Diplomatie envi­ron­ne­men­tale : « Si le som­met cli­mat orga­ni­sé par le Royaume-​Uni ins­taure une course au mieux-​disant entre pays, on prend »

Le Royaume-​Uni et l’Organisation mon­diale des Nations unies (ONU) ont invi­té les pays les plus volon­taires à un som­met pour le cli­mat débu­tant en ligne ce same­di 12 décembre. L’enjeu : pré­pa­rer le ter­rain à une COP 26 repor­tée à 2021 et s’engager à revoir à la hausse les enga­ge­ments de cha­cun pour tenir les objec­tifs de l’accord de Paris. Cet accord, dont nous célé­brons le cin­quième anni­ver­saire, ambi­tionne de sta­bi­li­ser la hausse du réchauf­fe­ment cli­ma­tique à +1,5 °C. Armelle Le Comte, res­pon­sable du plai­doyer cli­mat et éner­gie d’Oxfam France, décrypte pour nous ce qu’il faut en attendre.

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Causette : Que peut-​on attendre du som­met pour le cli­mat orga­ni­sé par le Royaume-​Uni et l’ONU ?
Armelle Le Comte
: Pour nous, ce som­met ne doit pas juste être une fête d’anniversaire de l’accord de Paris. Quand on fait le bilan de ces cinq années, il est inquié­tant de voir que les impacts du réchauf­fe­ment cli­ma­tique se sont mul­ti­pliés par­tout dans le monde.
Nous atten­dons donc que des États viennent avec des annonces concrètes, car la pro­chaine décen­nie sera capi­tale pour la tra­jec­toire de notre pla­nète.
Il faut que les pays riches accé­lèrent, d’une part, leurs baisses d’émissions car­bone et, d’autre part, aug­mentent leurs finan­ce­ments pour aider les pays pauvres à faire face aux chan­ge­ments. C’est une soli­da­ri­té qui doit jouer entre les res­pon­sables, les pays riches et les pays pauvres qui en sont les pre­mières vic­times, par exemple, eu égard à la mon­tée du niveau des mers. Aujourd’hui, ce « fonds vert », qui devait être de 100 mil­liards de dol­lars par an, n’est pas suf­fi­sam­ment abreu­vé. À ce titre, le Royaume-​Uni vient d’annoncer qu’il allait dou­bler son apport d’ici à 2025. C’est une source de satisfaction.

L’Union euro­péenne n’arrive pas les mains vides à ce som­met cli­mat. Les diri­geants de l’UE viennent en effet de s’accorder pour réduire d’au moins 55 % leurs émis­sions de CO2 d’ici à 2030. Est-​ce une bonne nou­velle ?
A.L.C :
Cela fai­sait par­tie des attentes de cette réunion, c’était impor­tant qu’il puisse y avoir ce nou­vel objec­tif revu à la hausse par rap­port à ce qui avait été pré­sen­té à la COP 21 il y a cinq ans, où l’Union avait visé ‑40 % d’émissions pour 2030. Cela dit, il n’y a pas de zèle puisque l’accord de Paris conte­nait une clause de « revoyure », qui exige que tous les cinq ans les États se doivent de venir avec un plan d’action plus ambi­tieux que le pré­cé­dent. Et en fait, ces 55 % sont en deçà de ce qu’il fau­drait. C’est la science qui nous le dit, plus par­ti­cu­liè­re­ment les experts du GIEC : si on veut limi­ter la hausse de la tem­pé­ra­ture glo­bale à 1,5 °C, il fau­drait que l’UE baisse ses émis­sions à 65 % d’ici à 2030. On en est donc loin. Par ailleurs, il y a un autre petit bémol : ce nou­vel objec­tif de l’UE prend en compte l’absorption du CO2 par les forêts et les sols, ce qui veut dire que la baisse réelle serait plu­tôt de l’ordre de 50 %.
Après, vu le contexte de crise sani­taire et éco­no­mique, on peut noter l’effort com­mun de l’UE, de nature à redy­na­mi­ser l’ensemble de la scène inter­na­tio­nale. Il faut main­te­nant que cet objec­tif soit tra­duit dans les faits, et ce, mal­gré les pré­oc­cu­pa­tions éco­no­miques liées à la crise du Covid.

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Le fait que le Royaume-​Uni, désor­mais sor­ti de l’Union euro­péenne, orga­nise ce som­met, puis la COP 26 est-​il de nature à mettre l’Union euro­péenne sur la touche ?
A.L.C. :
Historiquement, le Royaume-​Uni est plu­tôt moteur sur les enjeux cli­ma­tiques au sein de l’Union euro­péenne. Sa poli­tique natio­nale est aus­si par­mi les plus avan­cées en la matière : il vient ain­si d’annoncer vou­loir réduire de 68 % ses émis­sions car­bone d’ici à 2030, ce qui lui don­ne­ra plus de poids l’année pro­chaine pour accueillir la COP. Il y a donc des rai­sons sin­cères à cet enga­ge­ment, même si, bien sûr, accueillir la COP 26 est aus­si un choix de rayon­ne­ment et lea­der­ship diplo­ma­tique. Mais si ce qui se joue dans ces prises de lea­der­ship est une course au mieux-​disant envi­ron­ne­men­tal entre États, on ne peut que l’accueillir favo­ra­ble­ment. À voir si ces ambi­tions sont sui­vies dans les faits.

Le Royaume-​Uni est actuel­le­ment gou­ver­né par le conser­va­teur Boris Johnson. La lutte contre le réchauf­fe­ment cli­ma­tique n’est donc plus réser­vée à la gauche…
A.L.C. :
On le voit dans de nom­breux pays, l’enjeu envi­ron­ne­men­tal dépasse les cli­vages poli­tiques. Au niveau des citoyens, d’abord, inquiets pour leurs enfants et petits-​enfants. Ils ont impul­sé une pré­oc­cu­pa­tion qui devient incon­tour­nable pour les diri­geants poli­tiques comme pour les entreprises. 

Et les enga­ge­ments par­ti­cu­liers de la France, où en est-​on ?
A.L.C. :
Depuis 2015, la France a pris du retard et n’est pas du tout dans les clous pour res­pec­ter ses objec­tifs (-40 % d’émissions en 2030). Il va fal­loir que la France revoie sa copie de manière urgente. Tout n’est pas com­plè­te­ment noir, il y a eu quelques déci­sions un peu fortes. Emmanuel Macron en parle très bien pour lui-​même, mais disons-​le : renon­cer à Notre-​Dame-​des-​Landes ou à la mon­tagne d’Or, fer­mer les quatre der­nières cen­trales à char­bon d’ici à 2022… Le pro­blème, c’est qu’on conti­nue à sou­te­nir les éner­gies fos­siles. Le gou­ver­ne­ment actuel a ain­si aug­men­té le volume glo­bal d’émissions que notre pays aura le droit d’émettre jusqu’en 2023, donc nous conti­nuons à accu­mu­ler du retard.
Il faut voir ce qui res­te­ra aus­si, der­rière les dis­cours lyriques, des pré­co­ni­sa­tions de la Convention climat.

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En début de semaine, le Danemark, quant à lui, a annon­cé mettre fin à sa pro­duc­tion d’hydrocarbure en 2050. De quoi avoir épui­sé ses stocks entre-​temps, non ?
A.L.C. : Cela arrive encore trop tar­di­ve­ment par rap­port à ce que nous dit la science, mais c’est tout de même une annonce forte pour un pays pro­duc­teur. C’est tout sim­ple­ment le pre­mier à prendre une telle mesure. Après, il peut se le per­mettre, contrai­re­ment à d’autres pays pro­duc­teurs, car c’est un pays riche qui a déjà eu tout le loi­sir de se déve­lop­per. Tout le monde va devoir arrê­ter l’extraction de pétrole et de gaz, mais c’est aux États riches de mon­trer l’exemple.

Joe Biden, élu pré­sident des États-​Unis, a annon­cé que l’une de ses pre­mières actions lorsqu’il accé­de­ra au pou­voir en jan­vier sera de réin­té­grer l’accord de Paris. Son élec­tion est-​elle une nou­velle source d’espoir sur le front du cli­mat ?
A.L.C. : Oui, cela fait souf­fler un vent d’optimisme pour les années qui viennent, car depuis quatre ans, les États-​Unis sont un pays blo­quant dans tous les pour­par­lers inter­na­tio­naux pour la pla­nète, du G7 à la COP, où Trump bala­dait son cli­ma­tos­cep­ti­cisme. Son bilan, interne comme externe, est catas­tro­phique, avec par exemple son choix de ne plus faire sa part pour abreu­ver le « fonds vert », par exemple, ce fameux fonds de finan­ce­ment pour les pays pauvres que nous évo­quions plus haut. Quant à Joe Biden, nous ver­rons si, au-​delà de réins­crire son pays dans la diplo­ma­tie inter­na­tio­nale du cli­mat, il aura les mains suf­fi­sam­ment libres pour agir au niveau natio­nal. Pour cela, il fau­drait que les démo­crates obtiennent la majo­ri­taire au Sénat en jan­vier… Fort heu­reu­se­ment, les États-​Unis res­tent une orga­ni­sa­tion fédé­rale et les États qui la com­posent, Californie et Texas en tête, font beau­coup pour se libé­rer du carbone.

C’est désor­mais offi­ciel : le confi­ne­ment dû à la crise sani­taire a fait bais­ser de 7 % les émis­sions de gaz à effets de serre. L’occasion ou jamais de plai­der pour relan­cer la machine, mais en plus vert. Est-​ce pos­sible ?
A.L.C. :
Aujourd’hui, l’urgence cli­ma­tique nous montre bien qu’on ne peut pas conti­nuer avec le modèle éco­no­mique actuel, extrê­me­ment dépen­dant des éner­gies fos­siles, qui impacte les popu­la­tions les plus vul­né­rables. Il est par ailleurs pro­fon­dé­ment injuste, car les richesses sont concen­trées dans les mains d’une toute petite mino­ri­té.
Nous venons de publier un rap­port, chez Oxfam, qui montre que, ces der­nières années, à mesure que les inéga­li­tés éco­no­miques se sont creu­sées dans l’Union euro­péenne, les émis­sions des plus pauvres ont bais­sé tan­dis que celles des 10 % les plus riches ont, elles, aug­men­té. Si on conti­nue comme ça, on va dans le mur.
Ce qu’on attend de ces divers plans de relance, aux niveaux natio­naux comme inter­na­tio­naux, c’est qu’ils prennent en compte les deux dimen­sions, envi­ron­ne­men­tale et sociale. En France, si on a appris quelque chose du mou­ve­ment des Gilets jaunes, c’est qu’on ne peut pas faire l’impasse sur ces enjeux d’équité, sinon, les poli­tiques envi­ron­ne­men­tales se retournent contre les déci­deurs. Et ce, alors même qu’un son­dage que nous avons réa­li­sé avec l’institut Kantar et publié en début de semaine montre que 95 % des Français pensent qu’il est impor­tant de lut­ter contre le réchauf­fe­ment cli­ma­tique, 60 % d’entre eux estiment même que c’est une prio­ri­té. Et une majo­ri­té de Français pensent que ces plans de relance sont l’occasion de com­bi­ner envi­ron­ne­ment et social.

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