3 Rugile Barzdziukaite Vaiva Grainyte Lina Lapelyte Sun Sea Marina opera performance Biennale Arte 2019 Venice © Andrej Vasilenko
Sun & Sea (Marina), œuvre exposée au pavillon lituanien à la 58e édition de la Biennale de Venise.© Andrej-Vasilenko

L'art éco­lo­gique pour faire res­sen­tir l'urgence climatique

Apprendre qu’un million d’espèces animales et végétales sont menacées n’a pas suffi aux pays réunis lors du G7 environnement, début mai, à Metz (Moselle), à fixer des objectifs chiffrés. Cela ne nous a pas fait non plus abandonner smartphones et voitures polluantes. Et si une peinture, un roman ou un film pouvaient provoquer un déclic vert ?

Entre le photomontage d’une baleine bondissant hors de l’eau devant Tokyo polluée, signé par l’artiste Yannick Monget, et l’alarmant rapport de l’IPBES * sur la biodiversité, concluant à « un million d’espèces menacées de disparition », remis lors du G7 environnement début mai, on s’attend spontanément à ce que ce soit le pavé scientifique qui fasse plus volontiers rougir nos dirigeants. Pourtant, lors des discours officiels, aucune repentance : ministres et diplomates énumèrent leurs bonnes intentions pour la planète et vantent les mesures – non contraignantes – qu’ils viennent de signer. Devant l’image du cétacé, en revanche, c’est une autre affaire. L’œuvre devait être affichée parmi quinze autres toiles en coulisses des négociations, dans le bâtiment des diplomates. « Mais le ministère m’a suggéré de ne pas exposer ce visuel-là, raconte l’artiste, pour éviter de froisser le Japon. » Car, oui, comme le dénonce cette image, il s’agit bien de l’un des derniers pays à chasser la baleine, en voie d’extinction. À croire qu’une photo artistique risque plus d’offusquer les États braconniers qu’un bilan chiffré catastrophique, adoubé par l’ONU. 

Force de persuasion

Même artiste, autre réaction. Interrogé par Causette, à la suite du G7, sur ­l’impact de ses œuvres, Yannick Monget s’émerveille du retour de Catherine, l’une de ses lectrices (car il est aussi écrivain) : convaincre son paternel, ancien du Commissariat à l’énergie atomique, de l’urgence environnementale était peine perdue pour cette écolo convaincue. Arguments et débats n’y faisaient rien. En bon physicien, son père « croyait au progrès de la science, raconte aujourd’hui Catherine, et promouvait, par exemple, l’enfouissement des déchets nucléaires à Bure ». Un jour, elle lui glisse un conseil de lecture, Résilience, publié en 2016 par Yannick Monget. Dans ce thriller écologique, des petits génies de l’infor­matique piratent une centrale et provoquent des accidents atomiques en chaîne. Déclic. « Depuis, il vote écolo. » Le père de Catherine, les diplomates du G7 : deux preuves que, là où la science ne suffit pas à faire (ré)agir dirigeants et citoyens, l’art nous pique au vif et peut nous ouvrir les yeux. 

La comparaison est vite faite. « Il nous faut entre 2 et 4 secondes pour rejeter ou embrasser une œuvre d’art lorsque l’on est devant », affirme le neurologue spécialiste de l’art Pierre Lemarquis. Autrement plus efficace que les rapports scientifiques. Mais surtout, « les œuvres nous modifient de l’intérieur. Quand nous lisons un roman, notre cerveau travaille comme si nous étions l’un des personnages. Quand nous écoutons de la musique, il chante. Et quand nous voyons une chorégraphie, il danse ». Voilà pourquoi l’art écologique peut nous faire ressentir l’urgence climatique beaucoup plus profondément que des informations ou des chiffres bruts.

Sauce écolo, cela donne, par exemple, les corps lascifs, dégoulinants sur leurs serviettes de bain, présentés en ce moment par trois artistes lituaniennes à la Biennale de Venise (photo page ci-dessus), histoire d’alerter sur le changement climatique. Ou Les Quatre Saisons, de Vivaldi, version canicule. Idée du musicien italien Daniele Orlando pour traduire en musique l’impact de la crise environnementale sur les saisons, dans le célèbre concerto de violons.

Après la compréhension, l’action. L’étincelle produite par les œuvres d’art, renchérit Sebastian Dieguez, docteur en neuroesthétique, « active des parties du cerveau qui nous mobilisent davantage ». Si une œuvre joue, par exemple, sur le sentiment de panique – comme Soleil Vert (1973), film catastrophiste sur l’épuisement des ressources –, « elle excite nos amygdales et active le corps », de sorte à nous faire agir. « C’est comme si vous voyez un ours dans la forêt, explique-t-il. Vous fichez le camp avant de comprendre si c’est bien un ours ou pas. » C’est dans ce sentiment de vertige que Yannick Monget a trouvé sa première inspiration artistique. Il dit avoir été sensibilisé à l’écologie après avoir lu Ravage, de René Barjavel. Considéré comme un classique de la science-fiction (1943), ce roman imagine une France futuriste anéantie par la course au progrès. Et, pour enfoncer le clou, ponctue Sebastian Dieguez, l’art « a des effets plus profonds sur la mémoire ». Utile pour éveiller durablement les consciences.

Art-ctivisme

Alors, pour gagner en impact, scientifiques et militants lâchent leurs tracts jargonnant pour se mettre à l’art vert. En témoigne la multiplication des happenings, prisés par les mouvements écolos. Spécialistes en la matière : l’association Extinction Rebellion, qui a déversé 300 litres de faux sang sur les marches du Trocadéro, à Paris, le 12 mai, pour « alerter sur les millions de morts, humaines et animales, présentes et à venir, de la catastrophe écologique ». La tendance peut aller plus loin. C’est le cas de Marion Laval-Jeantet, artiste du mouvement Bio-Art, qui s’est fait transfuser du sang de cheval en 2011, dans l’idée de vivre un peu dans la peau de l’équidé et, on le déduit, montrer qu’hommes et animaux sont égaux.

En témoigne, aussi, la création du Prix du roman de l’écologie, en 2018. « On se rendait compte que les mots de l’écologie paraissaient dogmatiques, qu’ils étaient pris pour des injonctions, rapporte Rémi Baille, secrétaire du prix. Il fallait donc en revenir à ceux de la littérature, pour sensibiliser. » Plutôt que parler étalement urbain ou émission de CO2 dans les métropoles, « on sent dans la littérature de cette année un besoin de retour au terroir pour parler des problématiques de la ville ». Le lauréat 2019, Serge Joncour, raconte l’air pur et dénué d’ondes 4G du Lot dans Chien-loup. En revenir au plus sauvage, au plus sensoriel et au plus simple : la puissance des œuvres d’art a, en soi, quelque chose d’écolo. U 

* IPBES : Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques.

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