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Florent Gouëlou (©Pyramide Films)

Avec "Trois nuits par semaine", Florent Gouëlou se révèle un cinéaste doué et singulier

Réalisateur, comé­dien, drag-​queen… Le jeune cinéaste fran­çais Florent Gouëlou mul­ti­plie les cas­quettes. Avec son pre­mier long-​métrage Trois nuits par semaine, il montre que l'on peut faire en France une comé­die roman­tique LGBT belle et grand public.

La drag-​queen Javel Habibi appa­raît aus­si vite qu'elle dis­pa­raît du film. Juste le temps de don­ner à Baptiste, le pro­ta­go­niste de Trois nuits par semaine, un encou­ra­ge­ment pour conti­nuer dans la voie de la pho­to­gra­phie. Un peu comme une bonne fée qui se mani­fes­te­rait sou­dai­ne­ment pour gui­der le per­son­nage. Florent Gouëlou, le réa­li­sa­teur, sou­rit der­rière le café qu'il boit, dans un petit éta­blis­se­ment de Montmartre, à Paris. C'est lui qui se cache der­rière cette drag-​queen, qu'il incarne éga­le­ment dans la vraie vie depuis 2016. 

« C'est peut-​être un truc psy­cha­na­ly­tique que je n'ai pas encore iden­ti­fié, s'interroge le tren­te­naire en rigo­lant. Mon alter ego drag vient encou­ra­ger le per­son­nage prin­ci­pal de mon pro­jet, qui est aus­si un peu mon double fic­tion­nel. Je suis un jeune réa­li­sa­teur qui filme des drag, Baptiste un jeune pho­to­graphe qui les prend en pho­to… Je vou­lais faire par­tie de la fête. Je me suis donc écrit une scène qui ne pour­rait pas être cou­pée, en rai­son de son impor­tance pour l'intrigue. Et voi­là com­ment Javel Habibi inter­vient dedans. »

Dans ce pre­mier effort ciné­ma­to­gra­phique, Florent Gouëlou porte à l'écran l'histoire de Baptiste (le comé­dien mon­tant Pablo Pauly), un homme hété­ro pas hyper épa­noui dans son tra­vail de mana­ger à la Fnac, ni dans sa rela­tion avec Samia (la tou­jours géniale Hafsia Herzi). Un soir, en pre­nant des pho­tos, sa véri­table pas­sion, il tombe amou­reux de la drag-​queen Cookie Cunty (Romain Eck, épa­tant dans son pre­mier grand rôle) mais aus­si, petit à petit, de l'homme qui l'incarne. Un big bang d'émotions jouées avec finesse et sub­ti­li­té par les deux acteurs, récem­ment nom­més par­mi les Révélations pour la pro­chaine édi­tion des César, et subli­mées par le jeu de lumière et la camé­ra du cinéaste parisien.

Le drag, « un affranchissement »

Trois nuits par semaine repré­sente l'aboutissement d'un cycle, com­men­cé six ans plus tôt, lors de la der­nière année de Florent Gouëlou à la Fémis, la célèbre école fran­çaise for­mant les réalisateur·trices et scé­na­ristes de demain. Pour son film de fin d'études, Un homme mon fils, un road-​movie émou­vant entre un fils et son papa, dont les per­son­nages sont incar­nés par lui et son vrai père, l'artiste crée la drag-​queen Javel Habibi. Il embauche éga­le­ment Romain Eck, ren­con­tré lors d'un show drag où l'avait emme­né le comé­dien Harald Marlot, avec qui il avait sym­pa­thi­sé sur le tour­nage de 120 Battements par minute de Robin Campillo.

Florent Gouëlou et Romain Eck évo­luent alors simul­ta­né­ment dans le monde du ciné­ma et du drag, s'entraidant dans l'un comme dans l'autre. Cookie Cunty offre à Javel Habibi ses pre­miers pas sur scène en tant que drag-​queen, lors de ses soi­rées au Street Art café, rue de Lappe (11e arron­dis­se­ment de Paris). Et Javel Habibi fait jouer Cookie Cunty dans ses pre­miers courts-​métrages puis longs-​métrages. « Je trouve notre col­la­bo­ra­tion belle. On a tous les deux gran­di sur le plan artis­tique ensemble. Maintenant, j'organise moi aus­si mes propres soi­rées drag, et cela m'arrive de boo­ker Cookie », com­mente le cinéaste.

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(©Pyramide Distribution)

Le drag a été une véri­table décou­verte pour lui, repré­sen­tant « un affran­chis­se­ment » et lui per­met­tant de mieux accep­ter son homo­sexua­li­té, qu'il a assu­mée tard : « Découvrir cet art et sa com­mu­nau­té accueillante et bien­veillante repré­sente une récon­ci­lia­tion per­son­nelle, avant d'être un métier exi­geant. Ça m’a ren­du plus com­plet, auto­ri­sé à être plus vaste. Car je n’ai pas une double iden­ti­té, Florent et Javel sont les deux visages d’une même per­sonne. » Son nom de scène est d'ailleurs un hom­mage à ses ori­gines algé­riennes, « habi­bi » étant un mot arabe affec­tueux signi­fiant « mon amour » : « Je vou­lais que ce soit d’emblée un per­son­nage accueillant et dans la chaleur. »

À lire aus­si I Drag-​queens : reines et mar­raines de la nuit

Un film au plus proche de lui

S'il n'est pas arri­vé à Florent Gouëlou qu'un homme hété­ro tombe amou­reux de lui lorsqu'il incar­nait Javel Habibi, le jeune réa­li­sa­teur a tout de même mis beau­coup de son vécu dans ses per­son­nages. Comme le fait de coha­bi­ter avec un alter ego. Ou la sur­prise des gens en décou­vrant le per­for­mer qui se cache sous la drag-​queen, car « il existe tou­jours un écart lorsqu'on [le] voit en drag et dans le civil ». Il sou­hai­tait ain­si faire un long-​métrage per­son­nel, au plus proche de lui, met­tant en scène le monde drag et LGBT+. « Je ne suis pas par­ti dans l'idée de faire une comé­die roman­tique LGBT+ car on en man­quait. Mais comme j'appartiens à cette com­mu­nau­té, il n'y avait aucune rai­son de ne pas la mettre dedans. C'est ma vie, j'écris sur ma vie », explique-​t-​il.

Le cinéaste estime tout de même qu'il manque encore des repré­sen­ta­tions LGBT+ au ciné­ma, notam­ment de pre­miers et seconds rôles qui ne seraient pas for­cé­ment cen­trés sur l'orientation sexuelle ou l'identité de genre des per­son­nages : « On pour­rait avoir une fleu­riste les­bienne et voir sa copine, sans que ce soit le sujet du film. Il faut sor­tir de l’idée qu’on a notre place dans un objet audio­vi­suel que si elle est légi­ti­mée par une ligne nar­ra­tive. On existe, on a des vies quo­ti­diennes, des métiers... Il faut aller plus loin pour nor­ma­li­ser les his­toires d'amour avec des comé­dies LGBT+ s'adressant à tous. » Il a récem­ment été tou­ché, lors de la pré­sen­ta­tion de Trois nuits par semaine à Nice, qu'une jeune drag-​queen lui dise qu'elle allait emme­ner ses parents voir le film, pour leur mon­trer ce qu'elle fait vrai­ment dans la vie.

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(©Pyramide Distribution)

En atten­dant une nomi­na­tion au César du meilleur pre­mier film, qu'on lui pré­dit et sou­haite, Florent Gouëlou planche déjà sur la suite, avec un long-​métrage sur le monde des soi­gnants, l'accompagnement médi­cal et la fin de vie. Il tra­vaille éga­le­ment pour le stu­dio de pod­casts Paradiso sur une fic­tion audio consa­crée aux années Sida outre-​Atlantique. Et si vous sou­hai­tez le décou­vrir sous les traits de Javel Habibi, la drag-​queen orga­nise une fois par mois une soi­rée à la Flèche d'Or. Rendez-​vous le 16 décembre pro­chain pour une édi­tion spé­ciale « road movies ».

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