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© Ante Hamersmit

Crimes verts : les res­pon­sables bien­tôt jugés ?

Un nou­veau cou­rant scien­ti­fique appa­raît en France et pour­rait bien faire bou­ger les choses en matière d’écologie. Il s’agit de la green cri­mi­no­lo­gy, sorte de socio­lo­gie des délinquant·es de l’environnement. Explications. 

Depuis qu’elle est « green cri­mi­no­lo­gist », Tanya Wyatt est allée en Russie enquê­ter sur le mar­ché noir de four­rures, a pro­po­sé des solu­tions contre le tra­fic de chiots au gou­ver­ne­ment bri­tan­nique et a docu­men­té l’exportation de « taren­tules, lézards, per­ro­quets et cac­tus » du Mexique vers l’Europe. Son métier lui paraît banal après avoir pas­sé quinze ans dans des facs outre-​Manche. En France, à part les acti­vistes de Greenpeace ou d’Extinc­tion Rebellion, on voit mal qui pour­rait exer­cer ce genre de jobs façon Tintin-de‑l’écologie. Mais, les choses pour­raient chan­ger. « Pour la pre­mière fois, la semaine der­nière, une revue scien­ti­fique fran­çaise [Déviance et Société, ndlr] a évo­qué la green cri­mi­no­lo­gy. Et j’ai écrit dedans ! » s’enthousiasme Tanya Wyatt, début jan­vier. Laurent Mucchielli, socio­logue à la tête de cette revue, confirme : « On a vingt ans de retard. C’est une pre­mière qu’on me pro­pose des sujets de thèse là-​dessus. Les étudiant·es com­mencent à peine à s’y inté­res­ser. » 

Dans le monde anglo­phone, le terme est appa­ru dès 1990 dans l’étude d’un cri­mi­no­logue amé­ri­cain, Michael J. Lynch. Signe d’officialisation, en 2017, la pres­ti­gieuse revue Nature consacre un article à la nais­sance de la dis­ci­pline. En résu­mé, explique-​t-​elle, la green ­cri­mi­no­lo­gy est une forme de socio­lo­gie du crime vert. Elle tente de com­prendre « les condi­tions sociales, éco­no­miques et poli­tiques qui ont pu mener à un crime contre l’environnement », résume un site spé­cia­li­sé. Ce qui la rend assez badass, c’est qu’elle cible effi­ca­ce­ment les cou­pables de crimes envi­ron­ne­men­taux et qu’elle ouvre des nou­velles voies pour les combattre.

Sherlock de l’écologie

Laurent Mucchielli a tra­vaillé sur le cas de Fos-​sur-​Mer (Bouches-​du-​Rhône), une ville affec­tée par des taux de can­cers inquié­tants et une usine très pol­luante. Son tra­vail a éta­bli qu’il s’agissait d’« un crime envi­ron­ne­men­tal », car l’État « n’a pas mené d’étude sys­té­ma­tique pour mesu­rer l’impact de la pol­lu­tion alors que les risques sont connus depuis les années 1970. Ça peut faire chan­ger les choses concep­tuel­le­ment par­lant », argue-​t-​il. L’idée, pré­vient le cher­cheur, « n’est pas de ter­mi­ner mes confé­rences en disant “mettez-​les tous en pri­son” ». C’est plu­tôt que la métho­do­lo­gie scien­ti­fique – qui se veut objec­tive – cloue le bec aux détrac­teurs, « dont la pre­mière attaque à notre encontre est géné­ra­le­ment de dire : “Vous êtes mili­tant, vos conclu­sions ne sont pas sérieuses.” ».

La green cri­mi­no­lo­gy comble aus­si des vides. Elle per­met aux chercheur·ses d’enquêter plus lon­gue­ment que les jour­na­listes d’investigation. Mais aus­si d’analyser des catas­trophes éco­lo­giques que les historien·nes étu­die­ront beau­coup plus tard, comme la marée noire meur­trière de Deepwater Horizon en 2010, du nom de la pla­te­forme pétro­lière qui a explo­sé dans le golfe du Mexique. 

L’avocat du diable rétor­que­rait qu’il y a les rap­ports des Nations unies ou d’Interpol cen­sés recen­ser et punir les crimes envi­ron­ne­men­taux. « À lire ces grandes ins­ti­tu­tions, répond Grégory Salle, auteur du pre­mier ouvrage fran­çais sur la green cri­mi­no­lo­gy (à paraître fin 2020), on croi­rait en fait que seuls les tra­fi­quants d’ivoire, d’espèces pro­té­gées, bref, les bandes orga­ni­sées, com­mettent des crimes envi­ron­ne­men­taux, et ce, uni­que­ment dans les pays du Sud. La green cri­mi­no­lo­gy per­met de mon­trer que ces crimes sont au contraire très fré­quents, y com­pris dans les pays du Nord, et sur­tout, qua­si impunis. »

Vers un droit de la nature

Alors, qui sont les cou­pables ? Lorsque nous par­ti­ci­pons à la socié­té de consom­ma­tion, source de tant de dérè­gle­ments éco­lo­giques, lorsque nous ache­tons un cac­tus, lorsque nous man­geons de la viande, sommes-​nous res­pon­sables de crimes envi­ron­ne­men­taux ? Pour certain·es green cri­mi­no­lo­gists, comme Tanya Wyatt, oui : « Nous le sommes tous un peu. » D’autres consi­dèrent que ce sont les indus­tries pro­duc­trices – les grandes sur­faces ou les entre­prises comme Total. Entre les deux se loge une zone grise. Et c’est là que les green cri­mi­no­lo­gists agissent pour nous mettre face à nos res­pon­sa­bi­li­tés. Prenez les yachts de luxe. Ils détruisent la posi­do­nie, une plante néces­saire à l’écosystème sous-​marin, que la loi pro­tège. Est-​ce la marque du yacht ou son pro­prié­taire, qui com­met le crime ? « En théo­rie, la loi punit le fla­grant délit de des­truc­tion de posi­do­nie, pré­cise Grégory Salle, mais elle ne s’appliquerait que si l’on déployait des plon­geurs d’État pour sur­veiller les bateaux et mettre des amendes. » 

Tout ça va encore plus loin. Il y a der­rière la notion de « crime » en green cri­mi­no­lo­gy un débat intel­lec­tuel qui pour­rait bou­le­ver­ser le droit inter­na­tio­nal. « Parmi nous, sou­ligne Tanya Wyatt, beau­coup se penchent sur bien plus que ce qui est juri­di­que­ment défi­ni comme “crime”. On s’intéresse, dans nos recherches, à TOUS les dom­mages faits à la nature, pas seule­ment les actes illé­gaux. » Or, cette approche sert de base aux juristes qui vou­draient intro­duire l’écologie dans le droit. Valérie Cabanes, juriste spé­cia­liste de l’environnement et pré­si­dente d’honneur de l’asso Notre Affaire à tous (à l’origine de la péti­tion L’Affaire du siècle pour assi­gner l’État en jus­tice pour inac­tion cli­ma­tique), abonde : « En droit, si on ne peut pas faire de liens avec des vic­times, ça ne peut pas pas­ser au pénal. Or, les ani­maux ne sont, par exemple, pas consi­dé­rés comme vic­times. Il est donc très dif­fi­cile de pour­suivre une entre­prise qui détrui­rait un éco­sys­tème sans vic­times humaines. À par­tir du moment où on inter­roge qui com­met les crimes, qui les subit et com­ment les régu­ler, comme le fait la green cri­mi­no­lo­gy, on ques­tionne le fond de ces sta­tuts juri­diques. » Cela per­met­trait de ne plus « les consi­dé­rer encore comme des “choses”, l’équivalent de meubles », comme c’est le cas aujourd’hui.

Nombre de green cri­mi­no­lo­gists, dont Michael J. Lynch et Nigel South, autre pion­nier, militent aus­si pour la recon­nais­sance de l’écocide comme cin­quième « crime contre la paix et la sécu­ri­té humaine » par la Cour pénale inter­na­tio­nale. Le même rang que les géno­cides ou les crimes contre l’humanité. « Des crimes, pré­cise Valérie Cabanes, dont la par­ti­cu­la­ri­té est qu’ils peuvent être jugés par n’importe quel juge dans le monde. » La juriste se veut opti­miste. En 2011, les Nations unies ont adou­bé la métho­do­lo­gie scien­ti­fique qui sert à défi­nir ce qu’est un éco­cide. En 2019, le sujet a été débat­tu au Sénat en France. En 2020, nous dit-​on, il devrait faire l’objet d’une nou­velle pro­po­si­tion législative. 

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