Ce long plan-séquence tourné dans les rues d’un Paris tout juste déconfiné sort en salles ce 27 avril. Un projet collectif et joyeux monté en quelques semaines par une bande de potes qui veulent que le 7e art français respire un grand coup.
Si vous avez l’habitude de laisser traîner vos oreilles pour écouter les conversations des passant·es que vous croisez dans la rue, l’expérience proposée par le film Années 20 devrait vous plaire. Pendant une heure et demie, la caméra se balade dans la capitale un soir de juin 2020. Elle butine d’un personnage à l’autre, comme si chacun·e se passait le témoin dans une course de relais, avant de filer vers d’autres rues, d’autres quartiers, d’autres vies. Le tout sans pause ni montage puisque tout tient dans un unique plan-séquence. « Le plus long du cinéma français », assure le dossier de presse.
Ce marathon d’histoires débute près du Louvre, longe la Seine et s’engouffre dans le métro, avant de s’achever dans le parc des Buttes-Chaumont. Au cours de cette traversée de Paris au pas de charge, il sera question de démission, de déménagement, de désir perdu ou naissant, ou bien de mascara volé dans un magasin. Inutile de chercher le fil qui relie ces individus, il n’y en a pas. Leur seul point commun, c’est qu’ils·elles se croisent et occupent à leur manière une minuscule parcelle de bitume. Mais, en creux, à travers le choix même de cette étonnante expérience collective, des comédien·nes, des personnages qu’ils·elles incarnent et des questions qu’ils·elles se posent, Années 20 raconte une ville, une époque et une génération fauchée par un truc totalement inédit : la pandémie. « On avait envie que notre caméra soit une petite mouche dans Paris, qui choperait des bribes de discussions au hasard », explique Noémie Schmidt, comédienne suisse repérée dans L’Amour flou, de Romane Bohringer, et des séries comme Versailles ou 3615 Monique. Coscénariste d’Années 20, elle est installée en terrasse au bord du canal Saint-Martin avec son complice Joris Avodo, comédien diplômé du Conservatoire national supérieur d’art dramatique au répertoire éclectique, à l’affiche notamment de mises en scène d’Olivier Cadiot.
!["Années 20" : le film qui déconfine le ciné 2 Années20 04](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/04/Années20-04-1024x554.jpg)
Joris et Noémie se connaissent depuis plusieurs années, il·elle vivent dans une grande coloc à Montreuil. Juste après le premier confinement, il·elle ont aussi acheté, avec d’autres ami·es, une maison en Dordogne dans laquelle il·elle passent beaucoup de temps et font pousser des légumes. Un havre de paix et de tranquillité situé près de Sarlat-la-Canéda où il·elle peuvent expérimenter un rythme plus contemplatif que celui de la capitale. Quelques potes et le frère de Noémie ont acquis les maisons voisines, ce qui leur permet de recréer une vie en communauté. « C’est moins cher que d’acheter un appartement à Paris et puis, c’est une autre vie, se réjouit Joris Avodo, qui passe 70 % de son temps au milieu de ses semis. Vieillir avec les gens que tu aimes, c’est un peu le rêve. »
S’adresser aux trentenaires
Le projet Années 20 est né en mars 2020. « C’était juste avant le confinement, raconte Joris. Ce moment d’arrêt, je l’ai vécu un peu comme une utopie de gauche et ça nous a permis d’écrire toutes les scènes en un mois. On était quatre à plancher : Noémie, François Mark, notre coloc, Élisabeth Vogler, la réalisatrice, et moi. » Élisabeth Vogler a réalisé Paris est à nous, diffusé sur Netflix en 2019. Derrière ce pseudonyme emprunté à un film du Suédois Ingmar Bergman se cache une personne bien réelle qui refuse de dévoiler son identité. Un peu comme les Daft Punk. « Les réalisations artistiques sont plus importantes que celles et ceux qui sont derrière. Il y a beaucoup trop d’ego dans ce métier », regrette Noémie, qui avait déjà joué dans Paris est à nous.
La vitesse d’écriture du scénario s’explique par l’envie pressante qui animait la petite équipe : celle de s’adresser aux trentenaires de la décennie 2020. Le titre a d’ailleurs été choisi en référence aux années 1920 – les fameuses Années folles –, une période de vie sociale et culturelle intense juste après la Première Guerre mondiale. « On voulait tourner au moment où tout allait s’ouvrir de nouveau. L’idée, c’était vraiment de célébrer la vie après avoir expérimenté un truc pas drôle, explique Joris. On voulait faire quelque chose de joyeux, transmettre de l’énergie positive. Parler du retour au monde mais aussi de la difficulté à recréer des liens collectifs, amicaux ou amoureux. »
!["Années 20" : le film qui déconfine le ciné 3 Années20 08](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/04/Années20-08-1024x554.jpg)
Le tournage a été express : six jours seulement en juin 2020. À 20 heures, au moment où la lumière se faisait chaude et nimbait l’atmosphère d’une couleur dorée, le joyeux cortège de vingt-quatre comédien·nes et seize technicien·nes se mettait en place. Tout le monde ensemble, chacun·e à sa place, prêt·e à jouer sa partition à l’unisson de ses par- tenaires. La plupart des longs-métrages impliquent de bloquer la circulation ou d’obtenir des autorisations. Rien de tout ça n’a été nécessaire pour notre affaire. Le film a été capturé sans filet, au milieu des voitures, des vélos, des trottinettes et des badauds. Gravant ainsi sur la pellicule l’énergie de la capitale après des semaines d’enfermement. Il aura fallu six prises avant que l’équipe ne tienne la bonne version.
Renouveler les regards
François Rollin fait partie des comédien·nes qui ont accepté de participer à cette aventure inédite. Il a rejoint le pro- jet par amitié pour Noémie, rencontrée en 2019 lors du Festival du film politique de Porto-Vecchio, et aussi parce qu’il aime bien « faire des trucs qu’il n’a pas déjà faits ». Niveau expérience, il a été servi. « Ah, c’était épique ! » se marre-t-il à propos d’un tournage qu’il qualifie de « performance ». L’humoriste a beau s’être fait voler ses papiers pendant qu’il jouait sa scène dans une rue de Paris, il garde de ces soirées de juin 2020 le souvenir d’un moment à part. « Il fallait à la fois essayer de restituer le texte tout en composant avec le dispositif du direct et la rue autour de nous. C’est tellement aux antipodes d’un tournage classique où on réalise deux minutes utiles par jour après des heures d’attente et quarante-deux prises », commente-t-il. Un avis partagé par Elsa Guedj – connue depuis peu du grand public puisqu’elle tient l’un des rôles principaux dans la série Drôle sur Netflix –, elle aussi à l’affiche de ce film. « Le grand intérêt d’Années 20 vient de l’énergie et de la fantaisie kamikaze du projet, estime la comédienne qui joue le rôle d’une mariée fugueuse. C’était du one shot. On ne savait pas si ça allait marcher, ni même si le film allait vraiment aboutir, mais le faire était tellement excitant et drôle. »
!["Années 20" : le film qui déconfine le ciné 4 Années20 01](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/04/Années20-01-1024x554.jpg)
Joris et Noémie militent à leur manière pour une forme « d’anarchie créatrice ». Que tout le monde puisse prendre une caméra et s’exprimer. Une liberté absolue qui leur permet de filmer des personnes qui leur ressemblent et encore trop peu représentées au cinéma à leur goût. « Je n’ai pas l’impression de voir dans les films des gens qui s’apparentent à ceux qui m’entourent et m’inspirent, se désole Joris Avodo. On voulait donc réaliser un truc avec des noirs, des jaunes, des lesbiennes. L’idée n’était pas forcément d’en faire un sujet, mais qu’il y ait de la diversité à l’écran. » Renouveler les visages mais aussi les regards. « Je fais du cinéma depuis dix ans et je suis lassée de la manière dont on traite les femmes, complète Noémie. Bien sûr qu’il y a des scénarios super, mais il existe quand même une écrasante majorité de points de vue qui ne sont pas les miens. De la même façon qu’il y a une écrasante majorité de regards de personnes blanches. »
« Faire exploser le système »
Pour se garantir une maîtrise totale du propos sans prendre le risque que celui-ci soit lissé par des exigences mercantiles, Noémie, Joris et tous les autres ont autofinancé leur film. « Si on avait dû le vendre à l’avance, il n’au- rait pas été retenu car il ne coche pas les cases attendues, souligne Noémie. En général, il faut une grosse star au casting, une histoire d’amour entre un mec et une fille ou un dénouement précis après des péripéties. » Demander la permission étant la plus sûre façon de s’entendre dire non, il·elle ont choisi de tout faire seul·es et d’éclater le cadre.
Un culot qui a séduit François Rollin.
!["Années 20" : le film qui déconfine le ciné 5 Années20 Affiche officielle 120x180 1](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/04/Années20-Affiche-officielle-120x180-1-682x1024.jpg)
« La vie appartient à ceux qui se lancent. Attendre des mois la validation d’un énième bureau de relecture, d’une énième commission où un mec qui foire tous ses projets depuis quinze ans va vous expliquer que la fin de votre film n’est pas ouf et qu’il faut revenir le voir dans six mois, ça n’est pas possible. Je trouve très bien d’essayer de faire exploser un peu ce système », commente l’humoriste et comédien. La même liberté créatrice a prévalu pour la tournée du film, organisée partout en France entre le 10 et le 26 avril. Les onze villes dans lesquelles il a été présenté ont été, elles aussi, le théâtre de nouvelles performances. « On a écrit des scénarios pour chaque ville, raconte Noémie. On est arrivés dans chacune tous ensemble pour tourner un épisode de dix à quinze minutes qui a été projeté dans les salles le soir même et diffusé en simul- tané sur la chaîne YouTube et les comptes Facebook et Instagram du film », détaille- t‑elle. Chaque personnage a donc eu de nouvelles aventures délocalisées à Toulon, à Lyon ou à Nantes. Pour boucler le budget, l’équipe a lancé une campagne de financement participatif et récolté plus de 10 000 euros. « Tant qu’à faire, autant se remettre en danger au lieu de se satisfaire de ce qu’on a déjà réalisé », assure Joris.
Années 20, objet cinématographique atypique, a déjà obtenu une récompense au Festival du film indépendant de Tribeca, à New York, en 2021. De quoi combler l’équipe qui attend désormais de voir quel accueil la critique et les spectateur·rices français·es leur réservent. Le niveau de stress ne semble pas hyper élevé. Mais l’excitation, elle, est à son comble. Philosophe, François Rollin résume bien l’ensemble de la démarche de ce groupe à l’énergie débordante. « Si le film n’a aucun écho, tant pis, car on aura été heureux de faire un truc épatant, conclut-il. S’il marche, ce sera génial, car on partait vraiment en outsiders. Quoiqu’il arrive, ça multiplie les chances de joie. » Vous, spectateur·rices, savez ce qu’il vous reste à faire…