Bulle Ogier a été l’une des actrices fétiches de Marguerite Duras, qui l’a fait jouer au théâtre (L’Eden Cinéma, Savannah Bay) et dans ses films (Le Navire Night, Agatha et les lectures illimitées). Les deux femmes ont été très amies des années durant. Pour nous, Bulle se souvient…
![Bulle Ogier : «Duras dirigeait de manière intuitive, sans psychologie» 1 Capture d’écran 2021 03 01 à 16.10.19](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2021/03/Capture-d’écran-2021-03-01-à-16.10.19.jpg)
de Savannah Bay, au Théâtre du Rond-Point, à Paris, en 1983.
"Elle voulait me rencontrer pour son film Jaune le soleil. Je suis allée chez elle. Elle m’a ouvert la porte et elle m’a lancé : “Ah, vous êtes grande !” C’était toujours imprévu ce qu’elle allait dire, Marguerite. Elle m’a regardée fixement sans dire un mot. Et elle a recommencé : “Vous êtes très grande.” J’étais surprise, car… je suis petite ! J’ai compris que cela signifiait que je ne correspondais pas à ce qu’elle cherchait. Puis on a monté Des journées dans les arbres avec Jean-Louis Barrault et Madeleine Renaud. Elle nous a ensuite dirigées, Madeleine Renaud et moi, dans Savannah Bay. Elle dirigeait d’une manière instinctive, sans psychologie. Ce qu’elle voulait, c’était “donner à entendre”. Elle a été très dure, parfois, avec Madeleine pendant les répétitions. Car Madeleine lui disait : “Mais ma pauvre petite, on ne comprend rien à ta pièce. Comment veux-tu que le public marche ?” Et Marguerite haussait les épaules en répondant : “Elle ne comprend rien à ce qu’elle dit et à ce que j’écris.” Mais elles s’aimaient profondément. Marguerite avait besoin d’être “amoureuse” des gens avec qui elle travaillait. Elle et moi, on a eu des complicités de femmes. On parlait de l’amour, du temps qui passe, de l’alcool aussi, addiction que nous avons partagée, de Trouville où j’avais également acheté un petit appartement pour ma fille Pascale.
Une âme de midinette
Dans les dernières années de sa vie, elle ne pouvait plus bien marcher. Avec Barbet [Schroeder, le mari de Bulle Ogier, ndlr], on venait la chercher en voiture chez elle et on sillonnait Paris. Elle voulait nous montrer telle porte, tel immeuble.
On allait souvent aux puces de Vanves. Elle achetait des assiettes dépareillées, des bouts de rideaux. Elle adorait les maisons, et ses intérieurs désorganisés avaient un charme fou. Et puis on faisait la fête. Elle aimait manger, boire. Tout intelligente et cultivée qu’elle était, elle avait aussi une âme de midinette. Mais elle avait aussi le désespoir en elle. Un désespoir existentiel, que je partageais avec elle.
Marguerite avait des formules incroyables. Elle disait de moi : “Bulle, c’est pas la nouvelle vague, c’est le vague absolu.” En amitié, elle était d’une générosité rare. Par ailleurs, elle savait mettre les gens dans sa poche quand elle le voulait et les jeter quand elle en avait assez. J’ai toujours eu l’impression qu’elle trouvait qu’elle n’était pas reconnue à sa juste valeur. Elle disait tout le temps qu’elle était géniale. À la fin, pour cette raison, je ne lisais plus ses livres. Mais aujourd’hui, en la relisant, je me dis qu’elle avait raison. Ce qu’elle a écrit est génial."