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Niki de Saint Phalle sur le plateau de l'émission "Du côté de chez Fred", le 2 mai 1989. ©Capture d'écran Ina

20 ans de la mort de Niki de Saint Phalle : l'artiste fémi­niste en sept dates clés

Niki de Saint Phalle nous quittait il y a vingt ans jour pour jour. Causette retrace sept dates clés qui ont marqué la vie et l'œuvre de ce génie féministe du XXème siècle.

Il y a vingt ans, le 21 mai 2002, s’éteignait Niki de Saint Phalle dans une chambre de l’hôpital de San Diego en Californie. Ce sont ses grandioses et chatoyantes sculptures façonnées en résine de polyester baptisées Nanas qui ont à la fois contribué à la rendre célèbre mais ont aussi conduit à son décès. L’artiste plasticienne de 71 ans était atteinte d’une maladie pulmonaire en raison de l’inhalation répétée de vapeurs toxiques provenant de ses matériaux de travail. Si Niki de Saint Phalle n’est plus depuis longtemps, elle laisse une œuvre émancipée, riche et complexe, témoin d’une vie qui l’était tout autant. Car finalement, l’œuvre la plus attrayante de l’une des artistes majeures de la seconde moitié du XXème siècle, c’est bien sa vie elle-même. Retour sur sept dates clés.

  • 1942 : féministe à douze ans

« J'ai compris très tôt que les hommes avaient le pouvoir. Et ce pouvoir, je le voulais. Oui, je le volerais le feu. Je n’accepterais pas les limites que ma mère tentait d’imposer à ma vie parce que j’étais une femme. Je franchirais ces limites pour atteindre le monde des hommes qui me semblait aventureux, mystérieux, excitant. » Catherine Marie-Agnès de Saint Phalle, que sa mère surnomme Niki dès l’âge de 4 ans, écrit ces mots à la fin de sa vie.
Née en 1930 dans une famille bourgeoise franco-américaine à demi-ruinée par le krach boursier de l’année précédente, la petite fille a, très tôt, la rage de s’affranchir du carcan patriarcal familial dans lequel on enferme les femmes de son époque et notamment sa mère. « J’étais déjà féministe à l’âge de douze ans, soutient Niki de Saint-Phalle. Ma mère avait un placard où elle rangeait le linge. Un jour je lui dis “Moi je ne ferais jamais ça quand je serais grande, jamais je ne serais une mère au foyer”, elle m’a giflée. »
Dès l’enfance, Niki de Saint Phalle se refuse donc de jouer un rôle déterminé par les autres. À 19 ans, elle choisit son premier mari, l’écrivain Harry Mathews, parce qu’elle sait qu’il n’entravera pas sa destinée de femme libre. Il participe à l’éducation de leurs deux enfants ainsi qu’aux tâches ménagères - fait suffisamment rarissime à l’époque pour être souligné. Pour l'anecdote, selon les mots de Niki de Saint Phalle, sa mère « s'arrachait les cheveux de voir cela à chacune de ses visites ».

  • 1953 : l’art comme thérapie

Si son mari Harry Mathews participe aux tâches et à l’éducation des enfants, la vie de famille qu'on lui impose dans les années 50 la rend littéralement dingue. À l’âge de 22 ans, Niki de Saint Phalle plonge dans une brutale dépression. Diagnostiquée schizophrène, elle est hospitalisée quelques semaines en psychiatrie. Elle racontera plus tard qu’elle avait, sans cesse, à l’époque, des idées de suicide et qu’elle ne se déplaçait pas sans un sac contenant un « arsenal » composé de couteaux et d’un fusil. À l’hôpital, elle s’enferme dans un long silence, « zippé comme une housse, de celles que l’on place sur les meubles endormis ou les cadavres ». Parce qu’il y a un monstre silencieux en Niki, son père.
Au début de son internement, Niki de Saint Phalle reçoit un vendredi après-midi une lettre de son père dans laquelle il lui demande pardon d’avoir abusé sexuellement d’elle dans son enfance. Le courrier produit un choc terrible chez la jeune femme qui dira avoir fait, pendant deux ans, des migraines tous les vendredi après-midi. À l’hôpital, elle se découvre une âme d’artiste. « J’ai commencé à peindre chez les fous, dira-t-elle plus tard. J’y ai découvert l’univers sombre de la folie et sa guérison, j’y ai appris à traduire en peinture mes sentiments, les peurs, la violence, l’espoir et la joie. J’ai embrassé l’art comme ma délivrance et comme une nécessité. Peindre calmait le chaos qui agitait mon âme. »

  • 1956 : sa rencontre avec Jean Tinguely

Trois ans après son internement, Niki de Saint Phalle rencontre le sculpteur en vogue Jean Tinguely au cours d’un dîner entre amis. Assis face à la jeune femme, Jean Tinguely écrase nonchalamment son mégot de cigarette dans la motte de beurre luisant entre eux deux. Un geste subversif qui fascine Niki de Saint Phalle, un geste fugace qui sera décisif : « Quelques secondes pour décider de la moitié d’une vie ». Niki quitte Mathews, à qui elle confie la garde des deux petits et s’installe avec Tinguely à Paris. Entre eux débute une relation amoureuse et artistique aussi complexe qu’intense qui durera jusque dans les années 70. Jean souhaite un enfant, Niki refuse. Son art étant pour elle incompatible avec la maternité, elle réaffirme par ce refus son statut de créatrice à part entière. Leur relation artistique survivra à leur amour, en témoigne la célèbre fontaine Stravinsky (1983) à Paris où les machines de Tinguely côtoient les sculptures joyeuses de Niki.

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Fontaine Stravinsky dans le IVème arrondissement de Paris. ©art_inthecity
  • 12 février 1961 : le tir de Calaniki Jane

Impasse Ronsin dans le 15ème arrondissement de Paris. Niki de Saint Phalle, armée d’un 22 long rifle loué au stand de tir d’une fête foraine, tire sur une planche de bois où sont accrochés des objets, le tout recouvert de plâtre blanc. Les balles du fusil s’encastrent dans la planche, le plâtre éclate, les objets se brisent et des trous dégouline de la peinture parfois mêlée à des aliments : riz, pâtes, œufs, tomates. Niki de Saint Phalle appellera cette performance artistique, qu’elle répétera une douzaine de fois entre 1961 et 1963, Tir, une guerre sans victime.

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Niki de Saint Phalle tirant à la carabine pour l'une des ses performances, Tirs, en 1961. ©Capture d'écran Ina.

À l’époque la violence de ses Tirs sidère le public mais l’époustoufle aussi. Deux mois après son premier essai, le journal télévisé de 13 heures consacre un petit sujet à la performance mais le putsch des généraux à Alger le lendemain en annule sa portée. Du moins en France, car à l’étranger, la carrière de Niki de Saint Phalle a démarré en trombe. À 30 ans, l'artiste a déjà exposé à Stockholm et à Amsterdam.   

  • 3 février 1965 : le jour où elle remet en place un journaliste macho à la télévision

Le 3 février 1965, Niki de Saint Phalle reçoit un journaliste dans son atelier parisien pour l’émission Tilt. « Vous avez des gants de plongeur, vous mettez des chiffons dans un seau, vous les étendez. C’est un peu un travail de bonne ménagère non ? », lui demande le reporter à propos de ses performances. « Oui, vous avez raison, ça c’est une partie de mon travail mais le résultat n’est pas une cuisine, je ne vais pas vous présenter un pot au feu », lui répond l’artiste du tac au tac.
Plus tard dans l’interview, l’artiste monte le ton : « Un homme n’aurait jamais pu tirer sur des tableaux comme je l’ai fait à une certaine époque. Parce que de se servir de ces engins destructifs que l’homme a imaginé, seule une femme pourrait s’en servir dans un but constructif et beau. Et c’est la même chose avec mon travail : j’exprime exactement les problèmes de la femme aujourd’hui. Vous considérez que les femmes devraient peindre des bouquets de fleurs ? », lui demande Niki sans lui laisser le temps de répondre. Elle enchaîne : « Moi je préfère faire des accouchements ! Parce que c’est mon problème ! Les bouquets de fleurs, ça ne l’est pas ! »

  • 2 mai 1989 : retour sur ses engagements
Nikki de St. Phalle in Stedelijk Museum . Nummer 2 Nikki de St. Phalle Bestanddeelnr 920 6242
Niki de Saint Phalle devant l'une de ses Nanas,
le 23 août 1967 au Stedelijk Museum d'Amsterdam.
©Jack de Nijs

Toute sa vie, Niki de Saint Phalle a utilisé son art pour transmettre un message politique. Le 2 mai 1989, l’artiste revient sur ses engagements dans l'émission Du côté de chez Fred. Engagement féministe tout d’abord, bien qu’elle n’ait jamais voulu militer. « Kate Millet, Agnès Varda et Jane Fonda m’ont demandé de rejoindre [la lutte] mais je n’avais pas envie de me joindre à un mouvement quel qu’il soit », déclare-t-elle. Elle estimait aussi ne pas avoir besoin d’illustrer un combat militant car « [son] œuvre elle-même avait valeur de féminisme ».
Avec Les Mariées, des sculptures mettant en scène des femmes épousées de force, à l’image des « filles de [sa] génération, élevées pour le marché du mariage ». « Mes mariées témoignent de la condition féminine. Je pense au mariage de ma mère, de mes tantes : c’était un enfermement. Il n’y avait pas d’émancipation possible en tant qu’être unique, de possibilité de faire autre chose que d’être une épouse soumise. »
Face à la tristesse de ses Mariées, Niki crée en parallèle ses célèbres et joyeuses Nanas en papiers collés et résine. Des sculptures monumentales qui représentent une armée de femmes conquérantes « libérées du mariage et du masochisme ».

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Black Rosy, de Niki de Saint Phalle, 1965.
©Ilkka Jukarainen


Niki de Saint Phalle s’est aussi engagée dans la lutte contre le racisme. L’une de ses Nanas à qui elle donne le nom de Black Rosy a été spécifiquement réalisée en hommage à Rosa Parks, figure de la lutte contre la ségrégation aux États-Unis. Niki de Saint Phalle mentionne aussi plusieurs fois dans ses interviews sa volonté d’associer Black Power et Nana Power. Elle pense à l’époque que si ces deux mouvements s’unissent, ils peuvent « changer le monde ».
Plus tard, elle s’engage également dans la lutte contre le sida en publiant le livre Le Sida, c’est facile à éviter en 1986. Sous la forme d’une lettre à ses enfants, elle entreprend avec humour d’éveiller à la prévention et de briser le tabou de la maladie. 70 000 exemplaires sont vendus ou distribués dans les écoles, les profits sont reversés à l’association AIDS.

  • 1994 : Niki de Saint Phalle révèle l’inceste qu’elle a subi à 11 ans

« Pour la petite fille, le viol c’est la mort. » Niki de Saint Phalle a 64 ans lorsqu’elle révèle en 1994, dans son livre Mon Secret (qu’elle dédie à sa fille, Laura), l’inceste dont elle a été victime à l’âge de 11 ans. « J’ai écrit ce livre d’abord pour moi-même, pour tenter de me délivrer enfin de ce drame qui a joué un rôle si déterminant dans ma vie. » Dedans, elle raconte cet été de 1942 où son père « glissa sa main dans [sa] culotte ». Puis la haine qui l’a envahie à l’égard de cet homme tant aimé, la solitude de n’en avoir parlé à personne - même pas à sa mère - le silence et l’agressivité qu’elle a ensuite retournée contre elle-même. « Tous les hommes sont des violeurs. […] Le silence me sauvait mais en même temps, il était désastreux pour moi car il m’isolait tragiquement du monde des adultes » écrit-t-elle.
Le traumatisme de l’inceste deviendra plus tard l’une des sources de sa production artistique. Elle réalise notamment un film, Daddy, en 1972 dans lequel elle s’attaque à la figure du père.

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