Elles sont devenues les compagnes indispensables de nos longues journées de travail ou de nos séances de sport : les gourdes réutilisables s’imposent de plus en plus pour remplacer les bouteilles en plastique. Une bonne nouvelle pour la planète ? Oui, à condition de ne pas faire de bourde !
Il y en a pour tous les goûts. Motif coloré, à fleurs, jungle, géométrique, en Inox, en plastique, en verre, petite ou grande contenance, connectée… Les gourdes réutilisables ont envahi les étagères des commerces, les bureaux et les sacs de sport. Présentée comme une alternative à la bouteille en plastique, la gourde est devenue, comme avant elle le tote bag, l’accessoire écolo indispensable. C’est globalement une bonne chose. Mais avant de lui accorder ce label les yeux fermés, elle mérite qu’on se penche un peu plus sur son cas, notamment sur son processus de fabrication.
Bilan carbone
À ce titre, tous les matériaux ne sont pas égaux. L’Inox, par exemple, est un des plus utilisés pour produire des gourdes. Il est souvent présenté comme étant écolo : très solide, sans transfert de matière vers l’eau, contrairement au plastique, et entièrement recyclable. Pas mal, sur le papier. Sauf que l’immense majorité des gourdes en Inox sont produites en Chine, à partir de minerai extrait en Afrique du Sud. « L’Inox est un acier produit notamment à partir de chrome et de nickel, qui lui permettent de ne pas rouiller, c’est ce qui en fait sa qualité principale pour l’usage alimentaire, explique Didier Julienne, spécialiste des matières premières. La Chine est le numéro un dans la production d’acier dans le monde, elle en fabrique un kilo sur deux, à partir de chrome qu’elle trouve dans ses sols ou qu’elle fait venir d’Afrique du Sud, premier exportateur au monde. »
Entre l’extraction du minerai, le transport d’Afrique du Sud vers la Chine, puis vers l’Europe… le bilan carbone de notre gourde commence à s’alourdir. S’ajoute à la facture le processus de fabrication de l’Inox, coûteux en ressources et en énergie : il s’agit de métallurgie lourde, qui implique de faire chauffer l’acier à très haute température. Enfin, il y a le poids de l’éthique : comment savoir dans quelles conditions et pour quel salaire usinent les ouvrier·ères chinoises pour fabriquer nos gourdes écolos ?
Si on balaie l’Inox, il reste le verre ou le plastique. Avec les défauts qu’on leur connaît. Le verre apparaît comme la solution la plus verte : son processus de fabrication peut être local, il est moins coûteux sur le plan environnemental que l’Inox et il se recycle très bien. Mais il est moins pratique : il est plus lourd et se casse plus facilement. Le plastique, quant à lui, n’est pas idéal pour la santé, puisqu’il peut y avoir des transferts de matière vers l’eau. Surtout, il est très problématique à l’état de déchet, car il est peu recyclable. « Le plastique est un matériau très résistant, l’utiliser pour des produits à usage unique est une aberration », s’exaspère Julie Sauvêtre, chargée de projet chez Zero Waste France. Selon l’association, en 2017, les Français·es consommaient 96 bouteilles en plastique par personne et par an.
« Malheureusement, à ce jour, il n’y a pas de gourde idéale », soupire Julie Sauvêtre. Un peu déprimant. Mais, rassurez-vous quand même : pour Zero Waste France, une gourde utilisée régulièrement et sur le long terme vaudra toujours mieux que les bouteilles jetables. « L’intérêt des gourdes, c’est qu’elles sont réutilisables un grand nombre de fois. À partir d’un certain nombre d’utilisations, on compense le coût environnemental de leur production », rassure Julie Sauvêtre. Acheter une seule gourde et y rester fidèle, voilà le credo.
Le fabricant français Gobi estime qu’il faut utiliser sa gourde deux à cinq mois si elle est en plastique ou en verre pour compenser son effet sur l’environnement, trente mois si elle est en Inox. « Dans la mesure où aucun matériau n’est neutre sur le plan environnemental, il faut choisir la gourde qui correspond le plus à nos usages, car c’est celle qu’on gardera le plus longtemps », explique Anthony Boule, cofondateur de la coopérative Mu, spécialisée en écoconception. « Pour les enfants ou les sportifs, mieux vaut choisir un matériau robuste, comme l’Inox ou le plastique. Pour un usage sédentaire, on peut se tourner vers le verre. » Il faut aussi prendre en compte nos préférences personnelles : certaines personnes préfèrent avoir une gourde transparente ou n’aiment pas le contact de l’Inox pour boire de l’eau.
Arguments trompeurs
Surtout, mieux vaut éviter de se laisser tenter par le marketing. « On voit de plus en plus d’entreprises proposer des gourdes en goodies à leurs clients, comme pour les tote bags, observe Julie Sauvêtre. Elles espèrent profiter de la popularité de ce produit pour se donner une image écolo. Mais ces objets, qui sont distribués gratuitement et ne correspondent pas à un besoin, finissent par dormir dans les placards. Là, l’intérêt écologique est nul. » Autre argument marketing trompeur : les gourdes en matériaux biodégradables, en canne à sucre par exemple. Tentant, mais absolument pas adapté. « L’objectif premier d’une gourde est de durer longtemps, c’est l’inverse du biodégradable, analyse Anthony Boule. Vous passez une gourde biodégradable une fois au lave-vaisselle, elle est foutue. »
Enfin, il faudra résister aux arguments des fabricant·es qui proposent chaque année, comme dans l’industrie de la mode, de nouveaux motifs et couleurs. Celles et ceux qui sont prêt·es à un engagement pour la vie préféreront donc les modèles sobres et unis. Ils pourront alors se tourner vers des fabricant·es engagé·es dans une démarche responsable, comme Gobi, qui propose deux formes uniques : une en plastique, une en verre, 100 % fabriquées en France. Ou bien la start-up Zeste, qui vend, depuis 2019, un modèle de gourde unique, en Inox, fabriquée en Europe. L’entreprise se fournit auprès d’une fonderie espagnole à qui elle achète un acier composé à 80 % d’Inox recyclé. Les gourdes sont ensuite fabriquées en Bretagne et en Normandie. Un seul hic : elles sont non isothermes et plus chères que leurs concurrentes chinoises. Votre eau sera plus tiède, mais la planète, un peu moins chaude.