Que reste-t-il des 149 propositions des citoyen de la Convention climat dans la loi présentée mercredi 10 février par Emmanuel Macron en conseil des ministres ? Peau de chagrin, si on considère que seules 46 propositions (soit 30 %) ont été retenues et que parmi elles, une bonne part ont été édulcorées. Mais le combat est loin d'être terminé, veut croire Grégoire Fraty, l'un des 150 citoyen·nes tiré·es au sort, et co-fondateur de l'association Les 150, qui souhaite poursuivre le travail amorcé par la Convention. Ce Normand de 32 ans, qui travaille dans l'insertion professionnelle, vient d'ailleurs de faire paraître un livre sur l'expérience de la Convention, Moi, citoyen, aux éditions First. Interview d'un optimiste.
Causette : Le président Macron avait promis de porter sans filtre les propositions de la Convention citoyenne pour le climat. Êtes-vous déçu par le projet de loi présenté hier ?
Grégoire Fraty : On peut voir le verre à moitié vide ou à moitié plein. Le fait est qu'on n’a jamais eu de loi climat aussi vaste sur la table, qui touche autant au quotidien des gens avec autant de milliards derrière. Je suis par contre un peu déçu malgré tout des ambitions affichées, la plupart des mesures retenues ont été rabotées. Nous voulons plus et nous avons besoin de plus. Nous espérons que les parlementaires iront plus loin que le projet de loi lorsqu'ils devront en débattre.
Tout de même, le président s'est dédit de sa promesse, alors que c'était lui qui avait convoqué cette grande expérience de démocratie participative inédite. Vous sentez vous floué ?
G.F. : Floué, c’est un bien grand mot pour des citoyens qui n’ont qu'une mince légitimité car ils n'ont pas été élus mais tirés au sort. On nous a demandé de faire des propositions, et oui, je suis triste que certaines aient été recalées, mais il ne nous appartenait pas de voler la légitimité du politique. Ils ont eu le courage de venir nous chercher – il faut l’assumer, de mettre 150 citoyens dans sa chaussure, c’est plutôt un gros cailloux – c'est maintenant à eux d'assumer la suite qu'ils donneront à nos propositions.
Le travail politique de rabotage ou de peinture verte fait par la suite ne doit rien enlever à l’engagement citoyen, qui a été une expérience fantastique. Cette implication citoyenne permet malgré tout de donner à la société civile 149 mesures. Même si le gouvernement ne les retient pas toutes, on voit bien que l’ensemble de la société civile – asso ou autres partis – s’en empare, nous avons donc servi à quelque chose. Ces propositions rejetées par la loi climat restent sur la table pour alimenter le débat, peut-être même les futurs programmes des candidats aux régionales ou à la présidentielle. Tout n’est pas perdu.
Finalement, vous prenez plutôt bien le réalisme politique auquel vous faites face après neuf mois de durs travaux.
G.F. : Avec cette aventure, on touche complètement du doigt la realpolitik, le pragmatisme à son paroxysme. Parfois pour des bonnes raisons : je suis obligé d'entendre ce que les décideurs disent du contexte sanitaire et économique. Parfois il est vrai, pour des raisons de boutiques, de lobbies.
Durant ces neufs mois de convention, on s'est rendu compte des difficultés à opérer des changements nécessaires à la lutte contre le réchauffement climatique, mais on a aussi vu que ce n’était pas impossible et que les blocages sont souvent de posture plus que de faisabilité – nos propositions sont exigeantes mais réalistes.
"Durant les discussions autour du futur projet de loi, pour la première fois il y avait les citoyens entre les ministres et les lobbies. Quel soulagement !"
Grégoire Fraty
Une enquête très éclairante de Bastamag montre comment les lobbies industriels et commerciaux sont intervenus lors des arbitrages politiques pour détricoter vos ambitions. Mesuriez-vous leur poids ?
G.F. : Je fais partie des citoyens qui ont été agréablement surpris du fait que pendant ces neuf mois de Convention, on a été laissés tranquilles par les lobbies. Ils ne nous ont pas pris au sérieux et tant mieux, car cela nous a protégés de leurs attaques. Quand ils ont commencé à chercher à entrer en contact avec nous après la session de juin 2020 à l’Elysée, je leur ai dit "moi je peux vous écouter mais de toute façon c’est trop tard, j'ai rendu mes propositions."
Après, on a vu leur influence auprès du gouvernement durant la préparation du projet de loi. On a dû se battre pied à pied, on a perdu des arbitrages, on en a gagné d’autres. Il y a eu des sessions sur l’aérien, notamment, où trois citoyens de la convention étaient confrontés à 50 représentants de l’aéronautique. C'est sûr que ce n'est pas facile de défendre nos mesures dans un tel cadre. Mais on avait l’esprit léger car nous ne pouvions plus être influencés. Et pour la première fois, il y avait les citoyens entre les ministres et les lobbies. Quel soulagement ! On était là pour rappeler autre chose que les habituelles litanies des représentants d'intérêt, sans avoir rien à vendre.
De quelle manière ces lobbies ont-ils cherché à vous atteindre après juin ?
G.F. : Ils sont venus voir l’asso qu’on venait tout juste de créer pour défendre nos propositions en demandant à nous rencontrer. “On est la CGT ou le Medef, on veut savoir ce que vous faites et discuter de vos mesures”, ce genre de choses.
"Notre association défend cet objet démocratique qu'est la Convention citoyenne, qui pourrait être utile sur de nombreux sujets de société, comme les retraites, la fin de vie, ou le cannabis par exemple."
Grégoire Fraty
C'est vous-même qui avez cofondé en juin cette association, Les 150. Dans quel but ?
G.F. : C'est une initiative qui n’avait pas été envisagée par le gouvernement et qui les a étonnés, mais qui est pour nous une façon de garder notre voix indépendante et continuer à suivre nos travaux. On ne leur a pas demandé leur avis mais c'est le fait qu’on se constitue en asso qui nous a permis d’être à la table des arbitrages. Et c'est un véritable succès : nous sommes 130 parmi les 150 à l'avoir rejointe !
Ses missions, ce sont suivre le devenir de nos mesures, les défendre devant les décideurs, les expliquer et permettre leur diffusion dans la société. Mais c'est aussi promouvoir d’autres conventions citoyennes. On défend cet objet démocratique qui pourrait être utile sur de nombreux sujets de société, comme les retraites, la fin de vie, ou le cannabis par exemple.
Que pensez-vous de la Concertation citoyenne sur le vaccin contre le covid, pour lequel trente personnes ont été tirées au sort ?
G.F. : La méthodologie est très différente. Ce ne sont pas 150 citoyens réunis dans une commission indépendante mais 30 citoyens associés aux membres du CESE [Conseil économique, social et environnemental, ndlr].
Dans l’idée, je ne trouve ça jamais idiot de demander leur avis à des citoyens. Les sphères politiques, scientifiques et citoyennes ont été pendant trop longtemps déconnectées. Les travaux de la Convention climat ont prouvé que les citoyens pouvaient apporter du bon sens dans la prise de décision. Ce que j’aime dans ces nouvelles formes d'exercice de la démocratie, c’est qu’on donne du temps au citoyen pour se faire son avis éclairé. On lui fait rencontrer des experts pour qu'il produise un avis éclairé. Il ne s'agit pas d'un sondage dans lequel on l'appelle et le presse de donner une opinion et au bout de dix minutes il a donné son avis sur des sujets qu'il ne maîtrise pas forcément.
"Avec la Convention climat, on a réussi à faire consensus là où les politiques vivent par le dissensus."
Grégoire Fraty
Ce qui est intéressant dans l'expérience que vous avez vécue, c'est que ces 150 citoyens n'étaient pas tous convaincus d'un péril écologique. A l'appui des expertises, vous en êtes pourtant tous tombés d'accord…
G.F. : Exactement. Le sdf, le chirurgien, le retraité, l’agriculteur, le cadre ont réussi à faire ce grand écart auquel ne parviennent pas les politiques. La personne qui gagne très bien sa vie et la personne en très grande précarité se sont retrouvées d’accord sur les efforts communs à mener sur le climat. On a réussi à faire consensus là où les politiques vivent par le dissensus. C'est ce que je développe dans mon livre, comment nous avons réussi à nous mettre d'accord.
N'existe-t-il pas la possibilité d'une dérive populiste, à considérer l'existence d'un citoyen qui aurait par nature du bon sens, contrairement à un élu ?
G.F. : Il ne s’agit pas de dire que le citoyen a toujours raison mais de lui donner l’espace institutionnel pour qu’il puisse s’exprimer. Nombre d'entre nous ne votions plus, on n’était pas tous engagés. En nous mettant dans la machine, on a sorti des propositions soutenues par beaucoup de gens, qui ne croyaient pas forcément en la démocratie représentative actuelle. Moi, ça me rassure démocratiquement parlant : on a réussi à produire quelque chose de beau.
Quand j'ai été tiré au sort, j’ai dit oui par civisme. Le climat, je m’en fichais un peu. La Convention climat a été une manière de prendre au jeu ceux qui disent qu’on ne les écoute pas en leur proposant de s'investir. Cela marche puisqu’on est 130 à vouloir continuer à avancer ensemble et à prendre sur notre temps perso, nos weekends, nos soirées, pour le bien collectif. On continue le travail de fourmi à rencontrer élus, experts, associations, sur du temps citoyen. C’est l’inverse du populisme.
Vous avez été, lors d'une séance à l'Elysée en décembre, celui qui a arraché au président un "oui" quant au référendum pour faire inscrire dans la Constitution la protection de l'environnement. Le parcours législatif sera complexe et long, car le texte devra être voté dans les mêmes termes par l’Assemblée nationale et le Sénat avant d'être soumis au peuple. Y croyez-vous ?
G.F. : Oui, le parcours s'annonce très long et très compliqué mais on ne lâchera pas sur les termes. Nous, les 150, avons eu la chance d’avoir un moment d’information sur le climat et nous nous battrons pour que l’ensemble des Français aient le même. La campagne médiatique qui précèdera le référendum en sera l'occasion. De notre côté, on essaiera de convaincre les parlementaires les plus réticents, je ne suis pas un pessimiste.
Ça, nous l'avions compris. Dans les propositions retenues, laquelle vous tient le plus à cœur ?
G.F. : J’aime beaucoup celle sur l’éducation à l’environnement, parce que c’est une manière de sensibiliser dès l’école. Avec la Convention, nous n'avons pas réfléchi pas qu'en termes de contraintes et de nouvelles taxes mais sur de l’accompagnement pour une transformation systémique de la société.
J’aime beaucoup aussi l’interdiction de location des passoires thermiques [prévue dans le projet de loi pour 2028, ndlr], parce que c’est une mesure climatique ET de justice sociale. Nous avons rencontré tellement de locataires qui paient 300 euros par mois pour se chauffer ou n’y arrivent tout simplement plus, alors que c’est au propriétaire de faire ces aménagements.
Laquelle des propositions qui ne figure pas dans le projet de loi regrettez-vous le plus ?
G.F. : Elle est présente mais vraiment a minima : c’est celle sur la régulation de la publicité, limitée dans le projet de loi à la seule interdiction des réclames sur les hydrocarbures. Je considère vraiment que sur cette mesure, le gouvernement n’est pas allé assez loin, alors qu'elle ne coûte rien aux Français. On demandait juste aux industriels de revoir la façon dont ils conçoivent leurs publicités, comme on l’a fait pour l’alcool, le tabac ou les jeux d'argent. On voulait faire interdire les publicités pour les produits les plus polluants. Nous espérons que les parlementaires fassent mieux.
Cette aventure a‑t-elle transformé votre rapport personnel à l’écologie ?
G.F. : Je ne suis pas devenu vegan, je n’ai pas de toilettes sèches. A côté de ça, je fais attention à pas mal de choses : plus de bouteilles en plastique mais une gourde, une location en Bretagne pour les vacances plutôt que mon objectif de visiter toutes les capitales d'Europe en avion… Je m’améliore sur la consommation des produits locaux, j’essaie de me poser pas mal de questions sur comment réduire mon empreinte carbone, et elle s’améliore.
Cherchez-vous à convertir vos proches ?
G.F. : Je n’aime pas trop ce mot parce que l’écologie n’est ni une idéologie ni une religion. Je vois qu'autour de moi, ces principes se diffusent, mais ce n’est pas que l'effet Convention, c’est aussi l’air du temps. L’écologie est devenu l’un des sujets principaux dans la vie de beaucoup de gens, comme le prouve la vague verte des municipales.
![Grande interview : Grégoire Fraty, de la Convention citoyenne pour le climat, ne veut rien lâcher 2 9782412065471 1](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2021/02/9782412065471-1-637x1024.jpg)
Moi, citoyen. L'aventure de la Convention citoyenne pour le climat vue de l'intérieur, de Grégoire Fraty, chez First.
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