Alors que le ministre de l’Intérieur a confirmé hier qu’il annoncera ce mercredi la dissolution du mouvement des Soulèvements de la Terre, Ludivine Vandevoorde, avocate en droit de l’environnement, répond à nos questions.
Gérald Darmanin l’a confirmé hier après-midi. Le ministre de l’Intérieur présentera ce mercredi 21 juin, en Conseil des ministres, le décret de dissolution du mouvement informel des Soulèvements de la Terre. Une annonce qui intervient quasiment trois mois après avoir lancé la procédure de dissolution, le 28 mars dernier, quelques jours après les violents affrontements autour du projet de mégabassine à Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres. « Essayer de faire taire les Soulèvements de la terre est une vaine tentative de casser le thermomètre plutôt que de s'inquiéter de la température », a dénoncé le mouvement dans un communiqué, pointant « une dissolution très politique et particulièrement inquiétante ».
Restée en suspend un long moment, la procédure a bougé la semaine dernière après l’action menée par les Soulèvements de la Terre contre l’exploitation de sable à des fins industrielles et agro-industrielles, en arrachant des pieds de muguets et des plants de mâches, au sud de Nantes (Loire-Atlantique). Le maraîchage industriel à Nantes, les mégabassines à Sainte-Soline, la cimenterie Lafarge à Marseille, la nouvelle liaison ferroviaire Lyon-Turin… Depuis la naissance du mouvement en janvier 2021 – issu de la lutte contre l’aéroport de Notre-Dames-des-Landes (Loire-Atlantique), les cibles des Soulèvements de la Terre se font nombreuses.
Difficile de définir clairement Les Soulèvements de la Terre. Il s’agit d’un mouvement informel aux contours flous qui fédère de nombreuses associations de protection de l’environnement, des collectifs territoriaux, des syndicalistes, des paysan·es, des chercheur·es ainsi que des citoyens lambda autour de la lutte contre l’agriculture intensive, l’accaparement des terres agricoles et des ressources en eau. Cette constellation, ce « vaste mouvement hétérogène et composite » selon leur propre définition, cette « grande alliance » au fonctionnement « horizontal » est donc plus que jamais dans le viseur du gouvernement. Entre légalité, recherche de preuves, suites possibles et définition juridique du mouvement, Causette fait le point avec Ludivine Vandevoorde, avocate spécialiste du droit de l’environnement.
Causette : Juridiquement qui sont les Soulèvements de la Terre ?
Ludivine Vandevoorde : Ce n’est pas une personne morale. C’est un "groupement de fait", c’est-à-dire un groupement de personnes, physiques ou morales, qui désirent s’allier dans un but commun, ici notamment la lutte contre l’accaparement des terres, sans accomplir les formalités de déclaration d’une association en préfecture. Le groupement de fait ne bénéficie pas de la capacité juridique d’une personne morale mais cela ne change rien quant à sa dissolution puisque le gouvernement s’appuie sur l’article L212‑1 du code de la sécurité intérieure qui dispose notamment que les associations ou les groupements de faits comme les Soulèvements de la Terre, peuvent être dissous en cas « d’agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens ».
Pourquoi, selon vous, ce mouvement écologiste radical cristallise autant d’inquiétudes ?
L.V. : Je pense qu’il y a d’une part une volonté gouvernementale de contrôler davantage les manifestations depuis la naissance du mouvement des gilets jaunes. On a de nombreuses institutions et organismes, comme la Défenseure des droits ou le Conseil de l’Europe, qui viennent relever et dénoncer l’usage excessif ou disproportionné de la violence par les forces de l’ordre, par exemple dans les récentes manifestations contre la réforme des retraites . Sur le mouvement des Soulèvements de la Terre en lui-même, il ne faut pas oublier que l’écologie radicale est apparentée à l’écoterrorisme, notion apparue dans les années 1970. L’opinion publique considère que l’écologie radicale existe pour mener des actions coup de poing, alors qu’il s’agit avant tout de s’interroger sur la place de la protection de l’environnement en tant que valeur dans notre société.
L’écologie radicale souhaite défendre une certaine éthique, fondée sur la responsabilité de l'Homme quant aux conséquences des actions humaines sur l’environnement. Cette éthique suppose que l’Homme prenne conscience et mène des actions pour protéger la valeur de la vie elle-même. Toutefois, les actions menées et relayées dans les médias peuvent desservir ce combat. La notion même de « radicalité » suppose une certaine forme de violence, par conséquent si elle est associée à l’écologie, cette expression peut avoir des effets contreproductifs auprès de l’opinion publique, qui va alors jusqu’à s’indigner de son existence.
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Après les événements de Sainte-Soline, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, avait annoncé la dissolution des Soulèvements de la Terre pour la mi-avril. Depuis, la dissolution a été plusieurs fois reportée. Qu’est-ce qui peut expliquer ce retard ?
L.V. : Le gouvernement temporise car il est bien conscient des risques juridiques qu’il encourt avec cette dissolution. Le ministère de l’Intérieur doit parvenir à démontrer que les actes de violences qu’il cite dans ses griefs [notamment ceux survenus à Sainte-Soline en mars dernier, ndlr], sont réellement imputables aux militants des Soulèvements de la Terre. Ces actes de violences sont justement très difficiles à caractériser, c’est pour cela que la dissolution prend du temps. Et surtout, ce n’est jamais bon pour l’image de l’État d’édicter un acte administratif qui sera ensuite annulé par le Conseil d’État.
La série d’interpellations qui a eu lieu ce matin [Des arrestations ont été menées par la sous-direction antiterroriste dans le cadre de l’enquête sur l’envahissement d’une usine du cimentier Lafarge, près de Marseille, en décembre 2022, ndlr] en est d’ailleurs l’illustration. Ces interpellations vont permettre au ministère de l’Intérieur de s’aménager ces preuves. Il faudra cependant attendre les résultats de ces interpellations pour voir s’ils parviennent à constituer un nombre de preuves suffisant à l’encontre des Soulèvements de la Terre.
« Si cette dissolution est maintenue ce sera une décision gravissime pour l’exercice de nos libertés collectives »
Gérald Darmanin a confirmé la dissolution demain des Soulèvements de la Terre. Quel message politique cela envoie-il quant à la protection de l’environnement et l’inaction politique face à l’urgence climatique ?
L.V. : Il est évident qu’une dissociation est opérée par le gouvernement entre protection de l’environnement et mouvement des Soulèvement de la Terre . Cette dissociation est relayée par les médias. Le mouvement est en effet considéré comme nuisible à l’ordre public et plus largement comme portant atteinte à la démocratie. Par conséquent, le message envoyé se résume plutôt à « la cause écologique ne saurait servir de fondement légitime à la violence ». Or, le mouvement des Soulèvements de la Terre souhaite ,par ses actions, obtenir une visibilité médiatique pour une prise de conscience et une mobilisation de l’ensemble des citoyens concernant l’urgence climatique , eu égard effectivement à l'inaction politique.
Quelles peuvent être les suites envisagées à la dissolution du mouvement ?
L.V. : À mon sens, il y aura forcément un recours des avocats des Soulèvements de la Terre auprès du Conseil d’État qui devra alors examiner l’acte administratif et déterminer si ce dernier est légal. Une association, qu’elle soit déclarée ou qu’elle soit un groupement de fait, est protégée par la liberté d’association. En effet, celle-ci constitue un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Elle est également protégée par l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’Homme.
La légalité de la dissolution dépend des éléments de preuve. Il convient de souligner que si cette dissolution est maintenue sans réunir de preuves suffisantes concernant l’imputabilité des agissements violents aux participants du mouvement, ce sera une décision gravissime pour l’exercice de nos libertés collectives. En dernier recours, les Soulèvements de la Terre pourront alors saisir la Cour européenne des droits de l’Homme qui pourra condamner l’État pour violation de l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’Homme.
« Il sera donc difficile de désigner un responsable à ces actes de violences. »
Quel est l’intérêt d’une dissolution ?
L.V. : Il réside dans la possibilité de poursuites pénales en cas de reconstitution ou de nouvelles actions entreprises par le mouvement. L’article L431-15 du code pénal punit ,en effet, de trois ans d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende « le fait de participer au maintien ou à la reconstitution, ouverte ou déguisée, d’une association ou d’un groupement dissous ».
Dans ce scénario, l’État pourrait-il poursuivre pénalement les associations de protection de l’environnement, les collectifs territoriaux et les milliers de personnes qui se réclament des Soulèvements de la Terre ?
L.V. : C’est une question pertinente. Je ne pense pas que cela soit matériellement possible. Ce sera même très difficile je pense. Ce n’est pas une organisation précise avec un leader responsable devant la loi mais plutôt un mouvement informel qui fédère de nombreuses entités, il sera donc difficile de désigner un responsable à ces actes de violences.
Plus largement, faut-il s’attendre à un accroissement de la surveillance des militant·es écologiques et un durcissement entre les luttes écologiques et l’État ?
L.V. : Il faut effectivement s’attendre à ce que les actions de désobéissance civile soient davantage encadrées voire sanctionnées.