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Kore-Eda / Le Pacte

“5 Hectares”, “L’Innocence”… : les sor­ties de la semaine

Un road-​movie mali­cieux en trac­teur, un thril­ler à hau­teur d’enfant, un cycle Bernadette Lafont à cro­quer : voi­ci les sor­ties ciné du 27 décembre.

5 Hectares

Nul besoin d’être cruel pour viser juste ni de mul­ti­plier gags et rebon­dis­se­ments pour être drôle. La preuve avec 5 Hectares, la nou­velle comé­die très réus­sie d’émilie Deleuze. Adoptant (en grande par­tie) la forme d’un road-​movie déca­lé, ce récit sau­gre­nu nous balade aux confins de l’absurde, de la poé­sie et de l’actualité avec un rare talent. Jubilatoire ! 

L’argument de départ est savou­reux : Franck, homme et cita­din accom­pli (il occupe un poste pres­ti­gieux de cher­cheur scien­ti­fique dans un labo à Bordeaux), remet en jeu d’un coup d’un seul sa car­rière et son couple le jour où il achète une mai­son de cam­pagne et devient pro­prié­taire de 5 hec­tares. Poussé par cette pas­sion sou­daine, inex­pli­quée, déme­su­rée, pour ce lopin de terre limou­sine, et bien déci­dé à acqué­rir une forme de légi­ti­mi­té (!) auprès de ses voisin·es paysan·nes, ce “néo-​rural” sou­haite très vite ache­ter un trac­teur, qu’il va cher­cher dans un dépar­te­ment voi­sin. C’est alors que l’histoire démarre véri­ta­ble­ment, puisque ce sexa­gé­naire intré­pide (ou enfan­tin…) rentre chez lui en tra­ver­sant toute la région sur sa drôle de machine. Un voyage à 20 km/​h qui va s’avérer on ne peut plus… initiatique.

Bien sûr, cette épo­pée au ralen­ti fait un peu pen­ser à celle d’Une his­toire vraie, de David Lynch. Mais son registre est plus mali­cieux que cela, et plus varié puisque 5 hec­tares lance éga­le­ment des clins d’œil au wes­tern, avec ses pay­sages en plans larges, sublimes de cou­leurs. On pense à Don Quichotte, fable exis­ten­tielle tout autant que satire sociale. Reste que si ce film nous parle bel et bien, en creux, de la mas­cu­li­ni­té dans tous ses excès, de l’arrogance cita­dine ou du désar­roi du monde pay­san, il évite soi­gneu­se­ment de jouer au don­neur de leçons. S’appuyant sur des pro­ta­go­nistes déli­cieu­se­ment entêté·es et sur un cas­ting magique (Lambert Wilson, Marina Hands et Laurent Poitrenaux sont géniaux de rythme et de légè­re­té), il cherche d’abord à nous diver­tir, avant de nous faire réflé­chir sur la douce folie des hommes.

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5 Hectares, d’émilie Deleuze.
© Paname Distribution

L’Innocence

Ça n’est pas le chef‑d’œuvre atten­du, mais ça n’est pas non plus un ratage com­plet. Disons qu’avec sa forme puzzle, L’Innocence nous égare un peu inuti­le­ment avant de nous cueillir tout à fait. Il est vrai que son auteur, le cinéaste japo­nais Hirokazu Kore-​eda, nous a déjà beau­coup gâté·es en termes de grands films, de Nobody Knows (2004) à Une affaire de famille (Palme d’or en 2018). Trop peut-être.

Le fait est qu’on s’étonne que ce nou­vel opus ait reçu cette année le Prix du scé­na­rio à Cannes… Car sa nar­ra­tion écla­tée, qui déroule son sus­pense à la façon d’un thril­ler sophis­ti­qué, semble plus arti­fi­cielle que judi­cieuse pour son­der le mys­té­rieux pays de l’enfance, thème favo­ri du réa­li­sa­teur. Précisément, L’Innocence s’est choi­si pour per­son­nage prin­ci­pal Minato, un gar­çon de10 ans au com­por­te­ment de plus en plus pré­oc­cu­pant, voire violent. On suit d’abord sa mère, qui l’élève seule, s’inquiète et décide de confron­ter l’équipe péda­go­gique de son école, subo­do­rant un pro­blème de har­cè­le­ment, puis le pro­fes­seur dési­gné comme res­pon­sable de ses pro­blèmes, avant que la véri­té, plus com­plexe et nuan­cée, ne soit révé­lée lors d’une troi­sième et der­nière par­tie qui adopte, cette fois, le point de vue de Minato.

Et c’est là, jus­te­ment, qu’on regrette le choix de cet écha­fau­dage scé­na­ris­tique ! Ce der­nier frag­ment, qui raconte les vraies rai­sons du trouble de Minato, à savoir un amour inquiet et pla­to­nique pour l’un de ses cama­rades de classe, s’avère en effet d’une fraî­cheur et d’une lumi­no­si­té confon­dantes. Aussi bien dans sa forme que dans son conte­nu d’ailleurs, l’une et l’autre se rejoi­gnant pour dénon­cer à hau­teur d’enfant, et c’est ça qui est déchi­rant, les ravages et les men­songes d’un monde homo­phobe (du côté des adultes comme dans la cour de récré…).

Affiche Linnocence

L’Innocence, de Hirokazu Kore-​eda.
© Le Pacte

Cycle Bernadette Lafont

Cinq films parce qu’elle le vaut bien ! Profitez de la trêve des confi­seurs pour vous offrir la plus belle des gour­man­dises ciné­philes : revoir Bernadette Lafont sur grand écran, via la pro­jec­tion en ver­sion res­tau­rée de plu­sieurs de ses films (période 1960–1976, l’une des plus créa­tives de cette grande dame du ciné­ma). À com­men­cer par La Fiancée du pirate, de la très fémi­niste Nelly Kaplan (1969), dont l’entrain liber­taire lui allait comme un gant !

Comme Arletty pour la géné­ra­tion pré­cé­dente, et comme Béatrice Dalle pour la géné­ra­tion sui­vante, Bernardette Lafont fait par­tie de ses (rares) actrices qui ont cas­sé un moule et bien des codes mine de rien, sans jamais fri­mer ni faire la leçon à qui­conque (elle est décé­dée en 2013 à l’âge de 74 ans). Une nature, dit-​on, et bien plus que cela : une femme libre, forte, indomp­table et bien­veillante tout à la fois. Révélée en brune brû­lante de la Nouvelle vague, puis confir­mée en égé­rie futée du 7ème art défri­cheur de l’après-68, elle sut aus­si bague­nau­der du côté du ciné­ma popu­laire. Sans fron­tières. On se réjouit donc, en cette fin d’année, de retrou­ver sa voix gouailleuse, sa démarche cha­lou­pée et sa si belle mélan­co­lie dans Les Bonnes Femmes, de Claude Chabrol (1960) ; L’Amour c’est gai, l’amour c’est triste, du déli­cat Jean-​Daniel Pollet (1971) ; Les Stances à Sophie, de Moshé Mizrahi (1971) ou La Ville bidon, de Jacques Baratier (1976, une rareté).

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La Fiancée du pirate, Les Bonnes Femmes, L’Amour c’est gai, l’amour c’est triste, Les Stances à Sophie, La Ville bidon : 5 films avec Bernadette Lafont à redé­cou­vrir sur grand écran.
© Tamasa Distribution

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