Nico de Transylvania, une DJ roumaine en résidence au Royaume-Uni, s’est lancée en 2018 dans une vaste opération de reforestation dans les montagnes de Transylvanie, ou elle a grandi. Depuis les années 1990, les forêts de la région sont victimes de coupes illégales à grande échelle, menaçant l’un des ecosystèmes parmi les plus riches d’Europe.
Dans le village de ses grands-parents, un parking a remplacé un bois ou elle jouait gamine. Des forêts de son enfance, Nico de Transylvania en a vu beaucoup disparaître. En 2018, alors qu’elle est dans les Carpathes pour enregistrer des chants et instruments folkloriques, en vue de la préparation de son album Be one, la musicienne d’origine roumaine, mais qui vit désormais au Royaume-Uni, prend conscience de l’ampleur du massacre écologique de « l’Amazonie de l’Europe », surnom parfois donnée à la Transylvanie. Là-bas comme dans d’autres régions du pays, les coupes rases défigurent le paysage depuis la chute du communisme en 1989, et le retour des forêts à des propriétaires privés. Certains abattent depuis des pans entiers de forêt, revendant ensuite le bois à prix d’or à des gros industriels, d’autres le font pour des besoins domestiques. Avec la complicité généralisée d’une administration forestière largement corrompue. « Sauvegarder le patrimoine musical local et la forêt, c’est la même chose pour moi. Les hommes et la nature sont les deux faces d’un même écosystème en danger », raconte l’artiste, de son vrai nom Nicoleta, jointe par téléphone.
25.000 arbres plantés en deux ans
Avec les recettes de Be One, de soirées club, et une campagne de crowdfunding, Nico de Transylvania commence à engager des locaux pour réaliser des opérations de reboisement là ou les coupes rases ont laissé la terre à vif, en partenariat avec l’ONG allemande Fundatia Carpathia, qui rachète des hectares de forêt dans les montagnes Fagaras, dans le sud de la Transylvanie, pour créer l’un des plus grands parc naturels d’Europe. Sur les terres acquises par l’organisation, les salariés de l’association de Nicoleta, Forest without frontiers, ont planté en deux ans 25.000 jeunes épicéas, hêtres et érables. Dans ce qui est déjà une zone naturelle protégée privée, les terrains sont sanctuarisés. Aucune exploitation sylvicole ni chasse n’est autorisée, ce qui n’est pas sans susciter la défiance d’habitants de la région, qui voient d’un mauvais œil une ONG étrangère s’accaparer leurs terres et restreindre les usages de la forêt, qui offrent à beaucoup une source de revenu non négligeable. Un ressentiment attisé par les médias de masse et la classe politique qui jouent la démagogie en criant au colonialisme vert. « Je peux comprendre la méfiance populaire, de la part de gens qui ont souffert de décennies de dictature, puis d’un libéralisme effrené et corrompu. C’est difficile de faire encore confiance. Mais la Fundatia Carpathia est notre meilleure option. Il faut voir comment l’Etat gère les forêts publiques, qui sont dévastées… », pointe la DJ, réaliste et désabusée quand il s’agit d’aborder les vissicitudes de la realpolitik.
![En Translyvanie, la lutte de la DJ Nico contre la déforestation 2 Capture d’écran 2021 10 21 184153](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2021/10/Capture-d’écran-2021-10-21-184153.jpg)
Tensions politiques autour de la protection de l’environnement
En Roumanie, la déforestation est devenue un sujet politique brulant, tout comme la protection de la grande faune, dont de nombreux ours, loups et lynx. Qu’il s’agisse du premier sujet ou du deuxième, les politiques roumains pointent du doigt l’Union européenne, accusée de donner plus de valeur à la vie sauvage qu’à celle des hommes, à travers les réglementations communautaires sur les espèces et les zones naturelles protegées. Les activistes environnementaux sont sous pression. En septembre dernier, l’un deux, Tiberiu Boșutar, a été tabassé alors qu’il documentait la déforestation dans la région de Suceava. Au milieu de tous ces débats environnementaux tendus, Nicoleta veut jouer l’apaisement, et chercher le consensus autour de l’impératif écologique. « En tant que DJ, je sais réunir les gens pour les faire danser ensemble. Je veux utiliser ça pour rassembler le plus de monde possible autour d’un combat commun contre la déforestation. Et d’une façon positive, qui réunisse les jeunes londoniens, berlinois ou parisiens, et les anciens de Transylvanie », s’enthousiasme l’artiste.
Créer des ponts entre les générations. Pour Nico de Transilvania, le combat écologique est aussi un combat mémoriel, une lutte pour sauver le monde presque disparu de ses grands-parents, “qui vivaient en quasi-autosuffisance, d’une agriculture vivrière, et grâce aux ressources de la forêt », se rapelle la DJ, non sans une pointe d’idéalisation floklorisante. La fragmentation, l’artificialisation et l’exploitation grandissante des forêts profondes qui recouvrent le pays dégrade aussi la qualité de vie des habitants. Forte de ce constat, l’artiste roumaine replante des arbres comme elle collecte des samples de flute, ou de chants traditionnels : avec l’envie de sauver et de mettre en valeur la vie rurale traditionnelle de sa région. “Je trouve que la façon dont on snobe nos racines et notre folklore est la même que celle avec laquelle on traite la planète », raconte encore Nicoleta, qui réalise en ce moment un film documentant les liens entre destruction de l’environnement et déprise des modes de vie ruraux, dans le cadre du programme Endangered Landscapes, une résidence artistique financée par l’université de Cambridge. Si l’art adoucit les mœurs, reste à voir si il aura aussi le pouvoir d’accélerer la prise de conscience écologique.