Début avril, la Convention citoyenne pour le climat s’invitait dans les débats sur la stratégie de sortie de crise et envoyait à l’Élysée cinquante premières mesures de nature à « orienter le plan de relance vers la résilience de nos sociétés ». Mais pour le président, ce ne « sont à ce stade que des sources d’inspiration »…
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« Lors du discours à la Nation du 13 avril, Emmanuel Macron a fait une allusion à nos travaux quand il a appelé chacun à se “réinventer, [lui] le premier”, se souvient Agnès. Enfin, je n’en suis pas sûre, c’est ce que moi, j’ai bien voulu voir. » Agnès a 42 ans, vit dans le Val-de-Marne et est membre de la Convention citoyenne pour le climat. Comme la majorité des cent cinquante personnes y siégeant, Agnès a voté, début avril, lors d’une session en ligne pour que cinquante propositions soient envoyées de façon anticipée à l’Élysée, soit un tiers des cent cinquante attendues pour le mois de juin de cette mission citoyenne. Le 10 avril, la Convention expliquait qu’il était nécessaire qu’elle apporte « sa contribution dans les débats sur la sortie de crise » postcoronavirus sans attendre le vote final des propositions.
Tiré·es au sort selon des critères de représentativité visant à reproduire la diversité sociale du pays, les cent cinquante membres de la Convention planchent depuis l’automne sur cent cinquante mesures destinées à accélérer la transition écologique. Un exercice de démocratie participative inédit, lancé par le gouvernement comme une réponse à la vague verte des élections européennes de 2019 et des Marches pour le climat, dont les résultats devront soit être mis en application par réglementation, soit soumis au vote des parlementaires ou au référendum. « Sans filtre », avait promis Emmanuel Macron lors du coup d’envoi de l’instance. Mais à l’époque, nul ne pouvait prévoir la crise sanitaire mondiale, ses répercussions économiques et la volonté de la Convention d’apporter sa pierre à l’édifice de la construction de la société d’après.
« Il faut saisir le moment pour faire comprendre que la crise que nous vivons est l’occasion ou jamais que tout ne reparte pas comme avant », explique Agnès. Car les membres de la Convention, instruit·es par de nombreux·euses scientifiques environnementalistes venu·es les aider dans leurs travaux, l’assènent : « La crise que nous traversons n’est apparemment pas sans liens avec le dérèglement climatique et la dégradation de l’environnement. » Ils et elles sont donc allé·es puiser dans leurs idées, celles qui pouvaient s’inscrire dans le « plan de relance économique » auquel travaille le gouvernement pour sortir le pays de la récession qu’ont provoquée le Covid-19 et le confinement.
Ciao au capitalisme déchaîné
Le gros des propositions a fuité dans la presse : rénovation thermique de 20 millions de logements d’ici à 2040, prime de mobilité durable pour les trajets professionnels, baisse de la TVA sur les billets de train, création de fermes municipales pour favoriser les circuits courts, développement des filières de réparation, réemploi et recyclage…, la Convention a sélectionné des mesures de nature à soutenir l’économie. Mais elle a aussi fait montre d’une certaine propension à inscrire l’après-Covid dans une société qui dit ciao bonsoir aux égarements d’un capitalisme déchaîné. Elle souhaite ainsi lutter contre l’artificialisation des sols en stoppant « immédiatement » les aménagements de nouvelles zones commerciales périurbaines et en autorisant la réquisition de bâtiments vacants – de quoi donner des sueurs froides aux promoteurs immobiliers.
Côté action contre la surconsommation, ses préconisations sont radicales : interdire les panneaux publicitaires « dans les espaces publics extérieurs » et, d’une manière générale, doter chaque publicité d’une mention du genre « En avez-vous vraiment besoin ? La surconsommation nuit à la planète. » Autant y aller franchement : entre croissance à tous crins et poursuite du ralentissement provoqué par le corona, nos concitoyen·nes représentatif·ives semblent avoir choisi.
Des “sources d’inspiration”
Pas sûr que le gouvernement ait envisagé que la Convention aille aussi loin. Après l’avoir remerciée par courrier pour sa participation, l’Élysée indique à Causette que « ces propositions n’étant pas encore rédigées sous forme de lois, elles sont à ce stade des sources d’inspiration ». À la question de savoir lesquelles inspirent le président, on nous dit qu’on ne peut, pour l’heure, entrer dans ces détails. Pour Matthieu Orphelin, ex-député LREM et coprésident du nouveau groupe parlementaire Écologie, démocratie, solidarité, déçu des atermoiements écologiques de la présidence Macron et qui suit de près les avancées de la Convention, « le gouvernement a ici l’occasion de traduire en actes la volonté citoyenne, mais cela implique un véritable changement par rapport à ces trois dernières années ». Et de pointer la déconvenue des Français·es ayant participé au grand débat à la suite de la crise des « gilets jaunes » pour presque rien. Adepte de la démocratie participative, lui se dit prêt à porter devant le parlement la proposition de la Convention pour faire inscrire dans la Constitution la préservation de l’environnement.
En attendant, le monde de l’après-corona cristallise les rapports de force. Les lobbies industriels aux abois abattent leurs cartes – « C’est de bonne guerre », soupire Agnès – et pressent l’État de relâcher la bride écologique pour relancer la machine économique. En avril, Geoffroy Roux de Bézieux, président du Medef, exigeait ainsi, dans un courrier à Élisabeth Borne, ministre de l’Écologie, « un moratoire » sur plusieurs lois écofriendly, lutte contre le gaspillage et économie circulaire en tête. Après une fin de non-recevoir, le même Geoffroy Roux de Bézieux rentrait dans le rang et signait une tribune collective de grands patrons dans Le Monde, le 3 mai, intitulée « Mettons l’environnement au cœur de la reprise économique ». Faut-il y croire ? Dans tous les cas, les citoyen·nes de la Convention se sont pris·es au jeu et se réjouissent que leur dernière session plénière ait une date, du 19 au 21 juin. « Je n’étais pas très versé écologie, mais cette aventure a transformé mon regard et je connais la qualité de nos travaux, s’enthousiasme Grégoire, Normand de 31 ans. Après le vote des cent cinquante propositions, nous rentrerons dans le dur. Nous serons là pour le service après-vente et suivre de près la mise en application de nos propositions. »