brown coral reef under blue sky
© Silas Baisch

Golfe d’Ajaccio : le Fonds vert du gou­ver­ne­ment va finan­cer des coffres d’amarrage pour les yachts qui ne res­pectent pas l'interdiction de mouillage

521 000 euros du Fonds vert ont été attribués à la chambre de commerce et d’industrie de Corse (CCI) pour l’installation, au large d’Ajaccio, de bouées d’amarrage destinées aux yachts. Une solution pour protéger les posidonies des dégâts des ancres... Alors que ces bateaux de plaisance pour ultra riches ont pris l’habitude de mouiller à la sauvette dans des zones protégées.

« Ce projet, qui réserve l’exclusivité de l’espace marin et côtier à quelques riches privilégiés, est d’une indécence absolue et d’un irrespect total dans l’une des villes les plus pauvres de France. » Sur la pétition « Non aux coffres d’amarrage pour méga yachts à Ajaccio », lancée par des associations écologistes sur mesopinions.com et signée par plus de 20 000 personnes depuis le début du mois d’avril, on ne mâche pas ses mots. En cause : la mise en place financée par des fonds publics de coffres d’amarrage (genre de bouées) dans le golfe d’Ajaccio, à 300 mètres des côtes, destinés aux yachts de plus de 24 mètres.

Le 3 avril, la Première ministre Élisabeth Borne annonçait que 150 premiers lauréats du Fonds vert avaient été retenus. Lancé en août dernier, ce fonds doté de 2 milliards d’euros et géré par Matignon octroie à des « collectivités territoriales et leurs partenaires » de quoi financer des investissements à vertu écologique, qu’il s’agisse de rénovation énergétique de bâtiments publics locaux, de renaturation des villes ou encore de protection de la biodiversité. C’est à ce titre que la chambre de commerce et d’industrie de Corse (CCI) a obtenu 521 000 euros du Fonds vert pour la « mise en place et exploitation de deux coffres d’amarrage écoconçus dédiés aux navires de grande plaisance dans le golfe d’Ajaccio ».

Comportement de voleurs

C’est même le « projet phare » des cinq chantiers que financera le Fonds vert en Corse, stipule le dossier de presse édité par les services conjoints du ministère de la Transition écologique et de la cohésion des territoires et du ministère de la Transition énergétique. La nécessité de protéger des ancres de la posidonie n’est plus à démontrer, rappelle le document : d’après les chiffres de l’Unesco, un seul hectare d’herbiers de posidonies « peut capter autant de CO2 que 15 hectares de forêt tropicale ». Pour justifier le projet, le dossier de presse présente son enjeu de la sorte : « Actuellement, les ports insulaires corses, insuffisamment équipés, sont dans l’incapacité de répondre à la fréquentation croissante des navires de la grande plaisance (plus de 24 mètres). En conséquence, ces navires se mettent au mouillage à l’ancre et ravagent les herbiers de posidonies, plante essentielle du bassin méditerranéen qui oxygène l’eau et ralentit l’érosion du littoral. »

Une formulation des choses très indulgente pour les pratiques des yachts de luxe : ce document omet de rappeler que le mouillage à l'ancre est une telle catastrophe pour l'écosystème marin qu'il est interdit depuis 2019 dans le golfe d'Ajaccio par la préfecture maritime de la Méditerranée pour ces bateaux, comme l'indique cet arrêté préfectoral. Mais cette interdiction n'est pas respectée, d'après la capitainerie du port de plaisance Tino Rossi citée par Corse Matin : « Ces mouillages sauvages, ne cessent de se multiplier depuis plusieurs années dans le golfe d'Ajaccio. » Xavier d'Orazio, premier prud'homme d'Ajaccio (c'est-à-dire représentant des pêcheurs locaux), détaille dans l'article les méthodes des yachts pour échapper aux autorités maritimes : « Malgré les arrêtés d'interdiction de mouillage, ces bateaux se mettent la nuit et repartent tôt le matin, ils ne restent jamais bien longtemps au même endroit, mais ils détruisent les fonds. » A défaut de parvenir à leur faire respecter le règlement, les coffres d'amarrage permettraient donc de limiter les dégâts de leurs comportements...

"Desiderata d'une clientèle de luxe"

De quoi faire dire à U Levante, l’une des associations vent debout contre la création de zones de mouillage réservées aux bateaux de luxe dans le golfe d’Ajaccio qu’il s’agit ici de « tordre le cou aux lois pour favoriser la classe fortunée », selon les propos rapportés par France 3 Corse. Il faut dire que les conclusions de l’enquête publique au sujet de l’intérêt des coffres d’amarrage ont fait bondir le collectif d’associations Terra, qui porte la pétition, explique encore Corse Matin. Le journal cite un extrait des documents dénoncé par Terra : « Ce phénomène [l’augmentation de mouillages sauvages à proximité des ports ou le long des cotes, ndlr] correspond probablement à une évolution des desiderata d’une clientèle de luxe de plus en plus exigeante, il convient donc de répondre par une offre en adéquation avec cette nouvelle demande du secteur économique de la grande plaisance. »

Interrogée par franceinfo le 5 avril sur cet épineux dossier, la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher a eu beaucoup de mal à justifier de l'intérêt de ces coffres d'amarrage pour la biodiversité. « C’est écologique de faire en sorte de préserver les posidonies », a-t-elle bafoué, avant de reconnaître, devant l’insistance des journalistes Salhia Brakhlia et Marc Fauvelle : « Là, vous m’interrogez sur un dossier que je connais pas dans le détail, pour être très simple, et dont je sais qu’il permet de préserver des fonds marins. Et il me semble que ce n’est pas un changement, c’est-à-dire on n’ouvre pas les vannes à accueillir plus de bateaux, à ma connaissance. Mais voilà, je l’ai dit avec beaucoup d’humilité, ce n’est pas un dossier que je suis personnellement. » De quoi renvoyer la patate chaude à qui voudra bien se coltiner le service après-vente d'une mesure contestable.


Les coffres d'amarrage, une technologie verte au service des fonds marins ?

Ces systèmes de bouées high-tech sont en plein essor dans la Méditerranée. En août dernier, La Gazette de Monaco racontait comment Pierre Descamp, PDG fondateur de la société Andromède Océanologie, avait créé Donia Mooring, un module de location de coffres d’amarrage qui se réserve en ligne comme un Airbnb grâce à un système de déverrouillage autonome.

Biologiste marin de formation, il s’est inquiété de la destruction des posidonies au point de créer une « application comptant aujourd’hui 40 000 utilisateurs, recensant les cartographies des fonds marins à destination des plongeurs, plaisanciers et pêcheurs, afin de leur éviter de poser l’ancre sur les herbiers de posidonie ». Ne se contentant pas d’être « simplement un lanceur d’alerte », Pierre Descamp se veut désormais, avec Donia Mooring, « porteur de solutions », pour « maintenir une activité plus respectueuse de l’environnement » en luttant, à sa manière, contre le mouillage sauvage. De six coffres d’amarrage en août dernier dans le bassin de la Côte d’Azur, Donia Mooring annonçait dans La Gazette de Monaco un déploiement de quinze de ces objets au printemps 2023.

Partager
Articles liés

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.