Par-delà le tourbillon surexposé des films en lice pour la Palme d’or, décernée ce samedi soir, cette 77e édition abritait une multitude de pépites, à dénicher dans plusieurs sections parallèles, souvent plus attentives au travail des réalisatrices et à la cause des femmes. Petite liste subjective, non exhaustive, en guise de coups de cœur.
Un certain regard
Vingt Dieux, de Louise Courvoisier
Coup de frais sur la Croisette ! Ce premier film signé Louise Courvoisier, tout juste 28 ans, a été entièrement tourné dans son village natal du Jura avec des comédien·nes non professionnel·les. Un régal d’authenticité et de tendresse, qui nous entraîne dans les pas incertains de Totone, 18 ans, sacré loustic qui, à la suite du décès de son père, doit s’occuper de sa petite sœur de 7 ans et trouver un moyen de gagner sa vie entre deux bals et trois virées avec sa bande de potes. Aussi naïf qu’inconséquent, ce glandeur sympathique décide de fabriquer le meilleur Comté de la région. Il rencontre alors Marie-Lise, jeune agricultrice autrement plus responsable et déterminée… pour mieux nous embarquer dans une épopée sentimentale savoureuse. En clair, ce film est à croquer.
Sortie en salles le 11 décembre.
Santosh, de Sandhya Suri
Conçu à la fois comme un thriller, un brûlot politique et un portrait de femme, Santosh suit le parcours sidéré et assez sidérant de Santosh, 28 ans, qui, à la suite du décès de son mari policier, hérite de son poste et devient agente de police. Un détail qui n’en est pas un : l’intrigue se déroule en Inde, où les violences sexuelles et sexistes perpétrées contre les femmes sont monnaie courante. De fait, très vite, Santosh va être amenée à enquêter sur la mort d’une adolescente de caste inférieure, violée, démembrée, puis jetée dans un puits. Hyper réaliste, ce premier film de fiction signé Sandhya Suri, une documentariste reconnue, reste rivé à son héroïne de bout en bout… et nous avec !
Sortie en salles le 17 juillet.
La Quinzaine des cinéastes
Ma vie, ma gueule, de Sophie Filières
Présenté en ouverture de la Quinzaine des cinéastes, Ma Vie, ma gueule est un film posthume, sa réalisatrice, la Française Sophie Fillières, étant décédée l’an dernier, à la toute fin de son tournage. Il est d’autant plus émouvant qu’il nous entraîne dans les pas de Barberie Bichette, une héroïne un brin maladroite de 55 ans, qui s’interroge beaucoup sur la vie, la mort, le temps qui passe et la possibilité, ou pas, d’avoir de nouveaux projets et/ou de faire de nouvelles rencontres. Ce probable autoportrait, qui oscille tel un funambule entre comédie et tragédie, est porté de bout en bout par une Agnès Jaoui irrésistible (et des dialogues non moins exquis).
Sortie en salles le 18 septembre.
La Semaine de la critique
Julie Keeps Quiet, de Leonardo van Dijl
Accueilli en toute logique à La Semaine de la critique (section chargée de faire découvrir les premiers et deuxièmes longs-métrages), Julie Keeps Quiet aborde comme rarement la question de l’emprise et des violences sexuelles dans le milieu sportif. Tout commence dans un club de tennis belge réputé, où l’entraîneur principal est mis à pied à la suite du suicide d’une de ses protégées. Une enquête est en cours, bouleversant le quotidien des autres joueurs et joueuses, dont Julie, 15 ans, star montante du club pour laquelle le tennis est bien plus qu’une passion : une raison d’être. On ne sait pas exactement ce qu’elle-même a vécu et pour cause : soucieuse de continuer à s’entraîner, jouer et gagner, Julie s’enferme d’emblée dans un silence de plomb… Jusqu’à ce qu’il devienne suffocant. Dense, tendu, ce premier film signé Leonardo van Dijl impressionne par son sérieux et sa détermination, raccord, de fait, avec sa jeune héroïne.
Sortie en salles courant 2024.
Animale, d'Emma Benestan
Présenté en clôture de cette section défricheuse, ce premier film signé Emma Benestan raconte l’histoire de Nejma, une jeune provençale qui veut s’intégrer dans le monde macho des manades et de la tauromachie et rêve de remporter la prochaine course camarguaise. Mais bientôt, alors que la saison bat son plein, des disparitions suspectes inquiètent les habitant·es. Très vite la rumeur se propage : une bête sauvage rôde… A la croisée du western et du film fantastique, Animale a su aussi se nourrir du folklore local (La Tarasque de Tarascon, monstre hybride qui vivrait sur les berges du Rhône) pour dérouler son récit d’épouvante, étonnamment solaire, qui interroge les genres à tout point de vue. Son sens du cadre, sa lumière sudiste et le jeu intense d’Oulaya Amamra n’y sont évidemment pas pour rien…
Sortie en salles le 6 novembre.
Compétition officielle
Anora, de Sean Baker
Allez, pour finir, une petit incursion dans la compétition officielle de cette 77e édition du Festival de Cannes… parce qu’elle le vaut bien ! « Elle », c’est Anora, l’héroïne déter, badass, hyper attachante, du film du même nom, écrit et réalisé par l’Américain Sean Baker (déjà auteur des formidables Tangerine et The Florida Project). Cette jeune Cendrillon au pur accent new-yorkais survit comme travailleuse du sexe (et gogo dancer) dans un club, où elle va croiser Vanya, fils totalement immature et à peu près débile d’un couple d’oligarques russes richissimes. La chance de sa vie, se dit-elle… Commençant piano, ambiance froide, réaliste, dans un New York glacial, Anora dévie rapidement de sa route naturaliste pour nous projeter dans une course-poursuite génialement drôle, que ne renieraient pas les frères Coen. Avec un vrai bonus à la clé : la farce n’est pas seulement rieuse, elle est tendre et dit beaucoup des rapports de classe dans les Etats-Unis aujourd’hui, cela sans tomber dans la caricature. Autrement dit, Anora, fable subtilement écrite et interprétée (Mikey Madison dans le rôle-titre est hallucinante), est notre Palme coup de cœur…
Sortie en salles courant 2024.