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Cannes 2024 : "Niki", le bio­pic jus­te­ment intran­quille de Céline Salette sur Niki de Saint Phalle

Niki revient sur les années d’apprentissage de Niki de Saint Phalle, sculp­trice ico­nique du XXe siècle, qui trou­va dans l’art un moyen de se rebel­ler contre la socié­té patriar­cale et les trau­ma­tismes de son enfance. Un film brusque, instable, colo­ré, réa­li­sé par Céline Salette et por­té par la per­for­mance de Charlotte Lebon. 

De l’art comme thé­ra­pie, un peu, et comme salut, beau­coup. Tel est l’enjeu du tout pre­mier long métrage de la comé­dienne Céline Salette, qui n’a choi­si ni un sujet ni une forme facile pour ses débuts… Raison de plus pour s’y intéresser !

Niki, qu’elle a coécrit avec Samuel Doux, revient sur les années de for­ma­tion d’une icône franco-​américaine de l’art moderne (et du fémi­nisme) : Niki de Saint-​Phalle (1930−2002). Une icône trou­blée et trou­blante, qui com­men­ça par être man­ne­quin et jeune mère de famille "bohème chic" avant de trou­ver sa voie – la créa­tion – lors d’un séjour dans un hôpi­tal psy­chia­trique (élec­tro­chocs à la clé…). Loin, très loin donc, du par­cours aca­dé­mique d’une jeune fille de bonne famille, quand bien même elle était issue d’un milieu favo­ri­sé ! De fait, la jolie Niki abri­tait un lourd trau­ma­tisme der­rière son regard per­çant et ses "Nanas" solaires et monu­men­tales : un inceste com­mis par son père lorsqu’elle avait 11 ans, qu’elle révé­la bien plus tard, à l’âge de 64 ans. Autant dire que ses pro­blèmes de san­té men­tale, de même que sa rébel­lion constante à toute forme d’autorité et de patriar­cat, s’inscrivaient dans un par­cours douloureux.

Lire aus­si I 20 ans de la mort de Niki de Saint Phalle : l'artiste fémi­niste en sept dates clés

Est-​ce à dire que le film de Céline Salette adopte une forme éga­le­ment éprou­vante ? Justement non, et c’est là l’un de ses atouts. L’autrice et réa­li­sa­trice pré­fère ins­crire son récit, certes écla­té et brusque, dans une dyna­mique d’émancipation pro­gres­sive : ce qu’elle scrute et veut don­ner à voir, ici, c’est com­ment cette jeune femme pro­fon­dé­ment en souf­france, bien qu’apparemment gâtée par la vie, va peu à peu trou­ver sa voie (et sa voix) grâce à l’art, et ce en dépit des nom­breux obs­tacles ren­con­trés (s’affirmer comme peintre et sculp­trice dans les années 60, sin­gu­liè­re­ment dans le petit milieu très mas­cu­lin et très fer­mé de l’art, rele­vait de toute façon du combat).

Son élan libé­ra­teur est donc, comme de juste, tra­ver­sé de rup­tures (avec les Etats-​Unis, avec son père, avec son pre­mier mari et père de ses enfants), de doutes (auto­di­dacte, elle n’a fré­quen­té aucun cours ni école des Beaux-​arts), et de remises en ques­tion (son psy­chiatre, très pater­na­liste, n’étant pas vrai­ment un allié)… que Céline Salette a eu à cœur de retrans­crire for­mel­le­ment. Par le biais d’allers et retours par­fois confus entre pas­sé (trau­ma­tique, sous forme de flashs) et pré­sent (pas for­cé­ment plus tran­quille !), ou en ayant recours au "split screen" (l’écran est divi­sé en deux par­ties, qui donnent à voir des images ou des pers­pec­tives dif­fé­rentes) afin de reflé­ter l’état émo­tion­nel de Niki, fébrile et déchiré.

Ce pro­cé­dé certes un brin lit­té­ral a le mérite, tou­te­fois, d’impulser un rythme farouche, jus­te­ment instable, au récit même s’il ne laisse guère le temps aux autres per­son­nages – pour­tant capi­taux – d’exister (on pense notam­ment au sculp­teur Jean Tinguely, second mari de Niki et for­mi­dable sou­tien tout le long de sa vie)… D’autant que la per­for­mance remar­quable de Charlotte Lebon dans le rôle-​titre, conforte, d’une cer­taine façon, ce dés­équi­libre. Avec ses allures gra­ciles d’Audrey Hepburn tour­men­tée, son émo­tion à fleur de peau et ses grands yeux à la fois effrayés et déter­mi­nés, l’actrice qué­bé­coise (elle-​même cinéaste et plas­ti­cienne) sur­prend, dérange et cap­tive tout autant, domi­nant de fait une dis­tri­bu­tion pour­tant épa­tante (on y retrouve les tou­jours excellent·es Judith Chemla et Damien Bonnard). Mais peut-​être était-​ce là la volon­té de Céline Salette, cinéaste néo­phyte quoique déjà sin­gu­lière et affir­mée : (re)donner, quoi qu’il en soit, une place cen­trale à Niki de Saint Phalle, fille bri­sée mais femme puissante.

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Niki, de Céline Salette. Présenté au fes­ti­val de Cannes en sélec­tion offi­cielle à Un cer­tain regard. En salle cou­rant 2024. © Wild Bunch Distribution

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