’Anna et de ses enfants, j’ai vu qu’ils n’étaient pas seule­ment vic­times de cette guerre, ils essayaient aus­si de vivre plei­ne­ment, par exemple en trans­for­mant leur mai­son en un pla­teau de tour­nage secret, car ils sont tous pas­sion­nés de ciné­ma. Et ça, c’était beau­coup plus inté­res­sant, pour moi, que la réa­li­té de la guerre elle-même !

Votre docu­men­taire est très cha­leu­reux. Il dégage aus­si
une impres­sion presque sur­réelle, un peu comme dans un conte…
I. T. : 
J’observe sou­vent la vie de manière poé­tique. J’aime les contrastes et les petits moments de beau­té à peine per­cep­tibles. Lorsque je suis par­tie au Donbass, j’ai été très impres­sion­née… notam­ment par le fait que les gens s’étaient habi­tués à la réa­li­té de la guerre, n’y fai­sant par­fois même plus atten­tion. Ça peut sem­bler si bizarre quand on arrive de l’extérieur ! En fait, le Donbass regorge à la fois de com­bats et de poé­sie : c’est cela que j’ai vou­lu attra­per dans mon film. Je res­sens la même chose dans ma ville en ce moment. Kiev est si prin­ta­nière, et appa­rem­ment si pai­sible, qu’il est par­fois facile d’oublier que la guerre est proche ! Bien sûr, il y a moins de monde en ville, mais les par­terres de fleurs ont l’air si par­faits que je ne peux m’empêcher de pen­ser que quelqu’un les a plan­tés et soi­gnés, alors que des attaques de mis­siles se pro­duisent encore. Cela peut sem­bler chi­mé­rique, mais nous, les civils, ten­tons sim­ple­ment de vivre normalement.

The Earth is Blue as an Orange, d’Iryna Tsilyk.

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