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© Gabrielle Denisse

Lillah Halla, réa­li­sa­trice fémi­niste du film "Levante" : "Le col­lec­tif est la seule façon de battre le fascisme"

Levante raconte l’histoire d’une jeune joueuse de vol­ley, qui décide d’avorter illé­ga­le­ment dans le Brésil fas­ci­sant de Bolsonaro. Surprise ! Le ton de ce pre­mier film est aus­si joyeux qu’inclusif. Explications avec Lillah Halla, sa réa­li­sa­trice queer, fémi­niste, réso­lu­ment engagée… 

Causette : "Levante" signi­fie "sou­lè­ve­ment" en fran­çais. Un mot fort, sur­tout pour un pre­mier film, et très char­gé poli­ti­que­ment. Est-​ce à dire que vous vous pla­cez d’emblée dans un ciné­ma de gué­rilla, voire d’insurrection ? 
Lillah Halla : Un ciné­ma de gué­rilla, je ne sais pas ; mais poli­tique, oui, évi­dem­ment. Parce que les films sont poli­tiques de toute façon, même quand tu ne veux pas faire de poli­tique. Et parce que mon par­cours, en lui-​même, est poli­tique. J’ai sui­vi des études de ciné­ma dans une école à Cuba, l’EICTV, très renom­mée en Amérique latine et fonc­tion­nant de façon col­lec­tive. Mais c’est seule­ment au moment de quit­ter cette école que j’ai com­men­cé à lire les grands essais clas­siques, queer et fémi­nistes, avec trois amies. Ce temps d’apprentissage a été fon­da­men­tal pour moi. Nous avons beau­coup échan­gé à pro­pos de ces textes, de ces idées queer et fémi­nistes donc, avec mes copines, et c’est alors qu’il nous a sem­blé qu’il man­quait quelque chose dans nos vies. Un "safe space" (un espace sûr, neutre, sécu­ri­sé) où l’on puisse apprendre, débattre, tra­vailler, sans subir de juge­ment ni d’hostilité. Peu de temps après, nous avons créé le col­lec­tif "Rouge" ("Vermelho", en por­tu­gais), qui nous a per­mis d’organiser pen­dant de nom­breuses années des sémi­naires et des débats à São Paulo sur ces sujets. C’était pas­sion­nant, les gens venaient de tout le Brésil pour y par­ti­ci­per ! Si je vous parle de ça, c’est parce que ce col­lec­tif, cette alliance, ont été très impor­tants pour mon film… Ils l’ont nourri.

Précisément… Levante raconte l’histoire de Sofia, une jeune spor­tive pro­met­teuse qui décide d’avorter illé­ga­le­ment (l’avortement étant cri­mi­na­li­sé au Brésil). Vous avez tour­né votre film en 2022, alors que Jair Bolsonaro, pré­sident popu­liste d’extrême droite, était encore au pou­voir. Racontez-​nous…
L.H. : Oui, nous avons tour­né en février/​mars 2022, donc avant les élec­tions pré­si­den­tielles en octobre de cette même année, qui ont vu la vic­toire de Lula (figure his­to­rique de la gauche au Brésil). Bien sûr, la fièvre élec­to­rale était de mise, on le voit à tra­vers les slo­gans, col­lages et des­sins que j’ai fil­més sur les murs. Mais nous ne pou­vions pas savoir, alors, que Bolsonaro serait éjec­té. C’était encore une époque para­noïaque, où il fal­lait faire atten­tion aux infor­ma­tions que l’on par­ta­geait. Ainsi, au vu du sujet de mon film – l’avortement -, un sujet hyper déli­cat et tabou au Brésil, il me fal­lait tra­vailler avec des gens de confiance, qui ne devaient pas seule­ment être moti­vés par l’idée de faire un film, mais aus­si par la cause que mon film défen­dait. C’était vrai­ment une ques­tion de sécu­ri­té, et pour toute l’équipe ! Il ne faut pas oublier qu’à par­tir du moment où Bolsonaro est arri­vé au pou­voir, le 1er jan­vier 2019, toutes les vio­lences ont été légitimées… 

Ce cli­mat de peur vous a‑t-​il fait réflé­chir, voire renon­cer à votre pro­jet, à un moment don­né ? 
L.H. : Toute la ques­tion est de savoir si on doit se lais­ser para­ly­ser par la peur, ou pas. Moi je crois que j’ai tran­ché… Vous savez, en tant que fémi­niste, je me confronte chaque jour, dans ma vie, dans mon tra­vail, à des sujets qui ont à voir avec la vio­lence et l’abjection. Je vous donne juste un exemple : lorsque je fai­sais mes recherches pour mon film, en 2015, j’ai appris que l’avortement clan­des­tin était la 5e cause de la mor­ta­li­té fémi­nine au Brésil. C’est un pro­blème énorme et qui est com­plè­te­ment pas­sé sous silence ! Comment pourrai-​je ne pas en parler ? 

Avez-​vous le sen­ti­ment qu’avec le retour de Lula au pou­voir les choses changent, ou vont chan­ger, notam­ment sur ce sujet ? 
L.H. : Il y a eu un énorme chan­ge­ment, sur bien des sujets, depuis son retour au pou­voir, c’est sûr. Ne serait-​ce parce que, désor­mais, la vio­lence n’est plus légi­ti­mée. Après… L’avortement, qui est tou­jours péna­le­ment répri­mé, sauf en cas de viol ou de mal­for­ma­tion congé­ni­tale du fœtus, reste le sujet le plus "tou­chy" au Brésil. Lula est en faveur de sa décri­mi­na­li­sa­tion, mais il a aus­si été très atta­qué pour ça pen­dant sa cam­pagne, il a donc fait un pas en arrière depuis. De fait, le Sénat reste très conser­va­teur, c’est com­pli­qué. Et le poids de la reli­gion est pré­gnant. Les évan­gé­liques, notam­ment, consti­tuent une force crois­sante dans mon pays, plus de 30%. Mais tous ne sont pas fon­da­men­ta­listes : là encore, cela mérite d’être nuan­cé ! Tout n’est pas for­cé­ment noir ou blanc. Disons que, pour moi, c’est moins un pro­blème de reli­gion que d’information… En tout cas on avance, pas à pas. Un vote impor­tant se pré­pare actuel­le­ment sur ce sujet au sénat… 

Ce qui est fort dans Levante, et résonne d’autant plus poli­ti­que­ment, c’est la façon dont le groupe fait corps autour de Sofia. Son équipe de vol­ley, très inclu­sive, est soli­daire avec elle. Pareil du côté de sa petite amie, et même de son père. Pourquoi avoir opté pour cette ambiance posi­tive, et même joyeuse, alors que vous trai­tez d’un sujet dra­ma­tique ? 
L.H. : Parce que le col­lec­tif est la seule façon de battre le fas­cisme pour moi. L’histoire récente du Brésil a été mar­quée par un sen­ti­ment per­sis­tant de tra­gé­die. La peur, la soli­tude, la tris­tesse ont para­ly­sé les gens, spé­cia­le­ment celles et ceux désigné.es comme mar­gi­naux. Et puis le Covid est arri­vé, au pire moment de l’époque Bolsonaro, iso­lant encore un peu plus celles et ceux qui n’avaient pas le droit à la parole. C’est alors que j’ai eu besoin de m’échapper en écri­vant une his­toire sur la vie, le désir, l’envie. Et c’est alors que l’idée d’un film rem­pli d’espoir et d’action est née. Une idée qui s’est for­mi­da­ble­ment nour­rie, par la suite, de l’énergie posi­tive de mon cas­ting. C’est-à-dire de l’humour et de la jeu­nesse de mes actrices. A tra­vers elles, par cette notion de groupe, un futur est pos­sible… Voilà ce que j’ai vou­lu raconter ! 

Cette joie n’est-elle pas com­pro­mise, mal­gré tout aujourd’hui, au vu de l’élection de Javier Milei, nou­veau pré­sident d’extrême-droite en Argentine… Pays fron­ta­lier avec le Brésil ?
L.H. : Javier Milei est effrayant ! Mais c’est là que l’on mesure le pou­voir poli­tique de la joie. J’en ai pris d’autant plus conscience face au bom­bar­de­ment de mau­vaises nou­velles qui, chaque jour, en Amérique du sud et ailleurs, veut com­pro­mettre cette joie jus­te­ment, c’est-à-dire ce désir per­sis­tant d’exister envers et contre tout. Voilà pour­quoi il faut res­ter vigilant.es, et cela à plein temps. Et voi­là pour­quoi le ciné­ma est un outil puissant ! 

LEVANTE 120 X 160 HD 1

Levante, de Lillah Halla. Sortie le 7 décembre. 

LEVANTE FORMATS WEB

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