En avril s’ouvre un débat public national sur la gestion des déchets nucléaires. Des militant·es et des ONG, échaudé·es par les précédents débats sur la question, n’y voient qu’une opération de communication pour les pouvoirs publics.
Que faire des déchets nucléaires ? La question peut effrayer les profanes ou les rebuter par sa technicité. Mais, pour la première fois, le Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR), dont la cinquième édition est en préparation, va être soumis au débat public, comme la loi l’impose désormais. Au cours de réunions qui vont se tenir partout en France, d’avril à septembre, et à travers un site dédié, les citoyen·nes sont invité·es à s’informer et à s’exprimer sur les enjeux scientifiques, éthiques et sociétaux autour de la gestion des déchets nucléaires. « Experts, ONG et citoyens pourront donner leur point de vue et, au terme du débat, la commission rédigera un compte-rendu. La parole citoyenne sera consignée et conservée », assure Isabelle Harel-Dutirou, présidente de la commission particulière du débat public, qui est chargée de la préparation et de l’animation sur le terrain.
Très encombrants déchets
Avec ses cinquante-huit réacteurs, qui produisent 76 % de son énergie, la France arrive première – et de loin – au classement des pays les plus nucléarisés au monde. Et les déchets nous restent sur les bras. La grande majorité d’entre eux sont très faiblement radioactifs : ils sont actuellement stockés dans l’Aube, au Centre industriel de regroupement, d’entreposage et de stockage (Cires). Ils sont extrêmement nombreux et leur volume va encore augmenter avec les opérations de démantèlement de centrales à venir. « La saturation de Cires est annoncée pour 2025–2030, explique Didier Gay, adjoint au directeur de l’environnement, à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Des décisions seront donc à prendre avant cette échéance pour mettre en service de nouvelles capacités de stockage et éventuellement réduire les flux de déchets produits. La valorisation de certains matériaux aujourd’hui orientés vers le Cires constitue une option envisageable. Mais la crainte de voir des matériaux considérés comme radioactifs devenir des objets du quotidien doit être entendue. La valorisation de métaux dont il est possible de garantir le très faible niveau de radioactivité résiduelle et de maîtriser les conditions de réutilisation mérite en particulier d’être débattue. »
Les déchets qui occupent le plus l’imaginaire collectif sont les déchets ultimes de la chaîne de production énergétique, impossibles à recycler. Ils pèsent très peu en volume, mais sont d’une dangerosité extrême. « L’intensité du rayonnement ionisant qu’ils émettent est telle qu’en leur présence, la survie d’une personne est menacée en quelques secondes », explique Didier Gay. Ils ont aussi une durée de vie vertigineuse (de l’ordre de centaines de milliers d’années). Actuellement entreposés à La Hague (Manche) dans des piscines, aussi menacées de saturation, en attendant un stockage définitif, ces déchets ont vocation à rejoindre la commune de Bure, dans le cadre du projet Cigéo (Centre industriel de stockage géologique). À la limite entre la Meuse et la Haute-Marne, Bure a été choisie par les pouvoirs publics comme lieu expérimental pour l’enfouissement des déchets nucléaires en couche géologique profonde, à 500 mètres sous terre.
“Démocratie de façade”
Le projet est des plus controversés et rencontre de très fortes mobilisations d’opposition locale. L’idée pour les habitant·es d’avoir sous les pieds une immense poubelle atomique pour une quasi-éternité, dont nul ne peut vraiment garantir l’étanchéité, affole et révolte. L’expérience du Wipp (Nouveau-Mexique, États-Unis), le premier site d’enfouissement de déchets nucléaires en grande profondeur en fonctionnement n’est pas pour les rassurer : après quinze ans d’activité, deux incidents majeurs s’y sont succédé. Un camion a pris feu dans la zone d’enfouissement et une contamination radioactive en surface a été détectée. Pas question, cependant, de remettre en cause le projet de Bure lors des discussions. « Il ne s’agit pas de débattre de Cigéo, qui a déjà fait l’objet d’un débat public, avertit Isabelle Harel-Dutirou, mais d’aborder l’état des lieux de la recherche sur les alternatives possibles au stockage géologique profond. »
Autour de la table du débat, des chaises seront vides. Certaines associations ont déjà annoncé qu’elles ne participeraient pas. Inutile d’attendre, par exemple, Sortir du nucléaire. « En 2005 déjà, un débat public a été ouvert sur les déchets et les citoyens ont massivement fait savoir qu’ils étaient opposés à leur enfouissement. En 2006, la loi entérinait ce mode de stockage comme le seul possible. Les gens ont eu l’impression d’un simulacre de démocratie », lâche Charlotte Mijeon, une des porte-parole de l’ONG. Pour la militante, le problème est inhérent au mode de consultation : « Rien ne contraint l’État à traduire les avis exprimés dans les décisions. C’est à son bon vouloir. »
Dominique Laurent, maire de Bettancourt-la-Ferrée (Haute-Marne) et membre de l’association des élus contre l’enfouissement, a aussi prévu de boycotter le débat. Celui de 2013 sur le projet Cigéo, marqué par les « informations orientées » et les « mensonges par omission » des maîtres d’ouvrage, lui a suffi. Signe du malaise démocratique : trois des cinq membres de la commission particulière de ce précédent débat se sont désolidarisés, en 2014 dans une lettre ouverte, des conclusions de la commission nationale du débat public, dont ils regrettaient qu’elle soit « devenue la complice d’une négation de l’aspiration de la société française à pouvoir débattre des grands choix qui la concerne ».
Que faire alors, pour « réinjecter » du processus démocratique sur les questions nucléaires et restaurer la confiance dans les décideurs ? Dominique Laurent a son avis : « Dans le cas de Cigéo, il faudrait déjà que l’État arrête de sortir le carnet de chèques pour faire accepter le projet aux élus à coups de subventions. Au fond, la plupart y sont opposés, mais ne veulent voir que la manne financière qu’il représente. Nous sommes très peu de maires à refuser l’argent. »