Il était une fois un rongeur qui força l’État français à imposer un modèle d’agriculture durable sur son territoire et sauva tout un écosystème. La boule à poil devint ainsi un symbole pour le monde écolo et une source d’inspiration politique inédite.
À force de traîner avec les écolos, Causette a découvert qu’il existait un animal capable d’exciter tout le milieu. Un rongeur roux orné de taches blanches, en voie de disparition mais connu comme le loup blanc : le grand hamster d’Alsace. Ne riez pas. Sa popularité s’étend bien au-delà des contrées de la flammekueche. On l’évoque dans les soirées d’anciens des Jeunes écolos de Lille, qui tripent sur la fois où « un membre du Congrès fédéral se serait déguisé en hamster » en son honneur. On enseigne son histoire en cours de droit, nous apprend une membre du ministère de la Transition écologique1. « Le prof nous a fait un véritable one-man-show sur le hamster », se souvient-elle. À l’Office français de la biodiversité (OFB), à Paris, on surnomme les oiseaux menacés les « hamsters volants ». Du côté de Bruxelles, un membre du Secrétariat général des affaires européennes qualifie même le rongeur de « passionnant sujet » et d’« ami quasi intime ». Bref, il y en avait assez pour poser la question qui taraude tout le monde : quels sont les réseaux de cette mystérieuse bête, connue jusqu’au sommet de l’État ?
« Le grand hamster d’Alsace est un ‑symbole dans le monde associatif et politique, car il a fait bouger les pouvoirs publics de manière inédite », éclaire un membre de l’OFB. Tout démarre en 2009. La Commission européenne attaque la France devant la Cour de justice de l’Union européenne pour « insuffisance des mesures prises pour protéger » l’ami joufflu. « On était ‑passés à moins de deux cents hamsters » [en Alsace et donc sur l’ensemble du territoire, ndlr], retrace l’OFB, là où il en faut environ deux mille pour que l’espèce survive. La faute à des décennies de chasse anti-hamster encouragée par les pouvoirs publics français. L’espèce vivant dans les champs, elle était classée « nuisible » à l’agriculture et, précisément, au modèle agricole intensif, qui, lui, détruisait l’écosystème de l’animal. La France est condamnée en 2011 à plusieurs millions d’euros d’amende en cas d’inaction. C’est là que notre bestiau se mue en véritable bouclier écolo.
Dès lors, c’est le branle-bas de combat pour sauver sa belle truffe : un budget de 3 millions d’euros renouvelé tous les cinq ans environ pour réorganiser tout le système agricole local. Le plan : récompenser les agriculteur·rices qui mettront en place une part de parcelles « en rotation », histoire de sauver l’habitat du rongeur. Un système durable où l’on change les cultures régulièrement, ce qui lui permet de grignoter les différentes céréales dont il a besoin, plutôt que celui de monoculture, qui l’avait affamé. Mais pour toucher les financements, ce n’est pas à chaque exploitant·e de changer ses cultures. La transition doit se faire à l’échelle des villages ! Soit tous changent, soit tous paient l’amende. Une révolution qui n’y paraît pas. « Cette politique repense tout le rapport des pratiques agricoles à la biodiversité », souligne Timothée Gérard, doctorant en biologie et spécialiste du rongeur. C’est comme si, au lieu de fixer un objectif limite de 2 °C de réchauffement climatique d’ici à 2030, l’ONU donnait le choix aux États entre risquer une énorme amende ou être payés une fois qu’ils avaient revu toute leur économie.
Un vrai travail de discussion
Et ça marche, observe Philippe Osswald, de la Chambre d’agriculture d’Alsace. « Le fait d’obliger les agriculteurs à s’accorder pour bénéficier des financements a permis une acceptation de l’objectif de biodiversité, car il y a eu un vrai travail de discussion – cinquante réunions les deux premières années – pendant lequel une majorité a compris que c’était possible de s’adapter. » Sont tombé·es d’accord des ONG de défense animale et des chasseurs – du jamais-vu, selon les autorités locales. Les acteurs les plus réticents ont compris qu’« activité économique et préservation de l’environnement ne s’opposaient pas forcément ». Un rêve écolo. Du coup, en Alsace, le hamster devient un alibi pour attaquer les « grands projets inutiles » du type urbanisation ou grandes surfaces, rapportent plusieurs militants. Et, pour la première fois, « le ministère de l’Agriculture s’est mis à écouter celui de l’Écologie », schématise-t-on du côté de l’OFB.
Ce n’est pas tout. « En améliorant le domaine vital du hamster, explique Timothée Gérard, on améliore celui d’autres espèces. La faune de mammifères qui le consomment, mais aussi les insectes. Sachant qu’eux-mêmes participent à l’enrichissement des sols, c’est un écosystème entier qui se régénère. » Pourrait-on reprendre le modèle du hamster pour sauver d’autres espèces et adapter l’économie à l’écologie ? Absolument, s’accordent nos interlocuteurs. Cette expérimentation locale est un test concluant de transition collective, que l’on pourrait reproduire à de plus grandes échelles. C’est aussi un précédent juridique inédit, sur lequel s’appuyer. Surtout que, « si on ne change pas nos méthodes agricoles d’ici à 2050, avertit notre doctorant en biologie, on risque une chute de 10 % de rentabilité des terrains ». Ce qui renforce l’intérêt des agriculteur·rices à évoluer.
Voilà ce qui fait de notre boule à poil roux une star écolo. « Le cas du grand hamster prouve que quand on veut, on peut », résume notre interlocuteur de l’OFB. « Comme le panda en Asie, ajoute Timothée Gérard, le grand hamster est en plus devenu un emblème, utilisé pour d’autres espèces protégées. » Un outil de com, renchérit Fanny, une écolo strasbourgeoise. Malheureusement, notre mascotte n’est pas encore sauvée : on ne compte que cinq cents à huit cents rongeurs sur tout le territoire. Mais il nous fallait partager son histoire, pour qu’elle serve aux assos et aux acteurs publics. Go, Hamtaro !
- Apparemment, le grand hamster d’Alsace est un dossier classé « secret défense », puisque quasiment aucune de nos sources n’a souhaité répondre officiellement à nos questions. Drôle d’histoire…[↩]