Chambord, chasse gar­dée de la République

Dans son livre-​enquête, Le Jardin secret de la République, 50 ans d'entre-soi, qui paraît ce 24 sep­tembre aux édi­tions Plon, le jour­na­liste poli­tique Marcelo Wesfreid plonge dans les mys­té­rieux cou­lisses des chasses répu­bli­caines de Chambord, où se réunissent plu­sieurs week-​ends par an de fines gâchettes triées sur le volet.

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© Jon Tyson

Seuls 19% des Français·es sont favo­rables à la chasse, selon un son­dage Ipsos mené en 2018. Au moment où la sai­son des bat­tues bat son plein, une enquête jour­na­lis­tique déto­nante montre à quel point ce loi­sir sert encore de liant diplo­ma­tique entre la République et ses invi­tés. Dans son essai, Le Jardin secret de la République, 50 ans dentre soi (qui paraît ce 24 sep­tembre aux édi­tions Plon) Marcelo Westfreid décrypte les cou­lisses du châ­teau de Chambord où pros­pèrent, depuis le géné­ral de Gaulle, les chasses de la République française. 

Direction le Centre-​Val de Loire, à deux heures de Paris. D’un côté, il y a le châ­teau de François Ier, son magni­fique esca­lier à double révo­lu­tion et ses cars qui viennent déver­ser chaque année leur mil­lion de tou­ristes. De l’autre, sa forêt de 4 400 hec­tares, dont la plus grande par­tie est inter­dite au public. C’est loin des regards indis­crets, que les grands de ce monde se livrent à de fines par­ties de chasse, ici non pas à courre mais avec des fusils.

« Le Who’s Who de la gâchette est un club très mas­cu­lin où les femmes se font rares »

Car ne pénètre pas qui veut dans l’ancien fief de François Ier, domaine de l’État depuis 1930. Une dou­zaine de week-​ends par an, entre sep­tembre et février, une tren­taine de hap­py few déboulent en pan­ta­lons de velours, bottes et Barbour prêts à en découdre avec la faune du coin. Seuls les poli­tiques, les patrons du CAC 40, les hauts fonc­tion­naires, les cham­pions spor­tifs et les membres des sacro-​saintes familles royales euro­péennes peuvent venir s’adonner à ces bat­tues de cerfs et san­gliers dans le plus grand parc clos d’Europe. 

Le secret et la dis­cré­tion sont les maîtres mots des chasses de Chambord. « Pas de publi­ci­té, c’est ultra dis­cret, c’est comme entrer à l’Élysée par la grille du jar­din, raconte un ano­nyme dans le livre de Marcelo Wesfreid. Ce n’est pas dans le domaine que le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner se serait fait gau­ler [sic] comme il l’a été dans une boîte de nuit ! »

Bien qu’elles soient gar­dées secrètes, les iden­ti­tés de quelques hôtes de ces bois fuitent dans le livre. Ainsi, Marcelo Wesfreid évoque « le troi­sième per­son­nage de l’État, Gérard Larcher, le pape des salons de coif­fure, Franck Provost, ou encore l’aventurier éco­lo Nicolas Vanier ». À l’image de ces der­niers, « le Who’s Who de la gâchette est un club très mas­cu­lin où les femmes se font rares », sou­ligne Marcelo Wesfreid. « Comme elles sont moins repré­sen­tées dans les postes à hautes res­pon­sa­bi­li­tés, elles sont, par rico­chet, moins invi­tées aux chasses de la République », ana­lyse Cécile Étrillard, une ancienne des cabi­nets Sarkozy, dans le livre de Wesfreid. 

Les chasses de la République (autre­fois appe­lées « chasses pré­si­den­tielles » ) sont une ins­ti­tu­tion fran­çaise appa­rues sous la Troisième République (1870 – 1940) et orga­ni­sées sur les domaines pré­si­den­tiels de Marly-​le-​Roi et de Rambouillet (Yvelines). C’est le géné­ral de Gaulle qui inau­gure la pre­mière chasse à Chambord, en 1965. Depuis, sous cou­vert de ren­contres diplo­ma­tiques d’une part et de régu­la­tion des espèces d’autre part, les pré­si­dents de la Ve République ont fait pros­pé­rer, avec plus ou moins d’entrain, cette pra­tique héri­tée de la monar­chie. Les chasses pré­si­den­tielles sont offi­ciel­le­ment abo­lies en 2010 par Nicolas Sarkozy. Elles per­durent désor­mais sous le seul nom de « bat­tues de la République ». 

Aujourd’hui, elles ne sont plus direc­te­ment orga­ni­sées par l’Élysée mais par le domaine de Chambord, pour­tant, le lien qui unit le châ­teau et le chef de l’État demeure solide. « Le domaine est sous la haute pro­tec­tion de l’État depuis 2005, indique Marcelo Wesfreid à Causette. Et le com­mis­saire de Chambord est par ailleurs nom­mé par le chef de l’État en Conseil des ministres. » 

Emmanuel Macron, pré­sident des chasseurs

En 2017, le can­di­dat de la rup­ture, Emmanuel Macron, pas contre un petit retour dans le pas­sé, se montre même favo­rable aux retour des chasses pré­si­den­tielles. « Il ne faut pas [en] être hon­teux, il faut les recon­naître comme un élé­ment d'attractivité. C'est quelque chose qui fas­cine par­tout, ça repré­sente la culture fran­çaise », déclare-​il en pleine cam­pagne pré­si­den­tielle le 15 mars 2017, lors de l’assemblée géné­rale de la Fédération natio­nale des chasseurs.

Il faut dire que depuis le début de son man­dat – et même pen­dant sa cam­pagne pré­si­den­tielle -, Emmanuel Macron n’a de cesse de cajo­ler les chas­seurs. C’est donc tout natu­rel­le­ment au châ­teau de Chambord que le pré­sident élu fête ses 40 ans le 16 décembre 2017 et assiste à la fin d’une bat­tue. Un lieu qui n’est pas choi­si au hasard pour Émilie Lanez, auteure du livre, Noël à Chambord (édi­tions Grasset) paru en 2019. Cette der­nière revient sur cette soi­rée orga­ni­sée par Willy Schraen, pré­sident de la Fédération natio­nale de la chasse, Jean d’Haussonville, direc­teur géné­ral du domaine natio­nal de Chambord et Thierry Coste, lob­byiste des chas­seurs. C’est lors du tra­di­tion­nel ban­quet d’après chasse que se serait conclue une alliance entre le chef de l’État et les lob­byistes de la chasse. « Pour la pre­mière fois depuis près dun demi-​siècle [depuis Valéry Giscard d’Estaing, ndlr], un pré­sident de la République par­ti­cipe à un tableau de chasse, où le sang coule dans la terre et la viande gèle », écrit l'auteure. 

Si Emmanuel Macron n’a jamais chas­sé au domaine, un « pacte de Chambord » est donc conclu au grand dam de Nicolas Hulot, ministre de la Transition éco­lo­gique de l’époque, qui démis­sionne du gou­ver­ne­ment le 28 août 2018, au len­de­main d’une réunion à l’Élysée où est pré­sent le pas­sio­na­ria de la chasse Thierry Coste. Dans son opé­ra­tion séduc­tion, le chef de l’État a même concé­dé, en 2018, l’autorisation d’un silen­cieux sur les cara­bines, l’allongement déro­ga­toire de la période de chasse à l’oie, ain­si qu’une grosse ris­tourne sur le coût du per­mis de chasse, de 400 à 200 euros. 

« Les bat­tues du châ­teau de Chambord témoignent dune sur­vi­vance monarchique »

Pour Marcelo Wesfreid, au-​delà de ser­vir les inté­rêts des ama­teurs de chasse et d’en faire un outil d’influence au ser­vice de la France, « les bat­tues du châ­teau de Chambord témoignent dune sur­vi­vance monar­chique », explique-​t-​il à Causette. Le spec­tacle offert à ces puis­sants cour­ti­sans ne se limite d’ailleurs pas au plai­sir de tuer cerfs et san­gliers dans la forêt du domaine. Une fois la chasse accom­plie – et avec plus de 88 cerfs et biches et 1500 san­gliers, peu de chance de ren­trer bre­douille – les invi­tés se retrouvent pour un rituel vieux comme les pierres du châ­teau de Chambord.

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Le Jardin secret de la République,
50 ans d’entre soi,
de Marcelo Wesfreid. Éd. Plon,
208 pages, 17 euros.

Car au fond, rien n’a chan­gé depuis la Renaissance. En 1539, François Ier sor­tait le grand jeu pour accueillir l’empereur Charles Quint à Chambord. C’est aujourd’hui tou­jours ici, devant les dépouilles de san­gliers dépo­sées sur un lit de bran­chages éclai­ré aux flam­beaux que l'Elysée entre­tient ses rela­tions publiques fina­le­ment très pri­vées. C’est ici, sous les sons de cors tra­di­tion­nels, que se lient des deals poli­tiques et des alliances indus­trielles. Et alors que la jour­née san­glante se ter­mine par un dîner aux chan­delles dans la grande salle du châ­teau, où se mêlent grands mets et vins fins dans une belle por­ce­laine, on croi­rait presque aper­ce­voir François Ier à la table de ces sei­gneurs de la gâchette. 


Pendant que les hap­py few tirent à Chambord, des rive­rains luttent contre la chasse à courre à Compiègne

Ce same­di 19 sep­tembre, après une heure trente d’une traque hale­tante dans la forêt de Compiègne (Oise), un cerf à bout de force et accu­lé par un équi­page de chasse à courre trouve refuge dans une zone en construc­tion. Des mili­tants d’Abolissons la véne­rie aujourd’hui (AVA) – qui se sont don­né pour mis­sion de mettre des bâtons dans les pattes des chas­seurs en les confron­tant lors des bat­tues – ain­si que des rive­rains s’empressent alors de pro­té­ger l’animal et de contac­ter les forces de l’ordre. Près de quatre heures après son arri­vée, le cerf peut rega­gner la forêt, sain et sauf. Du côté des veneurs, on ose tout de même se féli­ci­ter dans les colonnes du Courrier Picard, « d’une jolie chasse d’une heure trente ». Un énième accroc qui entache un peu plus cette cruelle tra­di­tion vieille de six cents ans qui vise à épui­ser le gibier à l’aide d’une meute de chien.

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