soupe van gogh
Deux membres de Just stop oil viennent de renverser de la soupe sur les Tournesols de Van Gogh © Just stop oil

Urgence éco­lo­gique : faut-​il cho­quer pour être entendu·es ?

Pour beau­coup, lut­ter en misant sur la pro­vo­ca­tion se révé­le­rait contre-​productif pour éveiller les consciences. Pour d’autres, l’urgence est telle qu’il faut atti­rer l’attention.

Cet automne, une série d’actions de militant·es éco­los a cho­qué une par­tie de l’opinion publique. D’abord, celles d’activistes du mou­ve­ment Just Stop Oil, qui ont jeté de la purée sur des tableaux de Van Gogh, puis celles d’Extinction Rebellion, qui ont ciblé un Picasso. De quoi faire réagir le jour­na­liste spé­cia­liste de l’écologie Hugo Clément dans un tweet : « Ce ne sont pas des ”mili­tants éco­lo­gistes”, ce sont des imbé­ciles », ou le poli­to­logue et pré­sident de Climate Voices, François Gemenne, qui s’est inter­ro­gé sur France Inter : « Quel est le sym­bole ? » Puis ce fut au tour du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, de car­ré­ment accu­ser d’« éco­ter­ro­ristes » les opposant·es aux « méga­bas­sines » à la suite de leurs mani­fes­ta­tions. Pour beau­coup, lut­ter en misant sur la pro­vo­ca­tion se révé­le­rait contre-​productif pour éveiller les consciences. Pour d’autres, l’urgence est telle qu’il faut atti­rer l’attention. Par tous les moyens ?

Bertrand Caltagirone

Membre du mou­ve­ment Dernière Rénovation

« Si on mène des actions qui peuvent être consi­dé­rées comme cho­quantes, c’est parce que d’autres types d’actions – la marche pour le cli­mat, la déso­béis­sance civile à voca­tion moins per­tur­ba­trice – n’ont mal­heu­reu­se­ment pas suf­fi à mobi­li­ser les gens et à faire bou­ger les poli­tiques publiques. Et parce que le choc est effi­cace.
Avant de jeter de la purée sur des œuvres d’art, les acti­vistes de Just Stop Oil avaient blo­qué des raf­fi­ne­ries de pétrole au Royaume-​Uni pen­dant plu­sieurs semaines. Ces actions, qui ciblaient direc­te­ment les res­pon­sables, ont été très peu média­ti­sées. Là, deux per­sonnes dans un musée ont suf­fi à ce que les images fassent le tour du monde. De notre côté, depuis nos actions à Roland-​Garros ou au Tour de France,
nous sommes invi­tés sur tous les pla­teaux télé.
Si nos actions sont cli­vantes, nos reven­di­ca­tions le sont très peu : nous mili­tons pour la réno­va­tion ther­mique des bâti­ments. C’est une mesure sociale qui rap­pelle que l’écologie n’est pas tou­jours puni­tive ou sacri­fi­cielle. De ce point de vue aus­si notre méthode est effi­cace, car le débat a été posé. L’Assemblée natio­nale a voté des amen­de­ments en faveur de hausses mas­sives des bud­gets de réno­va­tion éner­gé­tique. Malheureusement, ça a été reje­té avec le 49.3.
Il faut aus­si rap­pe­ler que nos actions ne sont pas vio­lentes même si elles peuvent être per­çues comme telles : ce ne sont ni des agres­sions envers des per­sonnes ni même envers du maté­riel, puisque aucun tableau n’a été dégra­dé. L’art, c’est ce qu’il y a de plus beau dans l’humanité. Il y a un sym­bole fort dans le fait de le mettre à contri­bu­tion de cette façon pour l’écologie. »

Marine Calmet

Juriste spé­cia­li­sée dans le droit de l’environnement, cofon­da­trice de Wild Legal et lau­réate 2021 du prix de l’écologie.

« Le béné­fice de ces actions choc, c’est de ques­tion­ner, d’interroger, voire d’alerter de manière un peu dif­fé­rente et de faire par­ler de ces sujets. En revanche, leur limite, c’est que la plu­part des médias traitent uni­que­ment l’acte en lui-​même sans vrai­ment por­ter le mes­sage qu’il y a der­rière, ou en le rédui­sant à un pro­pos très simple. Et pour des per­sonnes exté­rieures au sujet, voire novices sur ces ques­tions, il est extrê­me­ment com­pli­qué de com­prendre le lien entre l’action en elle-​même et le mes­sage, com­plexe, qui n’apparaît pas for­cé­ment de manière évi­dente. Donc mal­heu­reu­se­ment, bien sou­vent, ça manque un peu son but.
D’un point de vue mili­tant, la ques­tion est de savoir com­ment agir pour qu’on s’intéresse au fond, et pas seule­ment à la forme. Tout l’enjeu est donc de par­ve­nir à har­mo­ni­ser les modes d’actions pour qu’il y ait à la fois un mes­sage qui parle au plus grand nombre et des formes de mobi­li­sa­tions dif­fé­rentes, pour que ceux qui ne se recon­naissent pas dans ces actions choc puissent aus­si s’engager. C’est cette diver­si­té de modus ope­ran­di qui, à mes yeux, fait qu’on peut mobi­li­ser toutes les forces en présence. » 

Vincent Gay

Sociologue, auteur et membre de l’ONG alter­mon­dia­liste Attac.

« La ques­tion de la diver­si­té des tac­tiques a lon­gue­ment été débat­tue par le mou­ve­ment alter­mon­dia­liste. Quand sont arri­vées les pre­mières confron­ta­tions
vio­lentes avec les forces de l’ordre dans les années 2000, le débat est né entre les
défen­seurs d’une forme de non-​violence et de grande pru­dence, et une autre mou­vance pour qui la confron­ta­tion phy­sique est plus affir­mée. Au fur et à mesure, on a déci­dé que cette pos­ture face à la vio­lence de l’État devait être assu­mée, notam­ment parce que la répres­sion deve­nait de plus en plus dure. Mais il est inté­res­sant de ne pas se limi­ter à l’affrontement à la police, même si les médias ont du mal à s’approprier les autres ter­rains d’action inves­tis par les mili­tants : le fait de por­ter des pro­jets à l’Assemblée natio­nale, le tra­vail des col­lec­tifs à échelle locale, le volet juri­dique…
Sans tout le tra­vail légal des acti­vistes à Notre-​Dame-​des-​Landes, par exemple, on n’aurait pas pu ralen­tir les tra­vaux de l’aéroport. Cela étant, par­ler d’écoterrorisme est com­plè­te­ment indé­cent. Cela ne cor­res­pond à aucune réa­li­té. Il n’existe qu’un exemple d’acte ter­ro­riste à des fins éco­lo­gistes, qui a eu lieu aux États-​Unis par les milieux proches de l’extrême droite. On peut dis­cu­ter de déso­béis­sance civile et de la légi­ti­mi­té ou non d’actes illé­gaux mais, en uti­li­sant cette ter­mi­no­lo­gie, Gérald Darmanin a vou­lu semer la confu­sion et évi­ter le débat. Car quand on accuse quelqu’un de ter­ro­risme, on le sort du débat démo­cra­tique minimal. »

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