Ils bloquent les périph, s’accrochent aux filets des courts de Roland-Garros ou se collent les mains au goudron avec de la Super Glue afin de se battre pour une urgence consensuelle et pourtant mal connue : la restauration thermique des bâtiments. Le mouvement Dernière Rénovation entame cet automne sa troisième vague de perturbations dans le pays.
8 h 33, un lundi de juin. Dernier feu rouge avant l’entrée du périph francilien, entre une caserne de pompiers et quelques cafés. C’est la reprise du boulot, après le week-end. Un groupe de trois femmes, dont l’une en fauteuil roulant, et trois hommes s’arrête devant le passage piéton. Lorsque le feu passe au rouge, tous et toutes enfilent un gilet orange fluo, s’assoient en ligne sur le goudron et déploient une banderole affublée d’un logo de maison avec une flamme à l’intérieur et le nom de leur mouvement : Dernière Rénovation.
La route est bloquée. Lorsque le feu passe au vert, deux des bonshommes orange fluo s’avancent vers la masse des véhicules. À une dame au volant, l’un d’eux explique : « On est désolés. C’est pour l’écologie. Les pétitions et les manifs ne marchent pas. On travaille nous aussi, mais on n’a pas d’autre moyen. »
Dernière Rénovation. Ce nom désigne bien l’urgence dans laquelle nous sommes : l’ultime moment pour engager une rénovation énergétique des bâtiments, mesure clé pour faire baisser drastiquement les émissions de CO2. « Il ne nous reste que 1 028 jours », était-il écrit sur le tee-shirt de la jeune activiste du mouvement qui s’est accrochée au filet d’un court de Roland-Garros pour faire réagir le grand public. Lancé en avril dernier, Dernière Rénovation privilégie les actions spectaculaires : blocus de routes ou du périphérique francilien. Renan, 22 ans, fait partie des premier·ères bloqueur·euses. « En septembre-octobre, expose-t-il, l’objectif est de mobiliser cinq cents personnes et de mener à mille arrestations. » Le mouvement ne veut pas se contenter de « deux-trois actions coup de poing », mais de perturber des infrastruc- tures à grande échelle sur le territoire et établir « un vrai rapport de force » avec les autorités. Et pas qu’en France. Dernière Rénovation fait partie de la campagne A22 – pour avril 2022, date du lancement –, une série de perturbations organisées dans neuf pays occidentaux (Allemagne, Australie, Canada, Italie, Norvège, Royaume-Uni, Suisse, États- Unis et France) pour l’écologie.
Chaque groupe militant du réseau A22 a sélectionné la mesure la plus « claire, simple et réalisable » pour laquelle se battre au vu de ses enjeux nationaux. En Australie, c’est la lutte contre les feux de forêt. Au Canada, la fin de la coupe de la forêt primaire. En France, reprend Renan, « nous demandons un plan de rénovation thermique des bâtiments afin qu’ils soient tous isolés d’ici à 2040 ». Et ce, de manière responsable, à base de « matériaux biosourcés » (ouate, fibre de bois, laine de chanvre, paille…). À cela s’ajouterait « un plan de financement pour aider les ménages les plus modestes à engager les travaux, dans un objectif de justice sociale ». La mesure est tirée des recommandations de la Convention citoyenne pour le climat. Dernière Rénovation demande son inscription dans la loi.
Demande « gagnable »
9 h 01, le message passe mal. Surenchère d’insultes. On accuse les militant·es de « fascisme ». Un motard en énorme Ducati fait vrombir son moteur à quelques centimètres de leurs visages. Marie *, 22 ans, étudiante en économie, qui tient toujours la banderole au milieu de la route pour maintenir le blocus, tient bon. « Je sais pourquoi je suis là. La stratégie, c’est d’avoir une demande qui fait consensus dans l’opinion publique. Et dire que si l’on n’est pas capables de la gagner, alors c’est foutu. »
Selon un sondage OpinionWay de 2022, sept Français·es sur dix souhaiteraient que le président de la République « prenne des mesures plus fortes en matière de rénovation énergétique ». En France, détaille Dernière Rénovation dans sa communication offi- cielle, « entre 16 et 20 % de nos émissions » viennent du secteur immobilier et « cinq à neuf millions de logements sont considérés comme des passoires thermiques ».
L’urgence semble d’autant plus consensuelle que le gouvernement a lui-même déjà fixé pour objectif, dans sa Stratégie nationale bas carbone, le seuil de « 500 000 rénovations de logements par an sur le quinquennat » et en moyenne « 700 000 rénovations complètes par an à partir de 2030 ». Mais, « en 2021, constate Dernière Rénovation, seulement 60 000 rénovations globales ont été réalisées ». Pourtant, le coût de la transition ne serait pas plus élevé que celui que représente déjà l’impact sur la santé des logements mal isolés. Car en plus d’émettre du CO2 et de polluer la planète, « les passoires thermiques coûtent 10 milliards par an en termes d’effets sur la santé des personnes, selon le ministère de la Transition écologique, détaille Renan. Nos mesures, elles, coûtent environ 20 mil- liards par an, dont seulement 13 milliards de subventions que l’on demande à l’État ».
Jusqu’au-boutisme
9 h 20, parmi le flot d’insultes, quelques rares passant·es témoignent leur soutien aux militant·es. « Ils n’ont pas d’échappatoire », argumente une dame sur le trottoir. Une autre est descendue pour leur apporter du café. En même temps qu’elle, la police arrive. Trois des activistes sortent alors un tube de Super Glue de leur poche, enduisent leurs doigts et se collent au bitume. La méthode jusqu’au-boutiste rappelle les garnements d’Extinction Rebellion.
Normal : la plupart des membres de Dernière Rénovation en sont issu·es. Comme elles et eux, analyse la sociologue spécialiste des mouvements écologistes Sylvie Ollitrault, « ils jouent la désobéissance civile jusqu’au bout : il faut que les forces de l’ordre viennent les déloger. C’est la stratégie du groupe de pression. Cela peut interpeller. » Mais, souligne-t-elle, « cela peut aussi se montrer contre-productif si les gouvernants sortent le discours “c’est une minorité qui fait du chahut”. Quoi qu’on en dise, pour que les institutions initient des transformations majeures, on remarque qu’il faut que les demandes entrent dans le débat par une voie institutionnelle : le vote. Or le vote écolo n’a pas été si fort aux présidentielles. » À la date du bouclage de ce numéro, il ne nous reste que 953 jours.
* Le prénom a été modifié.