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Inna Modja au Sahel © Capture d’écran The Great Green Wall

Inna Modja : au Sahel, « la Grande Muraille verte est une solu­tion vitale »

Dans le docu­men­taire The Great Green Wall, en salles depuis le 22 juin, la chan­teuse Inna Modja tra­verse le Sahel à la ren­contre des habitant·es impliqué·es dans un pha­rao­nique pro­jet éco­lo, mécon­nu du grand public : la Grande Muraille verte. Elle raconte à Causette les points les plus mar­quants de son périple.

Vingt pays afri­cains alliés dans l’objectif de déve­lop­per dix mil­lions d’emplois verts, grâce à quelque 8 000 km de plan­ta­tions éco­lo­giques reliant l’Afrique d’est en ouest… Tout ça sub­ven­tion­né par une plé­thore d’ONG, l’ONU, l’Union afri­caine, la Banque mon­diale ou encore l’Union euro­péenne… C’est l’envergure fara­mi­neuse de la Grande Muraille verte. Une ini­tia­tive lan­cée en 2007 au Sahel, pour lut­ter contre la déser­ti­fi­ca­tion et créer un déve­lop­pe­ment éco­no­mique dans la région. Pourtant, ce pro­jet fou a un talon d’Achille : per­sonne, ou presque, n’en a enten­du par­ler. C’est pour­quoi le réa­li­sa­teur Jared P. Scott, avec l’aide de l’ONU, a tour­né un docu­men­taire sur le sujet, The Great Green Wall, en salles depuis le 22 juin. Et c’est une artiste malienne, éco­lo et fémi­niste (que deman­der de plus ?), qui en assure la nar­ra­tion : la chan­teuse Inna Modja. Dans un petit van blanc, on la voit sillon­ner la Grande Muraille et par­tir à la ren­contre des per­sonnes impli­quées dans ces mul­tiples décli­nai­sons locales. Pour Causette, elle revient sur son périple et raconte à quoi res­semble concrè­te­ment la Grande Muraille. 

Causette : Comment avez-​vous décou­vert la Grande Muraille verte, cet immense pro­jet pour­tant si peu connu en Occident ?
Inna Modja : J’en avais enten­du par­ler, mais sans entrer dans les détails. Je pen­sais qu’ils étaient juste en train de plan­ter un mur de ver­dure [les « 8 000 km » de plan­ta­tions, ndlr]. Et il y a trois ans et demi, j’ai été contac­tée par l’ONU, qui m’a pro­po­sé de bos­ser à leurs côtés pour que le pro­jet évo­lue vers quelque chose de concret : le film. Ça m’a tout de suite intéressée.

On résume sou­vent la Grande Muraille verte en la pré­sen­tant comme un « mur végé­tal ». Mais les ONG rap­pellent que cette image est une cari­ca­ture et qu’il s’agit plu­tôt d’une « mosaïque de pro­jets ». À quoi ressemble-​t-​elle en vrai ?
Inna Modja : Cela peut prendre la forme de pota­gers, de plan­ta­tions d’arbres, en fonc­tion des espèces qui vont sur­vivre dans chaque région. Mais il ne s’agit pas sim­ple­ment de reboi­ser. La visée est aus­si éco­no­mique. On va, par exemple, plan­ter de l’acacia pour pro­duire de la gomme ara­bique, une sub­stance uti­li­sée pour pro­duire des sodas. On va plan­ter des « arbres à beurre » pour pro­duire du beurre de kari­té et pou­voir le com­mer­cia­li­ser… Il s’agit aus­si de zones de res­tau­ra­tion de terres dégra­dées, pour que les popu­la­tions puissent s’implanter et se déve­lop­per, plu­tôt que migrer. Et c’est cru­cial. On sait que les gens meurent en Méditerranée, on oublie qu’ils sont des mil­liers à mou­rir dans le désert, faute de pers­pec­tives sur leurs terres… La Grande Muraille a aus­si per­mis de mettre en place des sys­tèmes pour récu­pé­rer l’eau de pluie, en Éthiopie notam­ment, ou d’instaurer des par­te­na­riats entre diri­geants et com­mu­nau­tés locales, pour que les ins­tances de pou­voir res­pectent les savoirs traditionnels.

D’après les échanges que vous avez eus au cours de votre road trip au Sahel, com­ment les com­mu­nau­tés locales voient-​elles le pro­jet ?
Inna Modja : Dans ces zones, 80 % des habi­tants vivent de l’agriculture. La Grande Muraille est donc pour eux une solu­tion vitale, qui répond à de vrais pro­blèmes. En revanche, dans les villes, les gens connais­saient moins le pro­jet. Mais que ce soit à Dakar [Sénégal] ou Abuja [Nigéria], tout le monde est très curieux d’en savoir plus dès qu’on en parle.

D’après l’ONU, la Grande Muraille verte est à 15 % de son abou­tis­se­ment. Y a‑t-​il déjà des résul­tats concrets sur place ?
Inna Modja : La Grande Muraille crée des oppor­tu­ni­tés pour les habi­tants. Je pense à Big Makou, ce jeune qui avait migré et était res­té blo­qué en Libye [il témoigne dans le docu­men­taire]. Il est reve­nu et, aujourd’hui, il a un éle­vage de volailles. Pour don­ner une image plus géné­rale : avant que le pro­jet ne soit véri­ta­ble­ment lan­cé, j’ai vu des gens mélan­ger des sacs de ciment et des écorces de bao­bab pour le par­fu­mer et le don­ner à man­ger à leurs bêtes, tel­le­ment les zones étaient sèches… Après les pre­mières plan­ta­tions de la Grande Muraille, j’ai vu des femmes tra­vailler dans des pota­gers géants au Sénégal, alors qu’elles n’avaient pas de bou­lot avant. C’est deve­nu leur gagne-​pain. Quand j’y retour­nais au fil des années, je les trou­vais tou­jours aus­si motivées.

La Grande Muraille verte est-​elle aus­si un outil d’émancipation pour les femmes ?
Inna Modja : Grâce à ces dif­fé­rents pro­jets, on les voit prendre une place. C’est réjouis­sant ! Les acti­vi­tés de pota­ger, de plan­ta­tion, sont véri­ta­ble­ment par­ta­gées. J’ai vu autant de femmes que d’hommes y par­ti­ci­per. Les jeunes filles, en par­ti­cu­lier, sont très investies.

Qu’est-ce qui vous a le plus mar­quée pen­dant ces mois de tour­nage ?
Inna Modja : Pendant long­temps, je pen­sais que les réfu­giés venaient pour des rai­sons éco­no­miques. Mais non. C’est une ques­tion de sur­vie liée au chan­ge­ment cli­ma­tique. On est très igno­rants face à ce sujet. C’est pour ça que toute une par­tie du film montre les gens qui fuient vers l’Europe. Cela per­met­tra peut-​être d’arrêter de voir les migrants qui arrivent chez nous comme des « para­sites » et de com­prendre que nos modes de vie, ici, ont une réper­cus­sion sur la leur. Plus glo­ba­le­ment, la force de carac­tère des per­sonnes qui se donnent à fond pour la Grande Muraille, qui prennent les choses en main, se battent pour avoir un tra­vail, ça m’a bou­le­ver­sée. Je pen­sais que j’étais rési­liente [Inna Modja a été vic­time d’excision lorsqu’elle était enfant. Adulte, elle a béné­fi­cié d’une chi­rur­gie répa­ra­trice. Elle milite depuis contre les vio­lences faites aux femmes]. J’ai en fait réa­li­sé que j’avais beau­coup à apprendre d’eux. À chaque fois que je finis­sais un voyage, je me disais : « Je ne me plain­drai plus jamais de rien ! » Ça donne la niaque.

À notre échelle, que peut-​on faire pour sou­te­nir le pro­jet ?
Inna Modja : Je ne peux pas vous dire « ce qu’il faut faire ». Chaque per­sonne peut déjà per­son­na­li­ser son enga­ge­ment au quo­ti­dien, faire des petits gestes. Le site de la Grande Muraille offre dif­fé­rentes solu­tions pour ça. Personnellement, je recycle, j’achète équi­table, je suis végé­ta­rienne, je m’intéresse aux coopé­ra­tives d’artisans et de femmes, pour encou­ra­ger les savoir-​faire locaux, j’évite les marques de fast fashion, dont les tein­tures pol­luent les rivières… Ce n’est pas direc­te­ment lié à la Grande Muraille, mais ça va dans le sens du green power. Sinon, je dirais aus­si que par­ta­ger l’histoire du film est impor­tant. Les per­sonnes qui s’y racontent créent de la com­pas­sion et per­mettent de mieux com­prendre les enjeux sur place. Le pro­jet n’est pas encore assez connu du public. En en par­lant, on peut deve­nir un moyen de pres­sion auprès des ins­ti­tu­tions et de nos lea­ders pour que les choses avancent.

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