Le mariage pour toutes et tous, promulgué le 17 mai 2013, ne semble pas avoir créé d'élan scénaristique au sein de la fiction française. Mais, dix ans après, force est de constater que les séries traitent avec plus de rigueur et d'émotion cette avancée sociétale que le cinéma, présentant des comédies souvent très stéréotypées.
« Au nom de la loi, nous vous déclarons époux et mari ! » Le 12 juillet 2013, un peu moins de deux mois après la promulgation de la loi ouvrant le mariage aux personnes de même sexe, le 17 mai 2013, Thomas Marci et Gabriel Riva se disent oui devant quatre millions de téléspectateur·trices. Les deux personnages phares de Plus belle la vie deviennent alors les premiers membres de la communauté LGBTQIA+ à s'unir dans le monde de la fiction française. Un motif de fierté pour Laurent Kérusoré, l'interprète de Thomas. « Je suis fier que la série ait pris parti aussi rapidement sur le sujet. […] On n'a pas fait le mariage gay pour être à la mode. Cela fait huit ans et demi que je joue Thomas et qu'il rêve de se marier et d'avoir des enfants. C'est un vrai "midinet" ! », racontait-il à l'époque dans les colonnes Parisien.
Un véritable moment de télé. Tellement précurseur, d'ailleurs, qu'il mettra du temps à arriver sur grand écran. Au cinéma, il faudra attendre la comédie Toute Première Fois, en 2015, pour voir une courte scène finale de mariage entre deux personnages gays secondaires. Un comble, pour un film qui mettait pourtant en scène un couple d'homos heureux et ensemble depuis dix ans, avant que l'un des deux, Jérémie (joué par Pio Marmaï), ne tombe follement amoureux… d'une femme. Les préparations de leur mariage, qui irriguaient une grande partie de l'intrigue, tomberont évidemment à l'eau. L'heureux événement sera alors remplacé par celui de leur ami. Après Toute Première Fois, qui se croyait sûrement subversif à l'époque, d'autres œuvres cinématographiques intègrent à leur tour l'union de gays et de lesbiennes à leur scénario : Les Tuche 2 (2016), Embrasse-moi ! (2017), Épouse-moi mon pote (2017) ou Qu'est-ce qu'on a encore fait au bon dieu (2019). Cette année, Une histoire d'amour d'Alexis Michalik dépeint lui un vrai-faux mariage entre deux femmes, cette scène se déroulant quelque temps avant le passage de la loi Taubira.
En dix ans, force est de constater que la liste des long-métrages et des séries mettant en scène cette avancée sociétale semble plutôt courte. Une situation qui interroge Alain Brassart, docteur en études cinématographiques et auteur du livre L'homosexualité dans le cinéma français (éd Nouveau Monde) : « On peut émettre deux hypothèses. Soit il existe encore un malaise de notre société par rapport à cette avancée. Mais j'en doute, étant donné le nombre d'hommes politiques qui font aujourd'hui leur mea culpa sur leur participation à la Manif pour tous. Soit les scénaristes ont la sensation qu'ils ont fait le tour des intrigues tournant autour du mariage en général. Peut-être pensent-ils que mettre en scène celui de deux personnes de même sexe n'apporterait finalement pas beaucoup à la fiction française…»
Scènes courtes et stéréotypées
Vianney Lebasque, réalisateur et co-scénariste de la série Les Grands avec Joris Morio et Victor Rodenbach, a intégré l'union de deux des principaux personnages masculins à la fin de la saison 3. Selon lui, si le mariage pour toutes et tous est aujourd'hui « globalement accepté » dans la société, le mettre en image souffre encore de certaines réticences. « Lorsqu'un couple de personnes de même sexe apparaît à l'écran, je trouve que l'on évite un peu, dans la mise en scène, de les voir s'embrasser ou avoir des gestes de tendresse, estime-t-il. Leur union est acceptée dans la vraie vie, mais c'est comme si la montrer dans la fiction dérangeait encore un peu. »
Dans la plupart des films qui choisissent de montrer deux homos ou deux lesbiennes sabrant le champagne, ces scènes sont ainsi toujours assez courtes, parfois teintées de stéréotypes éculés et reléguées à la fin, arrivant parfois comme un cheveu sur la soupe, comme dans Les Tuche 2. Dans ce dernier long-métrage, Wilfried (campé par Pierre Lottin), le fils aîné des Tuche, tombe amoureux du jardinier de ses parents et se marie avec lui à Las Vegas, aux États-Unis, lors d'une cérémonie officiée par un sosie d'Elvis. La scène ne dure que cinq minutes, mais accumule clichés et maladresses. Wilfried porte une casquette avec un voile, réactivant les stéréotypes associés aux couples gays avec forcément l'un des deux hommes qui « fait la femme ». Il marche aux côtés de son père car selon ce dernier, « pour commencer la cérémonie, chez [eux], la mariée entre au bras de son père ». Si on ne l'avait toujours pas compris, Wilfried est donc bien l'épouse, le jardinier l'époux. Enfin, le baiser entre les deux hommes, le seul dans tout le long-métrage pour un couple de personnes de même sexe, dure littéralement deux secondes montre en main. Dans Les Tuche 3, on apprendra d'ailleurs que les deux garçons ont divorcé, ramenant donc leur mariage à un simple rouage humoristique, une dernière pirouette du deuxième volet.
Qu'est-ce qu'on a encore fait au bon dieu et Épouse-moi mon pote n'évitent, eux aussi, pas les clichés. Dans le premier, Viviane (Tatiana Rojo) et Nicole (Claudia Tagbo) incarne un couple là aussi très hétéronormé : l'une a de long cheveux bruns, est toujours maquillée et apprêtée, la deuxième porte ses cheveux courts et apparaît presque toujours en costume. Le deuxième, réalisé par Tarek Boudali, devait initialement s'appelait Mariage (blanc) pour tous. À sa sortie, il s'est attiré la foudre de nombreux·ses critiques, internautes et associations. Le pitch est on ne peut plus clair : Yassine, un jeune étudiant marocain qui perd son visa français, décide d'épouser son meilleur ami pour pouvoir rester en France. Afin de ne pas éveiller les soupçons de l'administration, tous les deux font tout pour incarner ce qu'ils pensent être des homosexuels. Lors d'une virée dans le Marais, le quartier gay de Paris, on les voit manger des sandwichs en forme de bite, regarder des sex toys et acheter la même tenue, le tout sur l'hymne homo I'm Coming Out de Diana Ross…
Les séries, des espaces plus créatifs et délicats
Si dans le monde des séries françaises, le mariage pour toutes et tous est aussi peu présent que dans les films, il est néanmoins traité avec beaucoup plus de rigueur, de délicatesse et d'émotion. À l'image de l'union de Thomas et Gabriel dans Plus belle la vie, ou de celle d'Ilyes et d'Adam dans Les Grands.
La série, diffusée pendant trois saisons sur la plateforme OCS, raconte les hauts et les bas de la vie d'ados de la troisième à la terminale. Dans le dernier épisode, lors d'un flashforward, un procédé scénaristique qui consiste à montrer des événements futurs, on voit la plupart des personnages, dans leur trentaine, se retrouver pour célébrer le mariage d'Ilyes et d'Adam, incarnés avec réalisme par Sami Outalbali et Théo Augier Bonaventure. L'événement constituait « une occasion symbolique de réunir tout le monde », explique le réalisateur et scénariste Vianney Lebasque. Avant de poursuivre : « On ne voulait pas aller dans la tradition, avec le mariage d'un couple hétéro. Pour nous, il s'agissait d'un geste assez instinctif, plus moderne et qui allait contre les stéréotypes que l'on a parfois sur les gays à la sexualité plus libre. » La série, qui se termine sur le mariage, ne donne pour le coup pas la même impression de pirouette scénaristique bâclée, comme dans les longs-métrages cités précédemment. Cette évolution dans la relation entre les deux garçons semble naturelle, plausible et en phase avec l'époque. Surtout, elle prolonge l'intrigue et fait écho à la réalité des ami·es trentenaires aujourd'hui, qui se réunissent pour de grandes occasions comme les mariages et les naissances.
Vianney Lebasque affirme avoir bénéficié d'« une grande liberté » sur la plateforme de streaming OCS. « En 2007, quand j'ai écrit mon livre, j'ai eu l'impression que les téléfilms étaient en avance sur les films. Je suis frappé aujourd'hui par l'audace des séries, qui semblent parfois devancer leur époque », abonde de son côté Alain Brassart. Et si le mariage pour toutes et tous n'apparaît pas encore suffisamment dans la fiction française, ce n'est pas si grave. Selon le docteur en études cinématographiques, « dès lors qu'il y a une avancée de la société, la fiction s'en inspire, et vice-versa ». « C'est un cercle vertueux, poursuit-il. Les droits acquis par les personnes LGBTQIA+ permettent, in fine, d'obtenir des personnages plus complexes et des représentations plus justes. »
Depuis 2013, la fiction est en effet devenue plus queer, en particulier du côté des séries (J'ai 2 amours et Fiertés diffusés sur Arte), du streaming (avec SKAM France et Chair Tendre sur la plateforme France TV Slash) mais aussi du cinéma (avec le très beau Trois nuits par semaine sorti l'année dernière). La diffusion sur Amazon Prime de La Graine, l'une des premières comédies françaises sur la PMA, laisse espérer que cette récente avancée sociétale, promulguée en 2021, bénéficiera d'un meilleur traitement que de celui de la loi Taubira. Rendez-vous en 2031 pour vérifier ?