Une coalition composée d'ONG environnementales et de collectivités, dont Paris et New York, demande à la justice de contraindre TotalEnergies à aligner sa stratégie climatique sur les objectifs fixés par l’accord de Paris.
Cinq jours après s’être confronté à des dizaines de militant·es écologistes lors de son assemblée générale à Paris, TotalEnergies se confronte cette fois à la justice. La multinationale française de l’énergie comparait ce mercredi 31 mai devant la 5e chambre civile du tribunal judiciaire de Paris pour « inaction climatique ».
Une coalition qui regroupe six ONG environnementales françaises, dont Sherpa et France Nature Environnement, ainsi que seize collectivités, dont les villes de Paris, Grenoble, Bayonne ou Nanterre, mais aussi la ville américaine de New York, demande à la justice française de contraindre TotalEnergies à aligner sa stratégie climatique sur les objectifs fixés par l’accord de Paris en 2015. Avec cette procédure, les ONG et les collectivités espèrent ainsi obtenir la même sanction infligée à l'entreprise Shell aux Pays-Bas. Le géant pétrolier britannique avait été condamné en 2021 par la justice néerlandaise a accélérer son plan de réduction de gaz à effet de serre.
Une décision attendue en 2024 ou 2025
En ce qui concerne TotalEnergies, « l’audience d’aujourd’hui portera non pas sur le fond, mais sur la forme », a indiqué l’un·e des avocat·es de la coalition, Me François de Cambiaire, auprès de franceinfo. En clair, il s’agira pour chacune des parties de plaider ses arguments quant aux exceptions de procédure et fins de non-recevoir soulevées par TotalEnergies. « L'enjeu est triple : on va défendre l'effectivité du devoir de vigilance, sur laquelle on attend une décision ferme ; on va aussi plaider la recevabilité des collectivités territoriales pour que ce type de contentieux puisse prospérer ; et on va aussi demander des mesures conservatoires provisoires », a ainsi expliqué François de Cambiaire auprès de franceinfo.
Et en ce qui concerne le fond, la décision des juges n’est pas attendue avant 2024 ou 2025. C’est pourquoi la coalition demande à la justice de prendre des mesures provisoires exceptionnelles : « La suspension des nouveaux projets pétroliers et gaziers, à savoir l’exploration de nouvelles réserves d’hydrocarbures et l’exploitation de nouveaux champs » et « la mise en place de toutes les mesures nécessaires pour réduire les émissions de gaz à effet de serre liées aux activités mondiales de la pétrolière, afin de conserver une chance de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C, conformément à l’Accord de Paris ».
Procédure complexe
Il s’agit là d’une première audience d’une procédure complexe entamée en janvier 2020. La coalition avait assigné TotalEnergies devant le tribunal judiciaire de Nanterre (Hauts-de-Seine) afin de contraindre la multinationale de prendre les mesures nécessaires conformément à la loi sur le devoir de vigilance. Cette dernière oblige depuis 2017 les grandes entreprises françaises à publier et à mettre en œuvre des mesures adaptées d’identification des risques et de prévention des atteintes aux droits humains et aux libertés fondamentales, à la santé et à la sécurité de personnes, et à l’environnement.
Pour la coalition, la stratégie climatique déployée par TotalEnergies était insuffisante. « Nous demandons à Total, au titre de son devoir de vigilance, de prendre des mesures pour réduire son empreinte carbone », soulignait, en 2020, Me Sébastien Mabile, autre avocat de la coalition, auprès de franceinfo.
« Le pétrolier Total est responsable à lui seul d'environ 1% des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial. Ce qui veut dire qu'il a une empreinte carbone qui est équivalente à celle des 67 millions de Français réunis », dénonce aujourd’hui Sébastien Mabile à franceinfo. Selon l’avocat, la coalition demande à TotalEnergies « de prendre des mesures fortes, afin d'atteindre la neutralité carbone en 2050, à laquelle nous devons tous contribuer pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré ».
De son côté, le géant pétrogazier désapprouve ce constat. « Pour répondre à son ambition de neutralité carbone en 2050, TotalEnergies déploie des plans d'actions précis, dont la réduction, d'ici 2030, des émissions directes de ses installations industrielles opérées de plus de 40% », a assuré TotalEnergies auprès de franceinfo.
Lire aussi I StopTotal : une nouvelle plateforme pour lutter contre les profits de TotalEnergies
Les procédures visant TotalEnergies pourraient bien se multiplier à l’avenir. Début février, alors que TotalEnergies annonçait avoir battu de nouveaux records de bénéfices pour l’année 2022, l’ONG environnementale et internationale 350.org a lancé sa plateforme stoptotal.fr afin de centraliser tous les moyens d’action contre les projets controversés du groupe.
Dans les faits, les procédures judiciaires sont complexes. Le 28 février dernier, le tribunal de Paris avait jugé « irrecevables » les demandes des six ONG qui réclamaient la suspension d’un mégaprojet d’oléoduc et de forages pétroliers de TotalEnergies en Ouganda et en Tanzanie, la justice estimant que les associations n’ont pas respecté les étapes de la procédure.
Dans un communiqué publié sur son site hier, l’association environnementale française Sherpa, qui fait partie de la coalition, dénonce les projets de TotalEnergies qui « conduisent tout droit vers la catastrophe climatique ».
Lire aussi I Pourquoi BLOOM alerte contre un projet de forage gazier de Total au large de l'Afrique du Sud