HS11 jane goodall 1
Jane Goodall en compagnie d’Uruhara au sanctuaire des chimpanzés de Sweetwaters, au Kenya, en 1996. © Michael Neugebauer

Jane Goodall : pri­mate donna

L’iconique pri­ma­to­logue par­court la pla­nète depuis des décen­nies pour ten­ter de la sau­ver. Entre deux voyages, elle fête­ra en 2020 les 60 ans du sanc­tuaire qu’elle a fon­dé à Gombé, en Tanzanie. Le lieu de la plus longue étude jamais effec­tuée sur les chim­pan­zés sau­vages. Elle par­ti­ci­pe­ra éga­le­ment à plu­sieurs films et sera l’héroïne d’une nou­velle col­lec­tion de livres jeunesse*. 

Elle sait dire « bon­jour » en langue chim­pan­zé. C’est l’un de ses savoirs les plus spec­ta­cu­laires, mais ça n’est pas le plus puis­sant. La force de Jane Goodall est sans conteste sa déter­mi­na­tion. Il en fal­lait lorsqu’elle débar­qua en Tanzanie dans les années 1950, sans bagage scien­ti­fique, pour accom­plir son rêve : étu­dier les singes et vivre par­mi eux. Aucun zoo­lo­giste ne l’avait fait. Elle réus­sit à convaincre, obtient une mis­sion et, se fiant à son ins­tinct, par­vient au bout de longs mois à se faire accep­ter par les pri­mates. C’est ain­si qu’elle repère un chim­pan­zé qui uti­lise une tige pour attra­per des ter­mites (son déjeu­ner) au fond de leur trou. Jusque-​là, il était admis que l’outil était le propre de l’Homme. Sa décou­verte remet donc en ques­tion la défi­ni­tion de l’être humain. Une révo­lu­tion scientifique. 

À 85 ans, Jane Goodall côtoie désor­mais davan­tage de célé­bri­tés que de singes. On peut pen­ser qu’elle le regrette par­fois. Mais elle a choi­si, depuis quelques dizaines d’années, de par­cou­rir le monde pour sau­ver la pla­nète. Elle voyage 300 jours pas an et mul­ti­plie les confé­rences pour faire évo­luer les men­ta­li­tés. Avec le Jane Goodall Institute, elle a créé des sanc­tuaires pour ani­maux, des centres de pla­ni­fi­ca­tion fami­liale, des aides au micro­cré­dit et, sur­tout, le pro­gramme Roots & Shoots, pour sen­si­bi­li­ser les jeunes à l’écologie. C’est sa mis­sion, son com­bat, sa der­nière volon­té. Au jour­nal Le Monde, elle décla­rait en août : « Les jeunes sont la prin­ci­pale rai­son de mon opti­misme. Ce n’est pas qu’ils peuvent chan­ger le monde. Ils sont en train de chan­ger le monde. » 

Causette a ren­con­tré quelques-un·es de ses com­pa­gnons de route, qui dressent d’elle un por­trait sen­sible. Nous aurions aimé avoir le sen­ti­ment de ses chers chim­pan­zés, mais ils n’ont pas sou­hai­té répondre. Ce sont, comme elle, des êtres réservés. 

*À paraître au prin­temps aux édi­tions L’Avion de papier. Le pre­mier album por­te­ra sur les décou­vertes de Jane à Gombé, en Tanzanie.

HS11 jane goodall 2
Dans la réserve de Tchimpounga, en République du Congo, avec la res­pon­sable
du Jane Goodall Institute dans le pays, Rebeca Atencia, en 2015. © Jane Goodall Institute

Cyril Dion

Écrivain, réa­li­sa­teur et mili­tant éco­lo­giste, il a fil­mé Jane Goodall pour son pro­chain film. 

« J’ai ren­con­tré Jane plu­sieurs fois et, tout der­niè­re­ment, pour lui par­ler de mon pro­chain film, Animal, auquel elle par­ti­cipe. Quand on lui a pré­sen­té notre scé­na­rio, elle a tout de suite poin­té les sujets qu’on n’avait pas assez creu­sés. Et elle avait rai­son. Elle est remar­quable pour ça, pour son acui­té, sa viva­ci­té et son enthou­siasme. En revanche, quand elle n’est pas d’accord avec quelqu’un – je l’ai déjà vue à l’œuvre –, elle reste digne, elle dégage une auto­ri­té très calme, mais je peux vous dire que la per­sonne en face est dans ses petits souliers ! 

« Nous par­ta­geons la même envie de trans­mettre »

Nous par­ta­geons la même envie de trans­mettre aux jeunes géné­ra­tions. Elle s’est don­né une mis­sion : par­cou­rir le monde pour convaincre. On sent qu’elle est tota­le­ment inves­tie, qu’elle ne veut pas déro­ger, même un seul jour. Pourtant, elle a déjà tant appor­té au cours de sa vie. C’est l’une des pre­mières à avoir eu l’intuition que l’être humain n’était pas le seul à avoir une culture. Une des pre­mières à nous avoir rap­pro­ché des ani­maux. 
Parfois, j’ai envie de lui dire : “Mais Jane, plu­tôt que de pour­suivre cette quête épui­sante, pour­quoi ne pas lâcher un peu, écrire, com­mu­ni­quer plus sim­ple­ment ?” Mais j’ai l’impression qu’elle est comme prise au piège d’un ser­ment qu’elle s’est fait à elle-​même, hyp­no­ti­sée par son but. Elle mour­ra à la tâche. »

Le film Animal, de Cyril Dion, aborde la sixième extinc­tion mas­sive des espèces. Sortie pré­vue à l’automne 2020.

Françoise Brown

Bénévole au Jane Goodall Institute France et res­pon­sable de la région Sud, elle côtoie la pri­ma­to­logue depuis des années.

« C’est en Italie que j’ai ren­con­tré Jane Goodall la pre­mière fois. Elle visi­tait un centre de soins pour des chim­pan­zés récu­pé­rés dans des cirques, à Bologne. Moi-​même pas­sion­née par les singes, je fai­sais par­tie du pro­jet. J’ai été très impres­sion­née par son contact avec les ani­maux. Ils étaient plu­sieurs dans une cage, elle est allée vers eux, mais sans leur par­ler. Elle les a regar­dés cal­me­ment et elle a mis sa main sur le grillage. Le chim­pan­zé le plus proche est tout de suite venu poser sa main contre la sienne. Ils sont res­tés comme ça un moment, paume contre paume, tou­jours sans un bruit. J’en avais des frissons.

« Elle ne détourne pas les yeux des catas­trophes »

Cette pre­mière ren­contre a été un coup de foudre ami­cal ! J’ai com­men­cé à suivre son tra­vail, à pro­mou­voir ses actions, on s’est revues de nom­breuses fois. Je l’ai invi­tée chez moi, en Provence. Elle est pleine d’attention. Elle m’envoie tous les ans une carte de vœux avec un des­sin de mon chien. Elle les adore et le mien ne la quit­tait pas ! Le soir, on s’installait sur la ter­rasse avec une bou­teille de whis­ky et on bavar­dait. On par­lait beau­coup de l’Afrique, d’écologie, de la pau­vre­té qui avance. En pri­vé, je ne dirais pas qu’elle est pes­si­miste, mais elle est très réa­liste. Elle ne détourne pas les yeux des catas­trophes. Elle parle peu d’elle, mais elle évoque par­fois sa mère, qu’elle remer­cie tou­jours de l’avoir sou­te­nue à ses débuts. »

HS11 jane goodall 3
La cher­cheuse a été recon­nue mes­sa­gère de la paix par le secré­taire des Nations unies,
Kofi Annan, le 16 avril 2002. © UN Departement of Information

Marie-​Claude Bomsel

Docteure vété­ri­naire, pro­fes­seure au Muséum 
natio­nal d’histoire natu­relle, elle a travaillé 
à plu­sieurs reprises avec sa consœur.

« J’ai ren­con­tré Jane Goodall plu­sieurs fois, tou­jours dans des cir­cons­tances pro­fes­sion­nelles, mais avec tout de même une cer­taine com­pli­ci­té. Nous sommes pri­ma­to­logues toutes les deux, elle a tra­vaillé avec les chim­pan­zés, moi avec les orangs-​outans. Curieusement, quand on se ren­contre, nos repères s’inversent : par­lant mal anglais, je mime beau­coup, avec énor­mé­ment de mimiques faciales, comme les chim­pan­zés. Pour me com­prendre, Jane me regarde, concen­trée, immo­bile, tels les orangs-outans. 

« Elle me fait pen­ser à la reine d’Angleterre »

Je dois dire qu’à mes yeux, elle est avant tout… anglaise. Elle me fait pen­ser à la reine d’Angleterre : der­rière un per­son­nage public impres­sion­nant – Jane est une appa­ri­tion ico­nique sur scène – se cache un per­son­nage pri­vé très dif­fé­rent, plus prag­ma­tique, et bour­ré d’humour (anglais, bien sûr). J’ai tout de suite sen­ti chez elle la marque des gens qui ont vécu avec des ani­maux sau­vages, c’est-à-dire quelqu’un qui sait faire face. Moi-​même j’ai été confron­tée seule à des groupes de babouins et je vous assure que je n’en menais pas large ! Or, il faut, comme les ani­maux eux-​mêmes, savoir res­ter digne en toutes cir­cons­tances. Ne pas mon­trer ses fai­blesses, pour ne pas être reje­té du groupe. Ça néces­site beau­coup de cou­rage. Jane Goodall en a eu énor­mé­ment dès ses débuts, quand elle s’est lan­cée seule par­mi les chim­pan­zés. 
Une autre de ses qua­li­tés, qui vient peut-​être aus­si de ces expé­riences, c’est son don d’observation. Quand elle entre dans une pièce, elle regarde d’abord chaque per­sonne. Et je pense qu’elle fait comme moi, comme tous les étho­logues : elle coupe le son. C’est une habi­tude très utile, on regarde uni­que­ment les mimiques, les pos­tures, tout ce qui relève de la com­mu­ni­ca­tion non ver­bale. Et on en apprend beau­coup, je vous assure ! » 

Frotiane Brisotto

Réalisatrice, elle a sui­vi Jane Goodall pen­dant plu­sieurs mois pour un film sur Roots & Shoots, son pro­gramme éducatif. 

« J’ai ren­con­tré Jane au châ­teau de Windsor, dans sa mai­son à l’arrière du palais. La reine d’Angleterre, qui la connaît bien, la lui prête pour ses actions. C’est là que s’est tenue la ren­contre annuelle de Roots & Shoots. Les délé­gués du monde entier étaient pré­sents, sub­ju­gués. Jane est très impres­sion­nante. J’ai par­fois la sen­sa­tion qu’elle vient d’une autre pla­nète, elle dégage une sorte d’aura. On sent qu’elle est en mission. 

« On sent qu’elle est en mis­sion »

Pour le tour­nage de notre film, nous l’avons sui­vie en Chine, à New York, à Taïwan, en France, en Tanzanie… elle saute d’un avion à l’autre, déter­mi­née, mais, même pour moi, qui n’ai pas 85 ans, c’est épui­sant ! Je lui ai deman­dé d’où lui venait cette résis­tance. “Je me nour­ris de l’énergie de tous ceux qui donnent”, explique-​t-​elle. Et on com­prend quand on la voit dans ses confé­rences. Les gens viennent vers elle, incroya­ble­ment émus, les larmes aux yeux. C’est très inti­mi­dant. Elle parle devant des mil­liers de per­sonnes et elle se rend tou­jours com­pré­hen­sible par tous, même par les plus jeunes. Malgré cette aura, elle reste humaine ! Une fois, alors qu’elle allait com­men­cer une réunion très impor­tante avec un cercle pri­vé d’investisseurs, elle est pas­sée devant moi. J’étais ten­due, j’avais le trac pour elle… elle m’a tiré la langue et est entrée dans la pièce en souriant ! » 

Le film sur le pro­gramme Roots & Shoots, de Floriane Brisotto et Pascal Sarragot, sera dif­fu­sé à la télé­vi­sion cou­rant 2020. 

Partager
Articles liés

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.