Mais aussi l'émouvant Un petit frère, issu de la compétition du dernier Festival de Cannes.
Tel Aviv-Beyrouth : la guerre, vue de l’arrière
L’histoire des conflits à répétition entre Israël et le Liban est complexe, jalonnée de périodes d’occupation (du Liban par Israël), de pics de violence (dans les années 1980) et d’exils douloureux. Un écheveau d’alliances et de trahisons qui, vu de France, semble souvent impossible à démêler ! Pourtant, Michale Boganim s’y emploie avec courage. C’est l’une des vertus de Tel Aviv-Beyrouth, son nouveau film ; l’autre étant de restituer la guerre du point de vue féminin, un biais aussi rare qu’attachant.
Optant pour la forme romanesque d’une fresque, la réa- lisatrice, née à Haïfa, s’attache à suivre les destins croisés et bouleversés de Myriam et de Tanya (la première est israélienne et mariée à un soldat envoyé dans le sud du Liban ; la seconde est libanaise et doit s’exiler avec son père, ancien membre de l’armée du Liban-Sud, dans le nord d’Israël). Structurant son récit autour de trois dates- clés, elle montre comment cette guerre sans fin est vécue des deux côtés de la frontière, nous faisant découvrir au passage l’existence des Tsadals, ces Libanais qui ont col- laboré avec l’armée israélienne, avant d’être trahis puis abandonnés (on les appelle aussi les « harkis du Liban »).
Certes, complexité de la grande Histoire oblige, le récit peut sembler parfois un peu didactique. L’émotion reste néanmoins de mise. D’abord, parce que tout est vu et perçu par le regard de Myriam et de Tanya, deux héroïnes justement situées à l’arrière du front (la guerre, jamais loin, reste hors champ, à la fois menaçante, brutale et révoltante). Ensuite, parce que les comédiens – singulièrement Sarah Adler dans le rôle de Myriam – irradient la force et la vulnérabilité mêlées.
Tel Aviv-Beyrouth, de Michale Boganim. Sortie le 1er février.
Aftersun : Daddy nostalgie
Un premier film qui raconte une dernière fois ? La démarche peut sembler paradoxale… En l’espèce, ce tiraillement entre innocence et mélancolie se révèle bouleversant. Dûment récompensé à la Semaine de la critique à Cannes, puis au Festival de Deauville 2022 (Grand Prix à la clé), Aftersun n’a donc rien d’un crépuscule et tout d’une aube prometteuse pour Charlotte Wells, sa réalisatrice et autrice !
Puisant aux sources de son enfance endeuillée, cette jeune Écossaise établie à New York relate ici les dernières vacances d’été que Sophie, son héroïne et double probable, a passées avec son père vingt ans auparavant, peu avant qu’il ne meure. Des instants joyeux, complices, précieux, tous filmés par la petite Sophie d’alors via son Caméscope (elle n’avait que 11 ans), et dont la grande Sophie d’aujourd’hui, trentenaire et maman à son tour, entreprend de scruter chaque faille pour tenter de comprendre qui était ce daddy gentiment immature, probablement dépressif, et trop tôt disparu. De fait, ce long-métrage est un récit rétrospectif (à part quelques retours ponctuels en 2022). À la fois gracieux et inquiet, il suggère bien plus qu’il n’assène, et cela participe pour beaucoup du sentiment poignant qui nous étreint quasiment à chaque plan.
Ultime raison de s’immerger dans son flot d’images, justement entêtant : les prestations sensibles de Frankie Corio (dans le rôle de la petite Sophie) et du toujours fascinant Paul Mescal (dans celui de Calum, son père). Leur duo forme bel et bien le noyau solaire de cet Aftersun éblouissant.
Aftersun, de Charlotte Wells. Sortie le 1er février.
La Montagne : objet filmique non identifié
Il était une fois Pierre, ingénieur parisien en déplacement dans les Alpes pour son travail. Irrésistiblement attiré par la montagne alentour, il décide d’y bivouaquer… pour ne plus jamais en redescendre ! À mi-chemin de la fable écolo-naturaliste et du conte poétique, le nouvel ofni (objet filmique non identifié) de Thomas Salvador (déjà auteur du formidable Vincent n’a pas d’écailles) émerveille par son mystère, sa quiétude, ses images splendides de pentes enneigées, et son incursion inattendue, si belle, dans le fantastique (Pierre va chercher à se fondre, littéralement, dans la nature…). Cette drôle de course touche d’autant plus qu’elle nous raconte, aussi, que l’amour est capable de réchauffer les cœurs, en l’occurrence ceux de Pierre et de Léa, jusqu’alors pétrifiés dans leurs renoncements. Bref, La Montagne atteint parfois des sommets !
La Montagne, de Thomas Salvador. Sortie le 1er février.
Un petit frère : chronique douce-amère
Encore un film issu de la compétition du dernier Festival de Cannes ! Un peu escamoté, car sélectionné à la toute fin, le deuxième long-métrage de Léonor Serraille (Jeune femme) raconte les tribulations d’une mère célibataire d’origine ivoirienne, qui emménage en banlieue parisienne avec ses deux jeunes garçons. Cette chronique douce-amère, qui se déroule des années 1980 jusqu’à nos jours, se teinte de mélancolie quotidienne (celle du petit frère, longtemps en retrait par rapport à son aîné, plus brillant mais plus en colère). Elle reste néanmoins émouvante, et même attachante, grâce au beau personnage de Rose, femme insoumise qui travaille dur et s’abîme peu à peu au fil des années… loin des clichés habituels.
Un petit frère, de Léonor Serraille. Sortie le 1er février.